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Bataille pour le contrôle de l’internet au Somaliland
par Mahdi A., janvier 2020 (Human Village 38).
 

Un nouveau front s’est ouvert dans le vaste champ des nombreux points de discorde entre Djibouti et la Somaliland. Comment mieux définir cette relation aussi fusionnelle que complexe – que beaucoup ici ne comprennent pas - qu’à travers la célèbre chanson de Serge Gainsbourg et Jane Birkin « Je t’aime moi non plus »… Un couple en permanence sur le fil de la rupture sentimentale, qui tour à tour s’attire, se repousse, se cherche, dont les membres n’arrivent pas à vivre leur amour sereinement, à le montrer, tant le manque de confiance et la peur d’être abandonnée est vivace… Les non-dits, l’absence de clarification, expliquent en grande partie les coups de sang au bord de la crise de nerfs, les réactions sans retenues.

Il s’agit maintenant de la mise en œuvre d’une nouvelle inforoute sous-marine dans laquelle l’opérateur national Djibouti Télécom est la locomotive d’un consortium de « sociétés de télécommunication et fournisseurs d’espaces ou d’accès internet » qui ont décidé de « mettre en commun leurs capacités financières et d’en partager les fruits et les dividendes. Cette stratégie vise à accroitre leurs capacités techniques et financières ainsi qu’une bande passante à un coût abordable et fiable  » [1]. L’investissement s’élève à 89 millions de dollars.

Dénommé Djibouti Africa Regional Express (DARE 1), ce câble sous-marin devrait permettre de connecter en fibre optique Djibouti, la Somalie et le Kenya, avec plusieurs points de connexion le long de son parcours : Berbera (Somaliland), Bosaso (Puntland), Mogadiscio (Somalie) et Mombassa (Kenya). Après l’annonce en mai 2016 de ce projet d’interconnexion numérique, sa première matérialisation concrète a eu lieu lundi 20 janvier dernier à proximité de la plage de la Siesta, lorsque le premier tronçon de la fibre a été posé. L’émotion était forte parmi les personnes réunies pour célébrer l’évènement (officiels, membres du consortium, invités et baigneurs piqués par la curiosité). Jeudi 23, à l’aube, le navire câblier – ils sont très recherchés car on en compte seulement une quarantaine dans le monde – a commencé sa route, sous escorte de la marine nationale djiboutienne, pour poser la fibre au fond de l’océan et procéder aux différentes connexions prévues.

Alors que tout semblait aller sur des roulettes, voilà que l’arrivée de la fibre à Berbera prend l’eau, si l’on peut dire. Le navire câblier aurait subit des tirs de semonce des gardes côtes somalilandais pour le contraindre à quitter les eaux territoriales somalilandaises avec son escorte djiboutienne. Ils ne disposeraient pas des autorisations somalilandaises nécessaires pour mener leurs opérations de cablâge. La gravité de l’incident naval ainsi que le niveau de crispation a été révélé par la presse somalilandaise. Un membre du gouvernement djiboutien, Radwan Abdillahi Bahdon s’exprimant sur les ondes de la BBC, livre une autre version : plutôt qu’une altercation, il évoque un malencontreux malentendu entre les deux parties. Il n’aurait jamais été question que le navire câblier interconnecte Berbera au projet DARE et le navire n’aurait jamais quitté les eaux territoriales internationales. Il a expliqué être en contact avec son ’’homologue’’ somalilandais des télécommunications, Abdiweli Abdullahi Sheikh Yussuf et que les faits ont été éclaircis. Cet ’’homologue’’, intervenu également sur les ondes de la BBC un peu plus tôt, avait indiqué avoir eu une explication avec les autorités djiboutiennes. Abdiweli Abdullahi Sheikh Yussuf a tenu à rappeler que le Somaliland est un État souverain, et que nul n’est autorisé à mener des activités commerciales sans avoir été dûment autorisé par les responsables nationaux. A fortiori, a-t-il ajouté, pour une activité aussi stratégique qui avait conduit le parlement somalilandais en 2009 à adopter une loi accordant l’exclusivité de la fourniture d’internet au Somaliland à un seul opérateur, Somcable, pour 25 ans. Selon lui, l’intervention des forces navales somalilandaises ne visait qu’à faire appliquer la loi et arrêter une activité de câblage illégale.[« BBC ».]].

Comment expliquer que la compagnie somalilandaise Somtel – qui appartient au puissant groupe financier Dahabshiil, également actif à Djibouti au travers de la joint-venture East Africa Bank - ait participé à hauteur de 11% au consortium DARE. Tout laisse à penser qu’elle ambitionnait de changer de statut au Somaliland, pour concurrencer l’opérateur Somcable dans la fourniture de l’internet. En effet, la nouvelle infrastructure sous-marine est pourvue des instruments technologiques de dernière génération, permettant un haut débit, couplé à une transmission des données de qualité. Cela permettrait de court-circuiter le monopole de Somcable. Ce dernier est connecté à internet par un câble fourni par Djibouti Télécom depuis environ une décennie.
Djibouti Télécom et Somtel ne pouvaient donc ignorer l’existence du monopole légal de Somcable. Pourquoi n’a-t-il pas été associé, voire désigné comme le distributeur de ce nouveau service internet, d’autant plus que son richissime propriétaire - Mohamed Said Guedi - est de nationalité djiboutienne ? Difficile d’y voir clair dans cette nouvelle tambouille djibouto/somalilandaise, où prédominent les questions de très gros sous… Peut-on déduire de cette désespérante controverse que ce sont ceux-là mêmes qui avaient favorisé, hier, la position de Somcable dans l’internet au Somaliland à des conditions extrêmement avantageuses, qui ont décidé aujourd’hui de favoriser Dahabshiil… Mais, c’était sans compter sur un os, Mohamed Said Guedi, qui semble bien décider à défendre ses intérêts ! Finalement, cet énième scandale n’est-il pas symptomatique des difficultés à faire des affaires à Djibouti ? Il faut convenir que cela ne présage absolument rien de bon pour la gestion du fonds d’investissement souverain que notre pays s’apprête à lancer !

Pour expliquer son amertume devant les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du projet DARE, le directeur de Djibouti Télécom, Mohamed Assoweh Bouh, s’en était ouvert le 4 décembre dernier auprès des participants à un colloque international organisé par la Chambre de commerce. Il appelait au retour au bon sens et au renforcement de l’intégration économique régionale.
« Pour vous donner un exemple, au sein de Djibouti Télécom, nous avons commencé le projet DARE, il s’agit d’un câble sous-marin qui vise à relier Djibouti, la Somalie et le Kenya, d’une longueur d’un peu plus de 5000 kilomètres.
On fait partie de sept consortiums qui regroupent des grands opérateurs, dont l’un, comprend le plus grand câble sous-marin au monde, allant de la Corée du Sud à l’Allemagne, il traverse plus de 27 pays, il couvre une distance de 40 000 kilomètres. Les opérateurs concernés savent tous ce qu’ils veulent : on se réunit, on forme le consortium, on signe le contrat, et les travaux commencent. DARE, c’est juste six opérateurs, 5000 kilomètres, mais les difficultés rencontrées, Dieu seul le sait, Dieu seul le sait, Dieu seul le sait…
 ».

Mahdi A.


 
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