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Diplomatie et élection du Kenya au conseil de sécurité
par Macharia Kamaiu, juin 2020 (Human Village 39).
 

Jeudi, le Kenya a été élu pour un troisième mandat de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour la période 2021-2022.
La campagne qui a permis cet exploit historique n’a pas été comme les autres. Ce fut une véritable montagne russe diplomatique, pleine d’adrénaline et de rebondissements.
Alors que le Kenya se réjouit de cette victoire durement acquise, il est utile de réfléchir aux points forts de ce difficile périple pour mieux comprendre comment la capacité diplomatique du pays a été systématiquement déployée pour surmonter des obstacles.

Le Kenya avait proposé sa candidature pour le siège non permanent au Conseil pour les périodes 2013-2014 et 2018-2019, mais a dû se retirer en faveur du Rwanda et de l’Éthiopie,. Il était alors entendu que le mandat 2021-2022 irait au Kenya. Mais lorsque le Kenya a déclaré sa candidature en 2017, Djibouti, qui avait fait partie du consensus initial, a étonnamment exprimé son intérêt pour ce même siège en janvier 2018.
Pendant les 19 mois suivants, le Kenya a engagé avec Djibouti d’intenses consultations pour trouver un consensus qui servirait au mieux les intérêts de l’Afrique. En l’absence de résultat, le Conseil exécutif des ministres de l’Union africaine, lors de sa réunion du 5 juillet dernier, a décidé de déléguer au Comité des représentants permanents de l’UA la responsabilité d’approuver le candidat africain. Après une série de sessions, le comité a procédé à un vote le 21 août de l’année dernière. Le Kenya a gagné, dépassant la majorité des deux tiers et a été déclaré candidat de l’UA.

Le représentant permanent de Djibouti ayant félicité son homologue kenyan et déclaré que le Kenya représenterait l’Afrique avec compétence, l’élection de juin ne semblait devoir être qu’une formalité. Mais Djibouti a finalement déclaré être toujours dans la course. Le Kenya a dû rassembler ses ressources diplomatiques pour se préparer à une campagne énergique. Elle a pris un excellent départ, avec un lancement extrêmement réussi le 7 novembre 2019 à New York. Une stratégie élaborée qui allait permettre au Kenya de toucher littéralement toutes les capitales avant les élections de juin a été mise en place.

Une série de visites du président, du secrétaire du cabinet des affaires étrangères et du secrétaire administratif en chef, de l’envoyé spécial, des ambassadeurs à New York et à Addis-Abeba et de moi-même ont suivi, souvent en profitant des rencontres régionales et multilatérales. Avec discrétion, la raison de cette participation à des multiple réunions internationales et de ces nombreux déplacements était de recueillir des soutiens pour la candidature du Kenya. La mise en œuvre de cette stratégie s’est brutalement arrêtée en mars, lorsque le covid-19 a frappé.
Les événements régionaux et multilatéraux ont été annulés, les échanges de visites prévus n’ont plus été possibles. Une fois de plus, le ministère des affaires étrangères a dû retourner à la case départ. Paradoxalement, le nouveau coronavirus est devenu un élément clé de la stratégie du Kenya - notre modus operandi a toujours été de chercher le bon côté des choses. Le gouvernement a utilisé ses atouts en tant que membre du bureau des chefs d’État et de gouvernement de l’UA, du Conseil de paix et de sécurité de l’UA et de président en exercice de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OACPS) pour engager les dirigeants mondiaux à trouver des solutions à la pandémie.
En outre, le Kenya a pu organiser avec succès un sommet virtuel de l’OACPS ainsi que d’autres « webinaires » liés au covid-19, aux niveaux régional et mondial. Cela a permis de mieux faire connaître le pays et de défendre notre programme dans le monde entier.
Les deux dernières semaines de la campagne ont été marquées par la sensibilisation de toutes les capitales par des lettres te des appels téléphoniques ou vidéo. Des messages sur les médias sociaux ont également été diffusés sur différentes plateformes, en ciblant les électeurs.
Deux équipes de spécialistes des technologies de l’information ont été amenées au ministère des affaires étrangères et une autre dans un lieu non divulgué pour faciliter le renseignement.
Pendant ce temps, les missions du Kenya à l’étranger ont été activées pour faire publier dans des quotidiens et des périodiques à grand tirage de tous les pays des éditoriaux d’opinion démontrant la capacité du Kenya à respecter son programme en dix points.
En moins de deux semaines, des articles sur le Kenya sont parus dans plus de quarante pays et dans plus de quinze langues, dont toutes les langues de l’ONU. On estime que ces articles ont touché des centaines de milliers de personnes sur tous les continents.
Lors de la tenue d’une réception virtuelle ou le président Uhuru Kenyatta a pu s’adresser aux délégués à New York à la veille de l’élection du 17 juin, le Kenya était confiant dans ses chances de victoire.

Les élections aux Nations unies relève d’un alchimie diplomatique et idiosyncrasique peu connue, dont le Kenya maîtrise le savoir-faire et l’expérience. Nous savions que nous n’aurions pas une victoire nette au premier tour. Mais nous avions besoin de sa lecture pour recalibrer et orienter notre stratégie. Ce que nous devions faire, c’était nous assurer d’être en en tête au premier tour, comme nous l’avons finalement été avec 113 voix contre 78 pour Djibouti.
Nous avons pu établir plus ou moins qui étaient les 78. Nous savions maintenant ce que nous devions faire. Nous avons travaillé en direction de ces 78 pays pour obtenir les 16 voix dont nous avions besoin. Nous avons entrepris une multitude d’actions politiques et diplomatiques, dirigée par le président Kenyatta et les Affaires étrangères et coordonnée depuis le siège du ministère des Affaires étrangères par le secrétaire principal et l’envoyé spécial.
Au début du vote de jeudi, nous avons eu nos 16 voix confirmées après un effort acharné pour toucher toutes les capitales dans les douze heures afin de conserver les 113 voix que nous avions déjà et d’obtenir une part des voix de Djibouti lors du second tour des élections. Cet effort a porté ses fruits puisque le Kenya a obtenu 129 voix, ramenant celles de Djibouti à 61.
Le Kenya a réussi à s’en sortir parce qu’il a mené sa propre campagne en présentant son programme et en montrant qu’il était capable de le respecter ; il a fait preuve d’une extrême retenue en évitant les tensions, malgré les nombreuses provocations des autres parties ; il a systématiquement déployé tout un arsenal diplomatique, y compris et surtout, une puissance douce qui lui a permis d’être constamment visible sur la scène mondiale. Déployant son réseau mondial d’ambassadeurs et de hauts-commissaires avec un effet incroyable depuis l’Australie et le Pacifique au fur et à mesure du déroulement de la journée, en passant par l’Asie, le Proche-Orient et l’Europe, jusqu’à l’Amérique du Nord et du Sud et les Caraïbes à la fin de la journée.
Ce qui est ressort de cette expérience historique, c’est que lorsque le Kenya engage ses efforts diplomatique dans une direction, ses capacités sont formidables et, comme nos prouesses sportives, de niveau mondial.

Macharia Kamaiu, secrétaire principal du ministère kenyan des affaires étrangères

Traduction en français par Human Village d’un billet du journal kenyan Daily Nation, « The diplomatic intrigues behind Kenya’s UN Security Council win »,

 
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