A l’occasion de la cérémonie qui a eu lieu dans la région d’Ali Sabieh, nous avons interviewé un membre du comité des sages supervisant le déroulement de l’intronisation de l’ogaas de la lignée des Issas. Il s’agit de monsieur Daher Igué Waberi membre de la communauté de Shiniley. Il nous livre un témoignage précieux sur les rites et coutumes entourant la désignation de l’ogaas.
Pourriez-vous nous indiquer la manière dont a débuté l’appel solennel à un ogaas ?
Après un constat criant d’absence d’ogaas, une délégation de jeunes membres de la confédération issa, et dont à leur tête Mohamed Maalin, a pris contact avec nous. Un appel pour se réunir avec comme ordre du jour la sauvegarde des traditions ancestrales et de nos coutumes a été lancé. Lors de ce meeting, les représentants des diverses couches sociales, jeunes et moins jeunes, ont identifié les lacunes existantes dont la plus importante était la désignation du nouvel ogaas. Ils sont parvenus à adopter une stratégie commune, les taches ont été partagées.
Autrefois largement en autosuffisance ; la communauté Issa pour mettre en place le souverain aura indubitablement besoin de la contribution de ses jeunes membres en matière de logistique et des frais occasionnés lors de ce genre d’évènement. Gardiens des us et coutumes, les sages, quant à eux, auront à leur charge la recherche de l’ogaas à travers le respect et l’observation des procédures adéquates.
Cette stratégie débute avec le déplacement des sages à Waarouf. Les représentants des douze tribus, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, se sont réunis dans ce lieu pendant 7 mois. Les occupations principales consistent en purifi cations, prières, recueillements et invocations. Nous conjurons notre Seigneur de guider et bénir notre quête. Ces actes de dévotions et demandes sont toujours pratiqués par les individus les plus pieux de notre communauté.
Avez-vous pris contact avec la lignée des ogaas ?
Durant cette période de retraite religieuse, une délégation a été envoyée pour rentrer en contact avec la lignée dont sont issus les souverains traditionnellement.
Après discussion, nos interlocuteurs ont souhaité un délai de réflexion de deux mois. Au terme de ce laps de temps, nous nous sommes déplacés de Waarouf vers Gougouma’ad, précisément au beau milieu de cet oued dans un lieu appelé Guellé Absiyé. La lignée « royale » c’est-à-dire Reer Hassan nous a fait parvenir sa réponse en ces termes : « nous agréons votre demande légitime et vous avez notre entière coopération. Faites vos démarches en toute quiétude et avec notre bénédiction ». Au préalable, le comité chargé de la détection du nouvel ogaas eut un débat lors de l’énumération des critères de sélection. Les membres ont soulevé l’intérêt d’avoir un souverain instruit dans cette époque où seule une personne éduquée peut diriger la destinée de son peuple. En tout cas, la sélection était à son terme avec les candidats présentés par les Reer Hassan : il ne restait en lice que deux candidats. De nôtre côté, nous étions arrivés nous aussi aux mêmes résultats. Les voies du Seigneur étant impénétrables, il se trouve qu’ils portent tous les deux aussi bien le même nom et sont originaires tous deux de la même ville Mille. Après une ultime épreuve pour les départager, l’ogaas Moustapha Mohamed Ibrahim a été retenu, notamment pour son charisme, son instruction, sa destinée ou simplement par la volonté divine tant son aura a été forte, sa personnalité convaincante et rassurante.
Quelles sont vos remarques à ce stade ?
Rétrospectivement, nous commençons à comprendre que ces quinze ans de vide du trône symbolisent une volonté de Dieu qui voulait que la communauté attende son élu qu’Il avait choisi et qui était né deux années après le décès de feu Hassan Hersi le 18e ogaas.
Comment s’est passé le « rapt » ?
Ceci étant dit et pour revenir à notre sujet, l’élu résidait pour études à l’époque à Dire Dawa. Après sa désignation, un groupe composé d’un membre de chacune des douze tribus a été envoyé effectuer le « rapt ».
Un soir de mercredi, ce groupe a intercepté et a procédé au « kidnapping » après lui avoir au préalable précisé qu’il était l’élu. Au matin, la délégation est revenue à Guellé Absiyé et c’est là qu’a commencé l’initiation. La lignée Reer Hassan avait bien entendu connaissance que notre communauté était en quête du futur ogaas depuis plus d’une décennie, c’est la raison pour laquelle les parents n’avaient pas besoin qu’on les informe du rapt de leur progéniture. L’entente était parfaite entre nous et les chefs de cette lignée.
Comment l’intéressé a-t-il pris son futur rôle ?
Vous savez un homme instruit et éduqué contrairement à un homme du terroir, est plus susceptible de mesurer l’ampleur des valeurs et des coutumes ancestrales ainsi que des avantages liés à une telle fonction. Son attitude a été positive, il s’est dit honoré de la mission que sa communauté lui assignait.
La suite après l’enlèvement du futur ogaas ?
La dernière phase de la préparation s’est déroulée à Guellé Absiyé à une trentaine de kilomètres de Dire Dawa et à 7 Kms de Mille. La procédure préliminaire achevée, commençait la phase initiation avant la présentation du souverain à sa communauté lors de l’intronisation au lit-dit Ogaas Hir Tokoshé à coté de Zeyla.
La procédure de détection a donc été scrupuleusement suivie ?
Avant, le candidat retenu était souvent « kidnappé » à un âge plus jeune. Il était laissé pour formation auprès de sa famille et à ses précepteurs jusqu’à la fin de l’adolescence pour mémoriser le saint Coran en apprenant la Sunnah et les bases de la tradition séculaire. Toutefois, dans le présent cas, du fait qu’il y ait une vacance du trône et ce depuis le décès du 18e ogaas Hassan Hersi, la procédure a été écourtée. En l’espace de cinq mois il y a eu rapt, apprentissage puis il a été confié aux sages de la famille royale dans le domicile de son grand-père. Il faut reconnaître que ceux qui avaient la charge de veiller sur l’ogaas Moutapha Mohamed Ibrahim se sont acquittés merveilleusement de leur tâche ; aujourd’hui, le nouveau souverain a fière allure. Nous en remercions la lignée royale pour son dévouement bien connu puisque bien rôdé depuis plusieurs siècles.
Alors quelles ont été les phases suivantes ?
Devant l’impatience de son peuple qui ne pouvait consentir à plus de retard, le périple de son introduction a commencé ! Un cortège considérable s’est formé pour l’accompagner dans sa longue et précieuse pérégrination jusqu’à la cité mythique de Zeyla qui n’est autre que la millénaire et médiévale Zula. Nous sommes partis de chez Reer Hassan à Millé, ensuite nous nous sommes dirigés vers Hadhagaalla et Habaako.
Après un bref séjour, nous avons mis cap vers Las harir cet endroit sacré chez les Issas depuis la nuit des temps. Dans cet endroit mythique où la conférence des douze tribus des Issas a, pour la première fois, codifié un ensemble de règles appelé le xeer qui régule la vie dans leur communauté. Durant ce périple nous avons prié pour nos ancêtres bien inspirés et visionnaires. Nous avons aussi eu une pensée pour les défunts ogaas qui sont passés par là et qui reposent Inch’Allah au Paradis.
Après respect de la coutume et prières pour nos aïeux et nos présents ; nous sommes partis vers Aicha’a où nous avons rendu visite au Maqam Cheikh Moussa, que Dieu ait pitié de son âme (le mausolée d’un homme pieux et vénéré -ndt). Ensuite, nous nous sommes rendus au poste frontalier de Galilée, en République de Djibouti où une foule en liesse nous a accueillis à notre arrivée. Le point important à souligner est que durant cet événement, de la première réunion jusqu’à maintenant, nous avons senti que les gens avaient besoin de l’autorité et de la bénédiction de l’ogaas.
A certains moments, on arrivait avec peine à écarter les personnes en larmes qui s’étaient soudées autour du souverain. C’était une atmosphère d’émotion hystérique et fusionnelle. Evidemment je garderais en mémoire les sentiments d’allégresse, de joie ainsi que les moments de dévotions, de communions et de prières qui ont rythmé la traversée de ce parcours. Nous tenons à remercier vivement la population mais également les autorités de la République de Djibouti pour l’accueil chaleureux qui nous a été fait depuis notre arrivée en terre Djiboutienne, et nous prions le Seigneur de bénir ce beau pays.
Quant à nos frères des autres pays limitrophes qui ne se sont pas ménagés pour nous rendre heureux, nous prions Dieu pour qu’Il ramène la paix et la quiétude dans leurs cœurs.
Nous venons à la dernière étape…
L’étape finale commence à partir de Dhanaan, dans la région d’Ali Sabieh. Le cortège continuera vers Beya adey pour nous diriger avec l’aide de Dieu vers Ogaas Hir à coté de Tokoshé où l’Ogaas sera officillement intronisé par la cérémonie du rasage du crâne. Le premier roi Ogaar Mal de son vrai nom Ibrahim vivait dans les environs lorsqu’il a été choisi. Il a été rasé donc intronisé à cet endroit. Par respect à ce précédent et conformément à notre coutume et nos traditions, tout ogaas doit être intronisé à Ogaas Hir à quelques encablures de Zeyla, ville que le souverain peut visiter s’il le souhaite.
Que représente le rasage du crâne ?
C’est le symbole d’une nouvelle naissance, presque une nouvelle vie qui débute. Ce rite peut être comparé au rasage du crâne par les pèlerins musulmans qui effectuent leur devoir religieux pour se purifier à Mina. L’Ogaas aura de nouveaux cheveux donc une nouvelle maturité, une responsabilité plus accrue sur les us et coutumes de notre communauté. Bref, il revit suivant un nouvel ensemble de règles et modes de vie. Les cheveux rasés seront conservés à l’abri des regards impurs. La tradition de l’intronisation a ce sens, et suivant celle-ci, l’heureux élu est enfin sacré ogaas de la confédération issa.
Disposera t-il de collaborateurs et si oui comment sont-ils choisis ?
Après le couronnement, ils seront choisis soit par l’ogaas en personne soit désignés par l’assemblée des 44 sages représentant les douze tribus issa et qui peut choisir à la place de l’Ogaas selon des critères de probité et de morale au-dessus de tous soupçons.
Ceci étant dit, il faut garder à l’esprit que toute la confédération l’assiste lors des éventuels litiges qu’il sera amené à arbitrer. En cas de besoin, il peut donner l’ordre à certains sages de s’occuper d’une affaire précise.
Parlez nous de la vie maritale de l’Ogaas ?
Conformément à un rituel bien établi, nous pouvons affirmer que le premier mariage de l’ogaas Moustapha Mohamed Ibrahim, sera célébré dès son retour en Ethiopie et l’heureuse élue sera nécessairement issue de la tribu Odahgob (ou plus communément appelée Reer Yonis Moussa-ndt) de la lignée Waadhour. S’il souhaite convoler en seconde noce, il devra choisir sa future dulcinée au sein de la tribu Reer Moussa.
Toutes ces démarches sont codifiées strictement et respectées depuis la nuit des temps. Elles ont été établies pour donner à ce souverain le sentiment d’appartenir intrinsèquement aux lignées choisies comme belles familles et vice versa.
Propos recueillis par Abdoulkader Ibrahim Idriss