La rencontre avec le directeur général de la BCIMR, Régis Barriac, a été fortuite à l’Institut français. À peine les présentations faites, il nous invite amicalement à échanger un peu à l’écart du groupe. Il a cherché à nous rencontrer depuis quelques mois, à la suite de la publication dans nos colonnes d’une interview du gouverneur de la Banque centrale, Ahmed Osman Ali. Une question y était posée à propos de la banque qu’il dirige, et il souhaitait présenter des éclaircissements pour nos lecteurs, afin de leur expliquer les raisons de la tarification des opérations bancaires au guichet pour les particuliers. ll souhaitait un droit de réponse. Bien évidemment, nous avons acquiescé immédiatement à sa demande, pour convenir d’un entretien. C’est ainsi que nous avons pu rencontrer quelques jours plus tard Régis Barriac pour deviser sur les enjeux de son mandat de directeur général, son expérience professionnelle dans deux importantes institution financières européennes, ses possibilités de connecter les entreprises tricolores, aux opportunités d’affaires trop longtemps ignorées de Djibouti, et plus généralement de la sous-région. Régis Barriac est porteur de grandes ambitions pour son établissement bancaire en 2025.
Il déclare son enthousiasme à diriger la première banque de Djibouti. Il pourrait se satisfaire d’occuper 30% du marché, mais non, il considère que la BCIMR est au milieu du gué et qu’elle peut considérablement augmenter son volume d’affaires en encourageant et accompagnant mieux les initiatives privées et les grands projets publics. Il veut voir la belle endormie devenir plus pro-active, plus à l’écoute de sa clientèle, plus à l’affut des projets novateurs et des opportunités commerciales… Il dit mobiliser ses commerciaux vers ces nouveaux challenges. L’actionnaire majoritaire de la BCIMR, la BRED, et le second actionnaire, l’État de Djibouti, seraient d’accords pour donner un nouvel élan à cette entreprise afin qu’elle soutienne une croissance économique qui est supérieure à 7% depuis une décennie. La réunion de travail du directeur général du groupe BRED Olivier Klein avec le président de l’Autorité des ports et des zones franches Aboubaker Omar Hadi le 21 décembre dernier à PK23 laisse penser que le tournant annoncé par Régis Barriac n’est pas loin de prendre forme.
Rencontre avec un banquier qui dit vouloir changer le paradigme de son métier…
Comment la crise du Covid a-t-elle impacté votre clientèle affaires, et quelles sont les mesures que vous avez adoptées pour les soutenir en cette période difficile ?
J’ai pris mes fonctions à Djibouti en mai en pleine période Covid, donc j’ai cherché à savoir quel impact cette pandémie pourrait avoir sur les activités de notre clientèle. On ne savait rien de cette maladie alors. Donc, comme partout ailleurs, nous étions dans l’expectative face à cette situation inédite. Notre clientèle privée est composée uniquement de sociétés dites formelles, c’est-à-dire qui ont des comptes bancaires, des comptes publiés. Finalement, j’ai été surpris du faible nombre de demandes de moratoires ou de reports. Nous avions donné comme instructions aux équipes de chargés de comptes de systématiquement regarder toutes les demandes de report ou moratoire avec un a priori favorable. On a signé une convention avec le fonds de garantie pour s’assurer aussi que les mesures du gouvernement seraient appliquées à la BCIMR, et j’ai personnellement demandé aux commerciaux d’examiner attentivement tous les dossiers sans exceptions, et que tous me soient remontés.
A ce jour, un peu moins d’une trentaine de dossiers ont fait l’objet d’un moratoire à la demande de clients. Bien sûr les secteurs les plus touchés sont l’hôtellerie, la restauration et le BTP. Les autres activités, comme par exemple le transport ou logistique, ont moins souffert. Nous avons mis en place une politique bienveillante, et avons même conseillé aux clients qui au départ nous demandais des moratoires de trois mois, de systématiser des moratoires de six mois au moins, puisque qu’à ce moment nous n’avions pas la moindre idée de la durée de la crise. Ce fut d’ailleurs pertinent, ce qui nous a évité de prolonger les moratoires. Je dois quand même dire que la reprise de l’activité économique est bien plus forte et vigoureuse ici qu’ailleurs. Donc un impact au final limité.
Concernant l’activité propre de votre banque, de quelle manière avez-vous été touché ?
Durant la période du confinement nous avons été un peu contraints, en faisant en sorte que les salariés restent chez eux. Nous avons maintenu 100% de nos emplois, sans aucune décote au niveau de la rémunération. Pour la BCIMR, la crise a été très bien gérée pour ses salariés, sans impact social, sans impact sur les salaires, et avec des emplois complètement préservés. Il n’y a pas eu de réduction d’emploi, il n’y a pas eu de chômage partiel, on a juste joué sur les vacances que quelques employés ont prises pour faire une rotation des effectifs permettant à chacun de trouver sa place tout en respectant les consignes sanitaires et les consignes de distanciation physique.
Pourriez-vous nous indiquer de quelle manière votre établissement compte agir pour impulser le secteur privé en République de Djibouti ?
Concernant l’entreprenariat privé, il est pour moi très important de comprendre les forces et les dynamiques du pays, en particulier la création d’entreprises et le développement des entreprises privées. Du coup, j’ai passé six mois à regarder comment le pays est organisé, entre le Club des jeunes entrepreneurs, le Centre de leadership et de l’entrepreneuriat (CLE), les initiatives du Groupe d’affaires France Djibouti (GAFD), mais aussi à travers le cercle des conseillers français du commerce extérieur, et différentes associations, pour voir où étaient les énergies créatrices, que cela soit chez les jeunes et les moins jeunes générations et comment se développe l’ambition d’entreprenariat à Djibouti. J’ai donc noué le plus de contacts possibles. On regarde aussi avec l’ambassade de France, qui a distingué dix entreprises qui devaient participer au Forum France-Afrique en mars dernier, qui a été annulé pour être repoussé. Ces dix entreprises sont accompagnées et suivies par le GAFD qui les mentore, les tutore. Et donc j’essaye de voir toutes les initiatives du pays, mais aussi surtout comment on peut agir pour les aider à structurer leurs projets, à présenter leurs projets, leurs objectifs et le rendre bancable, en leur fournissant effectivement le service bancaire, donc le compte, et le financement adéquat pour la période de démarrage d’activité. Je suis également en train de réfléchir à une offre dédiée aux jeunes entrepreneurs, avec des packages pour le financement du fonds de roulement, le financement d’actifs, avec une période de grâce, le temps qu’ils puissent avancer leur entreprise.
Quelle serait la durée de cette période de grâce ?
Entre 6 à 18 mois, en fonction du projet.
C’est une mesure exceptionelle et inédite
On est en train de regarder comment on peut faire et avancer avec le fonds de garantie également. C’est encore à l’étude, mais il est clair pour moi qu’il faut une offre pour les jeunes entrepreneurs, avec des taux adaptés, avec une période qui permette d’amorcer le business, car s’ils remboursent tout de suite alors qu’ils sont en période d’amorçage, on va les mettre en difficulté. Du coup, ce que je veux c’est trouver la bonne offre en 2021 pour justement aider les jeunes entrepreneurs, la création d’entreprise et l’entreprenariat. Ensuite, de manière plus classique, lorsqu’une entreprise est plus mature, on regarde sa performance financière, son activité.
Je dois ajouter que le dirigeant doit porter l’ambition de son projet. J’attache beaucoup d’importance à qui est le manager, comment il porte la vision de son projet, comment il porte sa conviction, et puis le sérieux de sa gestion, comment il est entouré pour la gestion de son entreprise. Et puis, nous donner en transparence les chiffres sur son activité, c’est très important pour un banquier, puisque nous sommes un métier très règlementé, un métier de chiffres, et donc d’avoir la bonne compréhension du passé pour projeter le futur. Puis dans la formulation d’un projet financier, dans l’atterrissage, que là aussi il puisse y avoir plus de professionnalisation, parce que si on comprend où on va, on finance plus facilement. C’est un message que je répète très souvent aux entrepreneurs : ne pensez pas que vous perdez du temps en écrivant des budgets, des plans d’investissements, des plans stratégiques, c’est extrêmement important pour nous de comprendre la trajectoire qu’ils veulent donner à leur business, leurs ambitions, les marchés qu’ils visent. On a vraiment besoin de comprendre la stratégie d’entreprise et la vision du manager sur son projet, et si il est convaincant cela nous donnera envie de financer derrière.
La relation entre un banquier et un client c’est un partenariat. Le client choisit son banquier, et le banquier choisit le client qu’il va financer. C’est donc une conviction réciproque, entre le client qui va porter son projet et le banquier qui va faire sa proposition. C’est vraiment un équilibre, un partenariat qui est à trouver entre les deux parties.
Vous parlez de taux attractifs : ils seraient de quel ordre ?
Je ne veux pas donner de taux dans l’immédiat car il y a une réalité qu’il faut que tout le monde comprenne, les taux dollars et les taux euros sont proches de zéro, voire négatifs. Donc l’ensemble des dépôts qui sont dans les banques aujourd’hui rapportent quasiment zéro. Je sais que le marché de Djibouti est en surliquidité, car il y a un taux d’épargne fort, et les gens pensent que les banques s’enrichissent grâce aux dépôts des épargnants. C’était le cas par le passé, et je le dis tranquillement et en toute transparence, mais ce n’est plus le cas actuellement. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, avec le Covid, la crise mondiale qui est là, l’ensemble des taux des grandes devises sont proche de zéro, voire négatifs. Je rappelle que le taux euro, c’est -0,5%. C’est-à-dire que lorsqu’un épargnant me laisse un euro sur son compte à vue, cela me coûte à moi, banquier, -0,5, parce que cet argent, je le replace auprès de ma maison mère, la BRED, qui elle-même, la replace auprès de la Banque centrale européen (BCE), qui prend -0,5 sur les dépôts effectués par les banques françaises. Cela veut dire que non seulement on ne gagne plus rien, mais que l’on perd de l’argent. C’est un paradoxe, c’est difficilement compréhensible, notamment pour les banquiers qui n’ont pas été habitués à vivre dans ce nouveau paradigme, où l’argent au lieu de rapporter, coûte. L’incitation de la BCE est simple, c’est : je recycle les dépôts sur des investissements productifs, et sanctionne l’argent qui dort sur les comptes courants. Ce qui amène à un changement dans le métier de banquier, puisque hier quelqu’un qui laissait de l’argent sur son compte courant faisait gagner de l’argent à sa banque sans rien faire. Aujourd’hui, il faut être actif sur la transformation de ces dépôts, et trouver des actifs, des crédits à court terme, à moyen terme, voire à long terme, pour réemployer cet argent. On appelle cela l’intermédiation bancaire. C’est une incitation à financer l’économie réelle. Encore faut-il que l’on trouve les bons projets, puisque ce n’est pas tout de prêter de l’argent, il faut aussi le rembourser. Et parfois cela peut être une difficulté à Djibouti de recouvrer des sommes qui ont été prêtées.
Comment expliquez-vous que les taux des prêts soient si élevés à Djibouti ?
C’est extrêmement simple, chaque État a un rating, une notation, et on ne peut pas prêter aux particuliers aux entreprises moins cher qu’à l’État. En fonction du rating d’un État, il y a un prix du marché qui se forme. Le meilleur risque à Djibouti, c’est l’État djiboutien ; par construction et par nature, puisque c’est lui qui collecte l’impôt, c’est celui qui fait les infrastructures. De cette évaluation dérive les taux des prêts aux particuliers, aux entreprises privées. Personnellement je ne vais pas prêter moins cher que le taux concédé au gouvernement djiboutien qui est la meilleure contrepartie. Donc c’est un mécanisme de marché.
Qui fixe le taux du gouvernement djiboutien ? Les agences de notations ?
Pour l’heure, l’État de Djibouti n’est pas noté par les agences. Mais je pense que toutes les autorités commencent, notamment depuis que le Fonds souverains de Djibouti s’est constitué en septembre avec des grands projets d’État, à regarder plus sérieusement comment on peut approcher les agences de notation. Lorsque l’État n’est pas noté, un équilibre de marché va se former avec l’offre et la demande, on arrive à former le taux, et partir du taux de la meilleure contrepartie, les autres en dérivent.
Pourtant l’ouverture de nouvelles banques à Djibouti a coïncidé avec une baisse des taux
Oui, une baisse, mais pas si significative. Il y a eu un mécanisme de concurrence, c’est logique et normal. En revanche le constat est le même, une banque doit être rentable. Si vous ne gagnez plus rien sur les dépôts, et que vous tuez votre marge d’intérêt, qu’est-ce que gagne la banque ? Plus rien !
Les marges bancaires à Djibouti n’ont rien à voir avec celles que l’on connait en Europe
Je suis tout à fait d’accord, mais l’accès bancaire, ici, n’a rien à voir avec la profondeur du marché européen, ni avec les instruments de dette qui y sont disponibles, comme l’Euro PP, le marché des capitaux, etc. Il ne faut pas raisonner uniquement sur le prêt immobilier ou du découvert. Vous avez des sources de financements en France et en Europe qui sont extrêmement rentables pour les banques, et qui n’existent pas à Djibouti.
Pourtant vous placez bien les dépôts de votre clientèle en Europe : c’est donc une source de profit pour votre banque ?
Très peu, voire pas du tout ! Je vous le redis les taux sont extrêmement bas en dollar et en euro. Aujourd’hui sur mon compte résultat, la marge dollar baisse de près de 50 % par rapport à l’an dernier. Parce que les taux dollars se sont effondrés.
Est-ce imputable à la crise Covid ?
Oui effectivement. Que font les Etats-Unis ? Ils sont dans une passe extrêmement difficile depuis la crise Covid, et donc pour faciliter l’accès au crédit, la Réserve fédérale a baissé ses taux. C’est totalement lié au Covid, et à la politique de déficit budgétaire qu’a voulu faire président Trump en incitant à avoir de l’argent plus facilement accessible.
Avec une incidence jusqu’à Djibouti ?
Djibouti est en zone dollar, puisque la monnaie est corrélée au dollar, ce qui est une très bonne chose pour l’économie nationale et la stabilité du pays. En revanche, la fluctuation du dollar impacte beaucoup les ressources que nous pouvons avoir par rapport aux dépôts dollar. Mais je redis à quel point c’est une excellente chose pour Djibouti d’avoir sa monnaie totalement transférable, convertible et liée au dollar. C’est un des rares pays de la zone qui bénéficie de cet atout, de cet avantage dans l’attractivité des investisseurs internationaux, alors que dans des pays périphériques de la zone, les investisseurs sont amenés à s’interroger sur l’intérêt d’investir dans des pays dont ils savent qu’ils ne pourront pas rapatrier leurs capitaux, et où la libre convertibilité fait défaut. Forcément, cela n’encourage pas à injecter ses fonds, comme par exemple en Éthiopie où vous n’en sortirez pas vos capitaux investis.
Quel est le chiffre d’affaires de la BCIMR et son résultat ?
L’année dernière notre chiffre d’affaires était de près 4 milliard avec un résultat proche de l’équilibre.
Comment expliquez-vous ce résultat ?
Il y a eu entre 2010 à 2016 des crédits qui ont été mal alloués, on a un taux important de non-performing loans, c’est-à-dire des gens qui ne nous remboursent pas. Il faut que l’on fasse jouer nos garanties, cela pèse énormément sur notre bilan. Heureusement, l’État a pris des mesures pour faciliter la saisie de garanties et le recouvrement, ce qui est quand même logique puisqu’au bout d’un moment, si on ne paie pas la banque, alors on peut la mettre en défaut ou en faillite ; ceci pourrait causer la perte d’emploi de 250 personnes sans compter les emplois indirects. Il faut savoir que la BCIMR fait vivre entre 3000 à 5000 personnes à Djibouti, un chiffre qui ne doit pas être négligé.
Parmi nos clients indélicats nombreux songent à retarder ou à ne pas payer carrément leurs prêts. Ce genre d’attitude met la banque en difficulté. Face à ces situations nous avons engagé une action de recouvrement forte de nos créances impayées, et nous souhaitons informer nos clients qu’il est important de ne pas violer la relation de confiance accordée par la banque, et qu’il est très important de respecter le délai imparti de remboursement.
Dans le cadre de difficulté de remboursement, il faut se rendre auprès de son banquier pour signer un protocole d’accord, et nous sommes toujours ouverts à comprendre les difficultés rencontrées sachant que l’on peut être confronté au cours de son existence à des situations délicates ou périlleuses. En revanche, nous trouvons inadmissibles les clients qui ont des activités profitables et décident de mettre en parenthèse les remboursements de la BCIMR. Nous avons déjà commencé cette année, mais nous comptons dès 2021 être très actifs sur le plan de recouvrement : nous allons lancer des poursuites en justice à l’endroit des clients débiteurs pour recouvrer les créances. Ce recouvrement va protéger le personnel de la BCIMR ainsi que les clients. Nous voulons rappeler aux clients que lorsque l’on contracte un prêt avec la BCIMR, certes c’est un contrat commercial mais aussi un contrat moral de confiance à respecter.
Seriez-vous entrain de dire que ces difficultés à recouvrir vos créances risqueraient de pas vous inciter à investir dans le pays ?
Non, pas du tout ! Au contraire, Djibouti dispose d’atouts considérables, notamment grâce à son positionnement géographique et une stabilité incroyable. La vision de 2035 du président de la République est très enthousiasmante, avec le développement d’infrastructures d’État mais aussi en partenariat public privé, de grandes zones franches, des ports naturels en eau profonde, un hub numérique, sept câbles sous-marins, un potentiel dans le solaire et l’éolien considérable qui est en train de prendre son envol avec les projets en cours. Grâce à tous ces projets, Djibouti fera énormément de progrès sur sa maitrise énergétique. Je suis très optimiste et confiant pour l’avenir du pays.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la lettre de crédit, et les taux pratiqués par votre banque sont-ils compétitifs ?
Il faut savoir que la lettre de crédit est un moyen de paiement sécurisé de la banque, c’est-à-dire que la banque qui émet le crédit documentaire s’engage irrévocablement à payer au terme du contrat. Donc on y trouve à la fois une partie de commission, et une autre de crédit. La banque notificatrice va annoncer à son client qu’un crédit documentaire est ouvert en sa faveur, donc à chaque étape de vérification des documents, une commission va s’appliquer. Si le client a des amendements ou des modifications, alors une commission va s’appliquer aussi. La lettre de crédit fonctionne comme une caution bancaire ou une garantie, ainsi, une commission est prélevée à chaque moment de la vie du crédit documentaire.
Il n’y a pas de surfacturation. Nous sommes sur le trade finance qui est un marché mondialisé très concurrentiel avec plusieurs acteurs, dont même des banques kenyanes très actives à Djibouti sur le trade finance. Ce qui va faire la différence c’est les réseaux de correspondent banking et la réputation de la banque. La BCIMR, sur la place de Djibouti, a la meilleure réputation internationale en terme de solidité, parce qu’elle est adossée à un acteur européen et possède un fort réseau de correspondent banking.
La BRED a-t-elle des agences en Afrique à part Djibouti ?
Non, la BRED n’a pas d’autre agence en Afrique. En revanche, nous avons des ambitions très fortes pour le marché éthiopien. La loi éthiopienne stipule qu’une banque étrangère ne peut s’installer sur le territoire, mais nous avons espoir que cette législation change, j’en eu l’occasion d’en discuté avec le ministre éthiopien des Finances et de la coopération économique Ahmed Shide à Addis Abeba, où, je me suis rendu fin septembre : ce qui nous permettrait de mettre en place une succursale de la BCIMR, qui est une banque de droit djiboutien avec des actionnaires franco-djiboutiens dont l’État détient 33%, la BRED 51% et un fonds yéménite le solde. Rappelons que c’est la seule banque de Djibouti dont l’État est actionnaire. Nous travaillons étroitement avec le concours des autorités djiboutiennes, que ça soit la Banque centrale ou le ministère des Finances, pour l’octroi d’une licence bancaire par nos amis éthiopiens.
Mon premier objectif sera de financer le corridor éthio-djiboutien qui part de Galafi ou la route Tadjourah-Balho. Nous allons financer les axes de commerce profitables aux deux pays, puisque ces deux pays limitrophes sont dépendants l’un de l’autre. Nous pensons qu’il y a plein de projets à financer sur le corridor djibouto-éthiopien. Nous regardons aussi avec grand intérêt le chemin de fer, qui va jouer un rôle important pour la facilitation du commerce vers l’Éthiopie.
Ça veut dire que le birr sera convertible ? Cette nouvelle réalité n’aura-t-elle pas un impact négatif sur Djibouti ?
Si l’Éthiopie veut adhérer à l’OMC, et veut accélérer sa croissance économique, son ouverture internationale est indispensable, et donc la convertibilité et la transférabilité du birr seront inévitables. Je crois savoir que cette réforme est portée par le Premier ministre Abiy Ahmed.
Les besoins vont augmenter à l’horizon 2030, avec 140 millions d’habitants en Éthiopie. Ceci dit, Djibouti va être au cœur de ces besoins malgré l’émergence de nouveaux ports : le port de Berbera c’est 13 mètres de profondeur, le port d‘Assab en Érythrée nécessite 400 millions de dollars au bas mot pour le mettre aux normes internationales. Djibouti n’aura aucun concurrent sérieux pour les dix ans à venir grâce à la qualité de son infrastructure et son savoir-faire portuaire. Je reste convaincu, par ailleurs, que les ports de Berbera ou Assab ne représenteront que des solutions complémentaires aux ports de Djibouti, vu les besoins énormes de l’Éthiopie, tant en termes d’importations que d’exportations.
Les Chinois ont massivement investis dans l’industrie pour profiter des avantages comparatifs compétitifs en Éthiopie dans les 23 zones industrielles. Il y aura peut-être un grand hub aérien d’Ethiopian Airlines, mais le fret aéroportuaire coûte cher par rapport au shipping. Du coup, la grande majorité des échanges continueront de se faire par shipping via Djibouti.
Avec la montée en puissance de ces zones, Djibouti va gagner doublement : on ne parle plus seulement d’importations, mais d’exportations de biens. Djibouti peut s’attendre à des années brillantes. Il devra poursuivre son développement et sa modernisation pour répondre à ces nouvelles opportunités.
Considérez-vous le montant des frais bancaires pratiqués par la BCIMR justifiés et surtout raisonnable ?
Sur les frais bancaires je suis extrêmement serein. Déjà, par rapport à l’ensemble du marché de Djibouti, j’ai des tarifs complètement dans la norme. On peut toujours extraire un frais où je suis plus cher qu’Exim ou de la CAC, et inversement, sur un autre c’est l’inverse, je suis moins cher.
Nous avons un tarif général et en fonction du profil du client tout est personnalisable. C’est une question de négociation. Moi je le redis, la banque choisis ses clients et les clients choisissent leur banque : c’est un équilibre. Quelqu’un n’est pas content de la BCIMR, il y a douze banques à Djibouti aujourd’hui. C’est-à-dire que moi, tous les jours, je fais attention à la satisfaction de mes clients, sinon ils ont 11 banques qui leur ouvrent les bras. Il n’y a aucune arrogance de la part de la BCIMR, beaucoup plus de commercialité. Je suis en train de remettre un zoom très fort sur la qualité du service rendu à la clientèle, la réactivité de mes commerciaux, l’intensité commerciale. Comment un client est-il satisfait, que va-t-il faire, va-t-il rester dans la durée avec une banque ? Vous allez me dire il y a le prix ! Le prix est toujours accessoire dans une relation. Qu’est-ce qu’attend un client de son banquier ? C’est qu’il soit connu de son banquier, qu’il puisse l’appeler à tout moment, qu’il ait facilement un rendez-vous et que, dans ses projets de vie, son banquier soit au rendez-vous, parce qu’il le connait bien et du coup il est réactif pour l’accompagner.
Quand vous avez quelqu’un que vous connaissez bien, qui vous appelle souvent, qui regarde vos projets de vie : vous n’avez pas envie de changer de banque. Et surtout, quand vous vous connaissez bien, le prix il est juste. Donc sur les clients qu’on apprécie et avec qui la relation se passe bien, les prêts sont toujours remboursés en temps et en heure, il n’y a jamais de décalage… on peut faire des efforts. L’essentiel de mon travail aujourd’hui, c’est de dire à mes commerciaux : « soyez plus à l’écoute pour nos clients, soyez d’avantage dans les boutiques des commerçants ou dans les locaux des entreprises pour discuter de leurs projets, pour discuter de la stratégie d’entreprise, pour savoir comment on peut apporter des services, et pour les particuliers, faites des RDV programmés pour écouter vos clients ».
Qu’est-ce que je veux faire moi ? je vais être très précis là dessus. Je veux inciter les Djiboutiens à avoir plus de dématérialisation dans leurs opérations bancaires, c’est-à-dire BCIMR Connect qui est un outil de e-banking, le meilleur de la place je pense. Avec une offre carte bancaire qu’on va totalement réviser cette année, et je pense que nous aurons la carte Visa d’entrée de gamme la moins chère de Djibouti. Elle sortira en mars 2021, puisque nous avons trouvé le bon moyen pour bien la facturer en préservant nos intérêts et les avantages des clients. Je pense que j’aurai la carte la plus compétitive au sein du réseau le plus important.
Je suis en train de faire venir les premiers TPE sans contact, les cartes sans contact. Là aussi, dans une période de pandémie et d’épidémie, le fait de payer sans contact, c’est plus simple, plus sûr et plus rapide. Je regarde les offres de porte-monnaies électroniques, que ce soit D-Money mais aussi l’offre NDGF de NomadeCom, qui sont sur le marché. En revanche, là où je suis moins incitatif et je l’assume totalement dans le prix, c’est faire des opérations en direct au guichet et des opérations papier.
Si je ne faisais que facturer sans offrir d’autres services moins chers et plus accessibles à tout le monde, là vous me diriez qu’effectivement je biaise les choses : les clients n’ont pas le choix. Ils sont obligés d’aller au guichet, et du coup vous les facturez. Ce n’est pas le cas. Je vais quasiment augmenter de 50% mon nombre d’ATM [1]. Ça veut dire que je vais offrir plus de points de retrait ; je vais avoir mon offre carte bancaire la moins chère de Djibouti, je vais avoir des TPE et des cartes sans contacts et je continue à améliorer BCIMR Connect avec qui je peux payer l’ONEAD, l’EDD, et demain j’espère Djibouti-Télécom.
Vous avez vu, en arrivant dans le hall d’entrée, le panneau de KikiDrop qui est un des premiers services de Delivery à Djibouti. Je vais essayer de les mettre dans BCIMR Connect, ainsi les Djiboutiens n’auront à se déplacer à leur banque que pour les projets importants, pour les projets structurants : le prêt ramadan, la rentrée scolaire, les prêts immobiliers, le prêt automobile, voilà, les projets de vie. Et là c’est important que je dégage du temps de mes équipes pour mieux écouter les Djiboutiens dans leurs projets de vie. Pour moi il s’agit de mettre moins de personnel à l’accueil guichet, pour le redéployer dans le commercial. Donc ma facturation vise une chose : rendre la vie plus facile aux Djiboutiens.
J’insiste. La BCIMR investi énormément : j’ai plus d’agences, plus d’agents, plus d’ATM, et une meilleure offre de cartes opérationnelles à partir de mars 2021. Dans ma facturation, je dis aux Djiboutiens que si vous utilisez ces services qui facilitent la vie, et d’ailleurs facilitent l’inclusion bancaire et libèrent du temps, vous payez moins cher vos services bancaires. En revanche si vous me prenez du temps au guichet, il faut que je paie le chargé d’accueil en fonction derrière le comptoir, il faut que j’amortisse les mètres carrés de mes agences, puisque du coup, j’ai besoin d’avoir des agences plus grandes si j’ai beaucoup de positions d’accueil. Je suis dans une logique purement économique. C’est-à-dire que les services qui me coûtent de l’argent et du temps, je les facture, et les services qui permettent de faire gagner du temps aux Djiboutiens, en dématérialisant, en digitalisant l’offre, reviendront par ailleurs moins chers. C’est ce que je veux mettre en lumière : il s’agit d’un contrat gagnant-gagnant.
Votre banque soutient-elle convenablement le secteur de l’immobilier ?
La BCIMR soutient bien ce secteur.
Quelle part représente ce segment sur votre chiffre d’affaires ?
Je ne peux pas vous donner dans l’immédiat une fourchette précise, je l’ai pas en tête, mais pour information, le marché du particulier en tant que tel fait à approximativement 20% de notre chiffre d’affaires.
Vous êtes plutôt une banque d’affaires ?
Je ne suis pas une banque d’affaires. La BCIMR est universelle, elle offre tous les services. En revanche, Djibouti a beaucoup de grands projets, et forcement les gros projets de Djibouti impactent le compte de résultat des banques qui les financent, notamment avec des montants qui sont de plus en plus importants, des engagements de plus en plus élevés. Mais, pour autant, est ce que je néglige mon réseau ? Pas du tout. Je le renforce. C’est un cercle extrêmement vertueux : bien qu’étant une banque des grands projets, qui suit la tendance de l’État souverain, les profits réalisés sur ces projets me permettent de réinvestir sur mon réseau pour le rendre plus solide, de conforter mes emplois, de mettre plus de services à la disposition de la clientèle. Et ce cercle vertueux je compte vraiment le confirmer à l’horizon 2025, où je veux que la BCIMR soit identifiée comme la banque des Djiboutiens. Que cela soit des entrepreneurs privés, que cela soit des représentants de l’État, de simples particuliers, qui se disent « je trouve de l’écoute à la BCIMR, j’ai des conseiller clientèle disponible et qui comprennent mes projets ». Et de temps en temps je dis « non ». Lorsque le projet me parait pas viable, me parait un trop audacieux, les gens sont trop endettés. C’est aussi le rôle de la banque de dire à son client : « là, attention vous êtes trop endetté, et s’il vous arrive le moindre accident de la vie, les choses risquent de se compliquer puisque les marges de manœuvres seraient trop réduites ». Et c’est aussi cela le rôle pédagogique de la banque, d’alerter sur le niveau d’endettement. Parfois, sur des projets d’investissements locatifs, il faut savoir y aller step by step sans prendre des risques inconsidérés. C’est notre rôle de savoir dire « non » lorsque l’endettement est excessif, lorsque l’on ne comprend pas très bien le débouché commercial, quel est le potentiel du marché, et que l’on me dit juste cela va être bon… Ce n’est pas suffisant : il faut que je comprenne ce que l’on vise, quel est l’objectif commercial, quel est le retour sur investissement, la rentabilité espérée. Voilà, je suis dans une logique économique, je suis un acteur privé, et c’est aussi mon rôle de temps en temps de challenger les projets et de dire « là, je suis désolé mais je ne comprends pas où vous voulez en venir : soit vous me le réexpliquez, soit vous reformulez votre projet, soit vous le réduisez, soit vous le réorientez un petit peu ». Je revendique ce droit à dire « non » lorsque le projet est mal monté ou l’endettement excessif. Comme je revendique le droit des clients à choisir leur banque.
Que le président du MEDEF, à la tête d’une délégation d’une cinquantaine d’entreprises françaises soit attendu à Djibouti est plutôt une bonne nouvelle pour la BCIMR ?
C’est un double avantage. Je viens de la BRED, de la banque grande clientèle de la BRED, où j’étais à la tête du département des grandes entreprises corporate. Grâce à cette mission, j’ai pu tisser des relations avec toutes les plus grandes entreprises françaises, notamment du CAC40 et du SBF120. Donc je les connais. J’ai passé également vingt ans chez HSBC ou j’étais en lien avec toutes les grandes entreprises internationales. J’étais patron de l’international pour la France et l’Europe continentale. Ce sont des dirigeants que j’ai croisé dans ma carrière professionnelle.
C’est un atout !
Oui, je suis français. Oui, c’est un atout. Oui, je connais bien le tissu macroéconomique français. Oui, j’ai une excellente relation avec l’ambassadeur ici, et lorsqu’il y a des projets positifs, bien montés, et émanant d’entreprise française que je connais bien, je suis ravis de les financer. Je vous le redis je représente les intérêts de mes actionnaires. Et pour ce faire, je n’hésite pas de mettre mon expérience et mes réseaux à la disposition de la BCIMR, pour faciliter son expansion à Djibouti et par ricochet faciliter le financement des projets du pays.
Que pourriez- vous dire sur les chantiers en cours ou futurs de la BRED à Djibouti ?
Je vais vous dire ma stratégie, elle est claire : je porte une vision sur 2025. Je resterai ici entre trois et cinq ans, et si je peux mener mon plan de développement pour la BCIMR à son terme, je le ferai avec grand plaisir. Je me sens vraiment très bien dans ce pays. Faire en sorte que la BCIMR demeure à cette échéance toujours le premier réseau bancaire ici. On a ouvert Obock samedi dernier [ndlr samedi 12 décembre], Dikhil est dans les cartons pour janvier ou février 2021. Et après, pour boucler la boucle, nous comptons ouvrir un point à Arta dans le courant du premier trimestre 2021.
Nous sommes en train de finaliser un partenariat avec la Poste, avec son directeur général Bahnan Ali Meidel qui est jeune et très dynamique et avec lequel je m’entends très bien. Du coup la BCIMR sera présente dans toutes les régions. C’est pour moi une grande ambition que le réseau de la BCIMR à Djibouti-ville soit bien positionné, on va peut-être l’adapter : j’ai par exemple une agence à 25 mètres derrière le siège, est-elle encore nécessaire ? Ce sont des pistes de réflexion, rien n’est encore décidé à ce propos. L’idée est d’optimiser nos implantations, pour qu’elles soient les plus stratégiques et pertinentes possibles. Et là où je suis très content, c’est que l’on est en train de négocier avec une grande marque de distribution de carburants pour être présent dans les stations avec des automates 7/7 jours, 24/24. Cela sera normalement annoncé fin janvier. Ces lieux offrent de nombreux services, puisque des petits commerces s’y sont ouverts. Ils sont devenus des espaces de vies, de rencontres, de détente, avec notamment des cybers ou des cafés/pâtisseries. Ces DAB contribueront à l’essor du commerce de proximité, avec un accès plus facile aux services bancaires.
Après, effectivement, on est la banque des grands projets, que cela soit ceux impulsés par l’État directement, ou via des investissements publics/privés, ou des investissements internationaux, qui de plus en plus comprennent la position de hub géostratégique de Djibouti. Je dois dire que l’ambassade de France à Djibouti fait un gros travail, sous l’impulsion d’Arnaud Guillois, pour remettre en scène l’attractivité de Djibouti. Les délégations se succèdent. Nous attendons celle du Medef, conduite par son président Geoffroy Roux de Bézieux, avec un peu plus d’une cinquante d’entreprises, courant janvier. Je peux citer aussi celle du secrétaire d’État chargé du tourisme auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean Baptiste Lemoyne, il y a encore quelque jours, en préparation de la visite du président Ismail Omar Guelleh à Paris à l’invitation du président Macron. On sent bien que la France, qui était moins présente, je n’aime pas dire absente car cela serait faux d’employer ce terme à mon sens, veut réoccuper, mieux accompagner le terrain qu’elle avait délaissé ces dernières années. Bien évidemment la France est très présente à travers ses forces armées, avec notamment un nouvel COMFOR extrêmement dynamique, Stéphane Dupont qui, je crois, sur le terrain militaire et sur les relations civilo-militaires est très actif. Là aussi on ne mesure jamais assez ce que pèse les FFDJ, et je crois qu’il a eu raison de le dire publiquement : ce sont entre 120 et 150 millions de dollars injectés dans l’économie djiboutienne. Ce sont plus de 5000 personnes directement ou indirectement. Des familles qui vivent à Djibouti, qui sortent dans Djibouti ville, créent des emplois. Dans le même ordre d’idée, et là aussi je ne veux pas comparer avec d’autres armées, mais ces forces françaises sont très contributrices à l’économie djiboutienne. Et ces éléments mis bout à bout me semblent très appréciables pour Djibouti. Bien évidemment on peut regretter le temps où, les FFDJ étaient autour de 10 000. Mais, contrairement aux légionnaires, un soldat de métier vient à Djibouti avec sa famille, prend un logement en location, fait fonctionner le commerce de proximité. C’est de l’injection directe dans l’économie djiboutienne. Et je dois ajouter qu’il y a une tradition culturelle à Djibouti qui fait que les Français s’y sentent bien, surtout compris moi, et qui fait que les Français vivent avec les Djiboutiens et pas à côté d’eux. Les Français ne sont pas repliés sur eux-mêmes ; ils ont un attachement particulier à ce pays, et les Djiboutiens le leur rendent bien. A titre personnel, je m’y sens tellement bien que, depuis mon arrivée, je visite les sites magnifiques de l’intérieur du territoire avec les membres de ma famille dans une sécurité de tous les moments : Day, Ditillou, Ras Syan, Bankoule, les iles Moucha et Maskali, Dasbiyo, Kor-Angar…
Pensez-vous que la visite du secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères chargé du tourisme Jean Baptiste Lemoyne préfigure d’investissements français dans le secteur du tourisme à Djibouti ?
Le tourisme est une vraie piste d’opportunités pour Djibouti. Je ne suis pas dans les secrets des Dieux mais il me semble que des accords notamment commerciaux importants devraient être annoncés à l’occasion de la visite officielle du président Ismail Omar Guelleh à Paris à l’invitation de son homologue Emmanuel Macron.
Vous en êtes vraiment convaincu ?
Complètement ! Je le confirme tous les jours. En revanche, il ne faut pas que Djibouti se trompe dans un certain nombre de décisions : il faut viser le tourisme écoresponsable, éviter un tourisme de masse, et plutôt s’orienter vers un tourisme haut de gamme qui va préserver le pays et ses richesses naturelles exceptionnelles : ses mangroves, comme Godoria, le lac Abbe, le lac Assal, les iles des Sept frères, ses plages notamment à proximité de Ras Syan, sa faune marine… Ces lieux sont tout simplement magiques. Il faut vraiment les préserver. C’est tout à fait possible aujourd’hui de développer des projets écotouristiques au sein de petites structures, parfaitement viables économiquement et créatrice d’emplois. C’est vers là qu’il faut s’acheminer. Le potentiel de Djibouti est tout simplement incroyable. J’ai envoyé des photos prises à Maskali et Moucha à des proches en France : ils m’ont demandé dans quel atoll du Pacifique je me trouvais… Quand j’ai répondu Djibouti, ils ont eu du mal à me croire. Djibouti, sans doute, ne communique pas suffisamment sur les charmes insoupçonnés de son territoire. Ces deux iles demandent juste à être valorisées de manière écoresponsable, parce que c’est un patrimoine naturel extraordinaire. Je ne vous parle même des fonds marin, des requins baleines, des coraux… D’ailleurs, pour mieux en profiter, je suis en train de repasser mon PADI pour profiter de la plongée. Pour le moment je suis en PMT, c’est-à-dire palme, masque et tuba.
La BCIMR est-elle prête à soutenir ce secteur ?
Oui, bien évidemment, dès que se présenteront des projets sérieux et bien montés ! D’ailleurs des beaux projets sont en cours, notamment avec le groupe Kamaj, qui vient de signer un bel accord avec le groupe Accor.
Est-ce que vous considérez que la BCIMR est un instrument ou un outil d’influence du rayonnement français à Djibouti ?
Je vais être clair, je suis de nationalité française. La BCIMR est une banque djiboutienne. Je n’ai pas à m’immiscer dans la diplomatie française, ce n’est pas mon rôle. Je suis un acteur privé. Je ne fais de diplomatie. Je ne fais pas de politique : je représente uniquement les intérêts de mes actionnaires. Et mes actionnaires sont l’État djiboutien et la BRED.
Bien sûr je dialogue avec la diplomatie française, je m’entends très bien avec l’ambassadeur Guillois, et ses services économiques. J’ai de l’amitié pour le général Stéphane Dupont, le commandant des Forces française stationnées à Djibouti.
La BCIMR compte-elle investir de manière plus importante le créneau des produits islamiques – en dehors des produits proposés durant la période de Ramadan ? Quel est la part de votre chiffre d’affaires sur ce segment ?
C’est une bonne question, c’est une réflexion que nous avons menée l’an dernier, qui ne s’est pas faite pour des raisons de consolidation comptable. Du coup on le fait ponctuellement, pour des offres spécifiques, et je trouve normal que l’on puisse offrir ce service à nos clients lors des périodes comme celle du mois du ramadan. Rallié aujourd’hui la finance islamique, pour nous c’est quelque chose de techniquement difficile, d’autant plus que nos commerciaux sont peu ou pas formés, donc cela prendra du temps, cela se sera pas pour 2021. Il y a quelques complexités techniques pour moi à regarder, notamment en terme de consolidation et des normes IFRS/IAS [2].
Je suppose que cela fera plaisir à vos concurrents, mais aussi un moyen de vous différenciez de certains d’entre eux. Quelle est la valeur ajoutée de la BRED sur le marché bancaire djiboutien ?
J’estime que je me différencie d’une grande manière. Je suis la banque internationale la plus sûre du pays en terme d’exécution, en terme de sécurité des dépôts qui sont replacés dans une banque européenne, et donc on garantit aux épargnants la sécurité de leurs dépôts, la sécurité des opérations internationales, le meilleur réseau de correspondent banking pour faire ces opérations de trade finance. Et ça, c’est une très grosse différence, parce que c’est une différence dans la capacité à exécuter les opérations internationales et donc la préservation des avoirs que nous confient nos clients. Nous sommes la banque la plus sûre de Djibouti, je le redis avec force.
À combien estimez-vous la part de la BCIMR sur le marché bancaire national ?
Le rapport de la Banque centrale 2019 est sorti. La BCIMR représente environ 30% de part de marché en fonction des différents critères.
En quoi consistent vos missions en qualité de président de l’association professionnelle des entreprises de crédit, concrètement ?
C’est simple, l’APEC réunit les douze banques de la place. On étudie les projets qui peuvent renforcer la place financière de Djibouti. On travaille main dans la main avec la Banque centrale, notamment sur le projet ATS-plus sur la dématérialisation et la télé-compensation des chèques, c’est une grande avancée. On regarde aussi les nouveaux moyens de paiements qui arrivent sur Djibouti, comment améliorer l’offre bancaire sur Djibouti. En terme aussi d’employabilité, nous représentons aujourd’hui plus de 2000 salariés, la BCIMR c’est 250 emplois. Ce sont des emplois qui sont bien rémunérés, au-delà de la moyenne de Djibouti. C’est une association professionnelle qui a pour but de favoriser aussi l’inclusion bancaire, d’améliorer et de renforcer la place financière de Djibouti, et tout se fait en grande collaboration avec la Banque centrale, car lors des réunions plénières de l’APEC, participe systématiquement un représentant de l’institution de régulation.
Propos recueillis par Mahdi A., photos Hani Kihiary