Dans l’après-midi du mercredi 2 mars dernier, deux mois jour pour jour après la publication du décret limogeant le ministre du Budget, Abdoulkarim Aden Cher, une vaste opération judiciaire a été déclenchée. Elle est inédite dans notre pays, tant par l’ampleur du coup de filet que la qualité des prévenus auditionnés par le service de la gendarmerie (SRD). Une vingtaine de personnes soupçonnées de détournements de fonds publics – dont l’ex-ministre du Budget, des hauts fonctionnaires de son ministère et d’importants commerçants –, seraient toujours en garde à vue au moment où nous publions ces lignes. Certains pourraient être déférées devant le parquet dès demain, dimanche 6 mars.
Est-ce l’occasion de nettoyer une fois pour toutes notre système politique et de mettre un terme à la corruption qui sévit dans notre pays ? D’en finir avec l’impunité qui règne dans la classe politique ? D’assainir le climat des affaires, pollué par les liens pervers entretenus entre public et privé qui contribuent à dilapider les ressources de l’État ? Est-ce que cette opération de lutte contre la criminalité ira aussi jusqu’à aller inquiéter les instigateurs de l’un des plus grands scandales de notre pays : le pillage en règle du patrimoine foncier de l’État ? Les Djiboutiens s’interrogent sur le devenir de cette enquête tentaculaire dont la pelote ne fait que commencer à être démêlée.
Le 1er mars dernier, la Haute Cour de Justice [1]. – qui n’a jamais siégé depuis sa création - a été renouvelée durant la séance solennelle de rentrée parlementaire, en présence de l’ensemble des élus nationaux, des élus régionaux, et du corps diplomatique. Cette opération permettait à l’exécutif d’adresser un message aux membres du gouvernement, en leur rappelant leur devoir de loyauté et de confidentialité… mais aussi accessoirement de bonne gouvernance.
Les élus nationaux – notamment les sept premiers – membres de la seule instance habilitée à juger le cas échéant le chef de l’État ou des membres du gouvernement, ont été triés sur le volet. Ils sont considérés comme la crème de la crème des parlementaires les plus influents, toutes et tous réputés d’une fidélité à toute épreuve au chef de l’État :
– Ali Abdi Farah, président
– Ougoureh Kifleh Hamad, vice-président
– Ileya Ismael Guedi, vice-président
– Dileita Mohamed Dileita,
– Elmi Obsieh Waiss,
– Abdi Khaireh Bouh,
– Safia Elmi Djibril,
– Ibrahim Ahmed Abdo,
– Mohamed Ismail Youssouf
Tout laisse à penser que cette instance judiciaire pourrait se réunir, pour la première fois de son histoire, afin d’examiner de possibles détournements de fonds publics. Une enquête de gendarmerie a été diligentée à la suite d’un rapport de la Cour des comptes qui révélait des faits susceptibles d’être qualifiés de criminels. Rendu à l’exécutif fin février, son contenu aurait déclenché ce branle-bas judiciaire. Cet audit, qui porte principalement sur l’exécution des dépenses de l’État par le ministère du Budget, permettrait en théorie au gouvernement d’écarter toute accusation de chasse aux sorcières contre Abdoulkarim Aden Cher. Pour autant, le soupçon d’attaque ciblée contre une personnalité politique sera difficile à lever. Pour certains, on lui reprocherait une parole trop libre et l’ambition plus ou moins affichée de concourir à la magistrature suprême.
Comment le gouvernement doit-il présenter l’affaire pour convaincre les Djiboutiens que faire passer l’ancien ministre du Budget et ses acolytes sous les fourches de la justice n’est pas lié à la présidentielle de 2026 ?
Comment donner l’impression qu’il ne s’agit pas de punir une personnalité politique qui aurait tenté de sortir des rangs ? Si l’objectif est de mettre le holà aux malversations et accaparements des biens et ressources de l’État, ce serait un exemple pour instaurer dorénavant de bonnes pratiques de bonne gouvernance. Cela permettrait de sensibiliser les fonctionnaires à la préservation des intérêts de l’État, et les inciter à dénoncer toutes les atteintes à son patrimoine. Cela pourrait les amener à signaler rapidement à la justice les actes délictueux qu’ils constateraient, quel qu’en soit l’auteur, y compris les plus hauts représentants de l’État qui, bien que soumis à une juridiction particulière pour les actes commis dans l’exercice de leur fonction, demeurent des justiciables.
Mahdi A.