L’Union parlementaire africaine (UPA) a connu un épisode important de son histoire vendredi 21 février dernier, avec le passage de relai entre Alassane Bala Sakande, président du Parlement du Burkina Faso, et son homologue djiboutien Mohamed Ali Houmed qui lui succède à la tête de l’organisation continentale. Cette cérémonie, réglée comme du papier à musique, s’est déroulée en deux actes. Le premier a eu lieu dans les murs du prestigieux siège de l’institution, qui, il faut le rappeler, était la résidence privée du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny. Une belle manière pour l’État ivoirien de témoigner sa considération et son attachement à l’honneur qui lui a été fait d’héberger l’UPA. Le second temps fort de cette matinée s’est déroulé au Parlement ivoirien avec l’hôte de l’évènement, le président Amadou Soumehoro.
C’est au secrétaire général de l’UPA, Idi Gado Boubacar, a qui il est revenu de procéder à la passation de pouvoir. L’instant a été très solennel, marqué par un lourd silence à peine troublé par les crépitements des flashs des photographes, présents en nombre pour immortaliser ce transfert de flambeau. Le secrétaire général a rappelé le poids de la responsabilité de la destinée de l’organisation parlementaire, façonnée par les contributions précieuses de chacun des prédécesseurs du nouvel élu, et « qui, malgré les soubresauts et les difficultés, non seulement tient bon, mais s’affirme comme un cadre irremplaçable du dialogue parlementaire africain. […] Elle a consacré les 44 ans de son existence à défendre et à promouvoir l’institution parlementaire en Afrique, la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le développement durable, toutes causes qui restent encore aujourd’hui, d’une brulante et pertinente actualité »
Le président sortant de l’UPA, Alassane Bala Sakande, a ensuite détaillé l’héritage qu’il lègue à son successeur. En dépit d’un mandat limité à un an, une durée trop courte estime-t-il, il trouve son bilan satisfaisant. Il a invité Mohamed Ali Houmed à ne pas délaisser les chantiers en cours « dont la poursuite diligente constituera un autre pas de géant dans notre cheminement vers les objectifs de renforcement, de positionnement et de rayonnement. […] Il s’agit d’abord des réformes visant une meilleure représentation des jeunes et des femmes au sein de l’organisation. Tant que ces deux groupes sociaux n’occuperont pas la place qui leur revient, l’UPA, comme bien d’autres institutions dans le monde, trainera la fâcheuse image d’une amicale de parlementaires qui ont travesti la noble mission de représentation nationale ». Pour Alassane Bala Sakande, assurer une meilleure représentation de ces catégories doit passer par des actes forts, et être figée statutairement dans le marbre par l’instauration de quotas. Par ailleurs, « dans l’optique de donner plus de capacités d’action sur la scène internationale », il rappelle une décision importante approuvée par la plus haute instance de l’Union et qu’il veut voir mis en oeuvre sans plus attendre car elle vise à corriger un handicap qui a entravé la marche de l’organisation, concernant la durée du mandat du président. Elle serait selon lui, responsable du non aboutissement des objectifs fixés lors de sa prise de fonction. « A la dernière conférence des présidents de l’UPA en novembre 2019, j’avais soumis à mes pairs que nous puissions revoir nos textes de sortes à ce que le mandat de président de l’institution continentale puisse passer d’un an à deux ans. J’étais d’autant plus à l’aise en formulant cette proposition de révision, que je ne demandais pas qu’elle soit rétroactive. Cette modification statutaire plus que nécessaire à mes yeux pourrait permettre à un président qui arrive à la tête de l’UPA de pouvoir mettre en œuvre un certain nombre de chantier. Un an, il faut le dire c’est très vite passé ! Deux années, me parait être une durée raisonnable pour dérouler son programme. Je suis heureux que mes confrères aient donné leur assentiment à cette évolution de la durée du mandat ».
Et de clôturer ses propos en rappelant son amitié et soutien : « je vous transmets le maillet, attribut de votre nouvelle fonction, comme un athlète passe le témoin à un coéquipier dans une course de relais. Pour autant, je ne retourne pas dans les vestiaires. Soyez rassurer de ma disponibilité à vous accompagner plus loin. »
Louant chaleureusement les actions entreprises et le bilan de son prédécesseur, l’honorable Mohamed Ali Houmed a indiqué partager sa conception de l’action parlementaire, qui peut accompagner le développement, faire reculer les souffrances et apporter de l’espoir aux peuples du continent. Il ne devrait pas infléchir le cap sur les dossiers engagés, tout en imprimant son empreinte, ce qui se traduira dans les faits par une tonalité un peu différente avec un profil moins politique et plus diplomate. Cette passation intervient au moment où l’institution s’inquiète pour ses moyens. Les États membres n’ont versé que 50 % du montant nécessaire aux activités inscrites au budget des exercices 2018 et 2019. Le cumul des arriérés de cotisation est estimé à pas loin d’un million d’euro… Cette volonté affichée de moderniser l’institution ne pourra éviter de mettre les problèmes financiers sur la table.
« Nous pouvons compter également sur les nouveaux partenaires qui ont consentis à intégrer les rangs de notre institution en qualité de membres observateurs. Ce sont des soutiens précieux et indéfectibles qui sauront se tenir à nos côtés pour encourager et redynamiser avec nous notre organisation.
D’ores et déjà, nous allons reprendre notre bâton de pèlerin pour réunir les parlements membres et mettre à jour nos états financiers. Nous ne serons respectés et viables que dans les conditions où nous pourrons compter sur nos propres finances, alimentées par nos cotisations. »
Le nouvel occupant des lieux ne se laisse pas décourager. Il voit dans cette succession de difficultés une opportunité pour dépasser les rivalités et les différends et ramener au sein du giron de l’UPA les pays non membres, principalement les États de la Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC). Il souhaite aussi lancer des échanges, pour mobiliser des ressources additionnelles, comme par exemple le recours aux financements de partenaires comme le Qatar.
« Avec une volonté et une détermination de chaque instant, je peux vous garantir que nous allons réussir de belles choses ensemble.
L’UPA est le cœur battant de notre réseau interparlementaire panafricain. Nous devons donc tout faire pour agréger autour de l’UPA de nouveaux partenaires et tisser des liens avec des réseaux plus vastes afin d’être à la hauteur des enjeux importants qui nous attendent. »
« L’objectif suprême de l’UPA est de refonder notre cohésion et notre panafricanisme. N’oublions jamais que chacune de nos décisions auront des conséquences sur la vie quotidienne de nos concitoyens à travers toute l’Afrique. C’est l’essence même de la politique en étant au service des femmes et des hommes de ce Continent. J’appelle donc à un engagement total car c’est l’égalité de la devise africaine qui se joue.
En m’assignant la responsabilité de la présidence de l’UPA, je voudrais mettre ce mandat sous le sceau du renforcement et du raffermissement de nos accomplissements. Il va de soi que nous allons aussi poursuivre le train des réformes essentielles à l’amélioration de la présence et du rayonnement de notre instance sur l’échiquier mondial.
Nul doute que nous saurons tous être sur le pont pour atteindre nos objectifs et faire de l’UPA une institution forte et respectée à travers le monde.
Il est aussi fondamental que nous œuvrons ensemble à intégrer encore plus fortement le genre et la jeunesse dont les questions sont au cœur de nos instances. Plus question de remettre aux calendes grecques l’insertion des femmes et des jeunes et de tenir à l’écart la moitié de nos populations qui sont si peu représentées dans nos instances. »
On perçoit que Mohamed Ali n’est pas insensible aux questions du genre et celles liées à la jeunesse, ce qui l’amène à poser sur la table ce nouvel enjeu. Il rejoint la préoccupation de son prédécesseur concernant la participation des femmes et des jeunes. Les femmes ont moins d’opportunités pour influer sur les décisions politiques et accéder à des ressources telles que les financements. L’autre défi consiste à rechercher la meilleure manière de transformer le talent de la jeunesse africaine en potentiel de croissance… Pas une mince affaire ! Des réponses urgentes sont attendues par les habitants du continent. Mohamed Ali Houmed va se saisir de ces dossiers importants, estimant qu’il est de la responsabilité morale de l’Union parlementaire d’essayer de les solutionner.
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne paraît pas manquer d’ambition pour ce mandat de deux années. Il veut ériger l’UPA en défenderesse de la cause des peuples, et en faire une manufacture à idées, tirant parti des retours d’expériences sur le terrain de ces nouvelles troupes : les élus continentaux. Une force de proposition : qui s’en plaindrait ? D’ailleurs, face à l’empêtrement de l’Union africaine sur les questions sécuritaires, pourquoi ne pas chercher à promouvoir au niveau continental l’émergence d’un nouvel outil : WomenUA, à l’instar de sa grande sœur onusienne. Ne serait-ce pas une alternative prometteuse, à la hauteur de l’enjeu de demain, face au piètre bilan de l’Union africaine qui peine à s’impliquer sur les questions de genre, laissant un sentiment de frustration aux élus et responsables continentaux rencontrés ?
Mahdi A., envoyé spécial Abidjan (Côte-d’Ivoire)
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