« Cette ancienne colonie française est complètement tenue par un seul grand parti qui contrôle tout dans le pays avec une opposition de façade ». Richard Volanges (chef de l’antenne de la DGSE) [1].
C’est l’analyse et la conclusion couchées sur papier d’un officier de renseignement expérimenté qui a travaillé dans plusieurs pays africains. Il affirme que l’opposition à Djibouti est factice.
Une invasion érythréenne imaginaire
Un document non-officiel a circulé sur les réseaux sociaux décrivant le voyage du président du Frud armé. Ce dernier aurait effectué nous dit-on une visite de travail en Érythrée. Il aurait été reçu au plus haut niveau par le président Issayas Afeworki avec lequel il se serait entretenu en tête à tête à plusieurs reprises. Il aurait même été introduit auprès de l’émir de Dubaï. Pourtant aucun communiqué officiel du Frud ne revendique ce voyage. Pourquoi ? Et surtout pourquoi ce document (signé Hamad Surus) parle-t-il du 3 mai 2023 comme de la pire journée cauchemardesque du président de la République M. Ismaël Omar Guelleh ?
Que s’est-il réellement passé le 3 mai 2023 ?
Ce jour-là, dans la région « Sud de la mer Rouge » incluant Assab, Raheita et Doumeira, sous prétexte de recevoir la coupe nationale de football, les autorités régionales et traditionnelles organisent une marche pacifique de Raheita à Doumeira conduite par le gouverneur de la région d’Assab, le sultan de Raheita avec la participation des populations locales. Cette marche pacifique est la seule intrusion dans notre territoire que l’Érythrée revendique, documents et traités à l’appui. Je vous invite à visiter le lien vers le journal du 3 mai 2023 de la télévision érythréenne.
Face à cela, quelle a été la réponse des autorités djiboutiennes ? Aucune. Bien au contraire, le 4 mai 2023, le président de la République s’est envolé pour assister, à l’Abbaye de Westminster, au couronnement du nouveau roi Charles III à Londres, profitant de ce séjour pour partager une partie de khat avec son ami Boreh dont le contentieux a coûté des millions de dollars au budget de l’État.
Pourquoi l’État djiboutien ne saisit-il pas la justice internationale à l’instar du différend frontalier maritime entre le Kenya et la Somalie (je rappelle que Djibouti a pris position pour le Kenya) ? Pensez-vous un instant que les soldats djiboutiens seraient en permission s’il y avait la moindre menace ? Pensez-vous vraiment que l’Érythrée puisse attaquer Djibouti alors qu’elle assure la présidence de l’Igad ?
En vérité, l’Érythrée se fiche complètement de Djibouti qui n’a jamais levé le petit doigt pour l’aider face à l’annexion éthiopienne, contrairement à la Somalie, la Libye ou l’Afrique du Sud qui se sont impliquées dans leur lutte de libération nationale. Je ne comprends pas pourquoi le président du Frud organise cette opération de communication sans preuves de rencontres avec Issayas Afeworki. J’ai déjà défendu le Frud, dans le passé, en disant que ce ne sont pas des rebelles étrangers et je les ai défendu encore dernièrement lorsque j’ai pris position fortement pour dire que ce ne sont pas des terroristes. Les terroristes sont ceux qui tirent sur les jeunes à Arhiba, sur les femmes à Ali-sabieh ou ceux qui incendient des maisons à Balbala ou à Wahlé-Daba.
Comment comprendre que le Frud ait relâché les prisonniers de l’armée nationale sans demander en échange la libération des chefs traditionnels arrêtés et des éléments du Frud détenus dans les geôles de la prison de Gabode à Djibouti ? A cet égard, je vous invite à visionner une interview en afar accordée au média afar Voice sur Facebook, je vous demande d’observer son langage corporel. À chaque fois qu’on lui parle des personnes incarcérées à la prison de Gabode, il met la main sur son front et l’irritation se lit sur son visage. Il dira finalement que c’est son épouse qui s’occupe des questions humanitaires.
Quelques semaines plus tôt, un autre leader de l’opposition affirmait à un média étranger qu’il n’y avait aucun prisonnier politique à Djibouti tout en prônant l’internationale socialiste avec les partis cubain et vénézuélien. Un autre demande l’augmentation des salaires des forces répressives du système. C’est comme s’il fallait solliciter l’amélioration de leurs équipements pour mieux vous réprimer. C’est d’autant plus démagogique que l’impact financier d’une telle proposition sur le budget est inenvisageable. Vous rajoutez à cela les trotskystes du Frud, nous voilà bien avancés !
Alors un moment, ça suffit ! Si vous pouvez libérer le peuple djiboutien, faites-le ! (Please do it !) et prenez tout le pouvoir. Mais de grâce, cessez de mentir et de jeter de l’huile sur le feu. Ou alors, vous avez les mêmes objectifs que ce régime scélérat : diviser pour régner ou diviser pour exister.
Dans ma naïveté, après deux décennies de silence, j’ai crû pouvoir pacifier les rapports tumultueux entre les différents courants de l’opposition, pensant qu’il s’agissait de rivalités politiques classiques, surmontables. Cependant, ma naïveté ayant ses limites, j’exigeais trois conditions dissuasives :
– filmer les débats pour que la position de chacun soit scellée afin d’éviter toute trahison future ;
– jurer sur le Saint Coran de ne pas percevoir de financements du régime ou d’autres pays ;
– publier son patrimoine.
Pas un seul leader, pas un seul groupe, pas un seul parti ou front armé n’accepte de se conformer à ces trois conditions essentielles. Alors j’ignore comment ces gens peuvent imaginer arriver au pouvoir en flattant le sentiment ou le ressentiment ethnique ou tribal, en refusant de discuter entre eux et en n’ayant aucun programme réaliste commun. Mensonges, tribalisme, inefficacité et corruption sont les mêmes éléments du même cocktail explosif servi par le régime.
Je peux affirmer, aujourd’hui, qu’aucune initiative politique n’est admise en dehors du cadre existant et contrôlé des partis d’opposition soit qu’ils aient rejoints la majorité présidentielle ou non. Quelle est donc la stratégie du pouvoir et des partis dits d’opposition ? Alimenter la haine, la rancœur et le désarroi des communautés vivant sur le même territoire en créant les conditions d’une confrontation sur des questions d’identités et de frontières pour se hisser ou pour conserver le pouvoir ? Pourquoi raconter l’histoire d’une attaque ou d’une invasion imminente ? D’autant que cette fausse information propagée par le Frud est relayée par d’autres extrémistes qui veulent embraser les quartiers de la capitale djiboutienne. Ont-ils finalement les mêmes intérêts ?
Mesdames et messieurs, le peuple ne se soulèvera pas parce-qu’il ne croît pas en vous. Et vous empêchez la moindre personne ou voix dissonante d’émerger. Quarante six ans d’un même régime qui ne veut pas se réformer et quarante six ans d’un militantisme ethnique de façade. Nous voulons un souffle nouveau ! Il faut s’éloigner des peurs et des mépris pour nous tendre et nous rapprocher d’idéaux universels, républicains et démocratiques avec sincérité, rigueur et intégrité avec tous les enfants de ce pays. Il faut une armée de volontaires conscients et déterminés pour transformer ce pays.
Je risque de faire beaucoup de mal aux apathiques, aux drogués et aux opportunistes de ce pays, c’est pourquoi je vous demande de ne pas choisir une personne comme moi à la tête de ce pays.
Je n’aime pas vos histoires tribales, je n’aime pas vos différences et je n’aime pas vos injustices...
Vive la République métisse ! Vive la République de Djibouti !
Allahu Akbar. Nidam Djibouti.
Abdo Block Abdou, ancien ministre des Affaires étrangères et de la coopération
[1] « Espion : 44 ans à la DGSE », de Richard Volange, Talent Éditions, 88 pages.