L’Autorité des ports et des zones franches (APZFD) a annoncé hier, samedi 25, ne plus considérer « l’Association des transitaires djiboutiens comme une entité fiable dans ces moments difficiles, avec tous les défis posés par la pandémie. L’ATD ne sera plus autorisée à servir d’interlocuteur avec le Multimodal Transport Operator (MTO) ». Cette sentence définitive est catastrophique pour l’entité, qui perd toute raison d’exister. Cette décision entraîne la liquidation du groupement privé et donc le licenciement de sa cinquantaine de salariés. Pour faire bonne mesure, dans sa correspondance l’APZFD invite la soixantaine de transitaires membre de cette organisation à « prendre leurs dispositions et agir en conséquence pour pouvoir exercer l’activité multimodale » et rappelle que « l’unique interlocuteur reconnu par l’APZFD auprès du Multimodal Transport Operator (MTO) est le Regroupement des transitaires autonomes (RTA) ».
Quel motif peut expliquer une sanction si sévère qui va conduire, du jour au lendemain et sans autre forme de procès, à la liquidation de l’une des plus grandes sociétés de la place ? Nous nous sommes rendus auprès du président de l’Association des transitaires Djiboutiens (ATD), Hassan Ahmed Doualeh. L’homme rencontré ce matin - lundi 27 - a un visage marqué par l’épreuve. Il parait ne pas avoir fermé les yeux de la nuit. Il n’a pas été évident de lui arracher une réaction, mais devant notre insistance il accepte de livrer un peu de son amertume : « On veut démanteler une structure qui a quinze ans d’ancienneté pour un rendez-vous manqué ? L’autorité des ports et des zones franches, c’est devenu la Corée du Nord. On est sur le terrain de la puissance brute. J’ai passé des heures à m’interroger mais je n’arrive pas à comprendre ce qui peut justifier cette décision arbitraire ». La décision prise par l’autorité portuaire paraît si effarante pour un motif invraisemblable, qu’on doit demander au président de l’ATD si cette sanction n’aurait pas des objectifs cachés ? « Nous n’avions aucun problème avec les services portuaires. Ils ont demandé une modification des personnes désignées pour assister aux réunions du comité sanitaire Covid-19. Même en désaccord avec cette injonction, on s’y est plié au sein de l’ATD. Nous avons proposé de nouvelles personnes, en retirant aussi mon nom pour devancer toute polémique sur le sujet. C’est la raison pour laquelle on considère que les éléments invoqués dans la correspondance nous radiant du multimodal, n’ont pas de sens. C’est un prétexte éhonté pour faire baisser le rideau à l’ATD. La cause est à chercher ailleurs. »
Sans rentrer dans le fond du dossier, on ne peut manquer de s’étonner de la dureté du sort réservé à l’entreprise, aggravé par l’impossibilité de recours pour contester la sentence. Par ailleurs, comment expliquer qu’elle soit pas graduelle ? N’aurait-il pas été plus équilibré d’assortir la suspension à une astreinte financière proportionnée aux moyens financiers de la société jusqu’à la mise en conformité avec les mesures sanitaires, plutôt que de démembrer un outil de travail qui a pourtant largement fait ses preuves dans le domaine portuaire.
« L’Autorité portuaire devrait mettre plus de forme, ce n’est pas très sérieux et montre le niveau des interlocuteurs », observe un fin connaisseur du dossier qui a demandé à conserver l’anonymat. La connaissance du secteur portuaire des membres de l’ATD l’impressionne. Sans compter qu’il y a, selon la même personne des risques à poursuivre dans cet entêtement insensé. « Mettre à l’arrêt l’ATD revient indirectement à se couper de la branche sur laquelle on est assis. Sans les transitaires, les activités portuaires sont asphyxiées. Hassan est le porte-voix d’une équipe d’entrepreneurs qui assume la gestion de l’ATD depuis plus de dix ans. Ces opérateurs sont très influents et négocient directement avec Ethiopian Shipping Line (ESL). Destituer Hassan : pour le remplacer par qui ? C’est le seul qui fait consensus. L’ATD est une belle machine. J’en suis un des concepteurs, je peux d’autant mieux en parler. Le groupement est né des retards des paiements des clients éthiopiens. Le gouvernement djiboutien n’avait pas les moyens de soutenir ce secteur et les transitaires accusaient un débit important à la banque qui correspondait au non paiement des débours éthiopiens. Il fallait trouver des solutions alternatives pour permettre d’accompagner un secteur primordial pour les deux pays. C’est ainsi qu’il a été décidé que les banques nationales puissent mieux accompagner ESL, notamment en lui accordant une ligne de décaissement pour couvrir ses engagements pour l’activité de transit à Djibouti. ESL a chiffré dans un premier temps à un milliard de DJF ses besoins de financement. Le gouvernement est intervenu auprès d’une banque de la place pour demander d’aligner cette ligne de facilité sur la structure de l’ATD. Les transitaires n’avaient plus de retard car ils étaient règlés sur le découvert de un milliard garanti par ESL. C’est la naissance de l’ATD comme puissance. Le procédé a fait merveille, au point que le comité de la direction du groupement a démarché d’autres banques pour obtenir des financements personnels sur le même principe. En contrepartie, ils domiciliaient les revenus de leur entreprise. Les moyens financiers mobilisables pour couvrir les coûts du fret éthiopien ont été démultipliés à un niveau jamais égalé. » Il faut reconnaître que cette idée ingénieuse a favorisé l’essor du transit national.
Un transitaire membre de l’ATD est en colère face à cette situation qu’il considère comme inique. « Chaque jour d’arrêt a des conséquences économiques dramatiques pour nos sociétés. On a bien évidemment pris des mesures pour protéger nos employés les plus exposés. À titre personnel, comme le recommande notre groupement, j’ai appliqué les mesures de prévention préconisées par l’OMS : distanciation physique, lavage régulier des mains, gants, masques, gel hydroalcoolique… Au-delà de la santé de mes employés, il en va aussi de la mienne et de celle de mes proches. On a tous conscience qu’un contaminé devient un propagateur du virus, et là c’est le risque collectif qui augmente de facto. Quel serait notre intérêt à aller à l’encontre de la mise en œuvre des mesures pour protéger les acteurs de nos entreprises. On nous dit de changer de boutique parce que l’on souhaite démanteler une entreprise qui compte sur le secteur et qui n’hésite pas à défendre ses intérêts et ceux de sa corporation. Pourquoi veut on faire taire une voix qui sait se faire entendre. On assiste à un double discours des pouvoirs publics qui disent vouloir renforcer le secteur privé, se constituer en corporation, et voir s’exprimer un interlocuteur unique dans le dialogue public-privé, et dans le même temps, lorsque ce dernier fait entendre ses revendications, ses souhaits, ses ambitions, et parce que l’on considère qu’il est un interlocuteur de poids, on décide de le déboulonner sous un faux prétexte ».
Un autre membre du groupement interrogé ne cache pas son exaspération du fait de cette situation sidérante selon ses propos ayant entrainée l’arrêt de toutes ses opérations depuis une dizaine de jours. « L’excès est la cousine germaine de la folie dit un proverbe Afar. Aboubaker Omar Hadi veut à tout prix rendre l’âme à une entreprise qui ne génère pas loin de dix milliards de nos francs de chiffre d’affaire annuel, et dont les membres emplois plus d’un millier de personnes pour prétendument un rendez-vous manqué. Encore une de ces abberations. A quoi rime cette mascarade ? Il faut que l’on reprenne nos esprits et que l’on calme le jeu. Je ne veux pas tirer le diable par la queue mais tout de même un enfant de dix ans peut comprendre que cette opération de diabolisation de l’ATD pour mise en danger de son personnel, avec des accusations reposant sur rien si ce n’est un rendez-vous manqué est une sacrée tromperie. ESL doit des millions de dollars à l’ATD, comment allons-nous récupérer notre argent de la partie Éthiopienne ? Le Regroupement des Transitaires Autonomes (RTA) n’a que trois ans d’existence, il ne dispose ni de l’assisse financière, ni de l’expertise et encore moins de l’expérience des responsables du bureau de l’ATD. Pourquoi vouloir tuer dans l’œuf un extraordinaire outil logistique au service du pays pour des raisons qui nous paraissent obscurs ? Quelle image veut donner le président de l’Autorité des ports et des zones franches Aboubaker Omar Hadi à notre pays : une contrée ou le climat des affaires n’est sain ? Il y a vraiment de quoi se demander si l’on n’est dans une patrie ou une tanière ! Tout cela m’écœure et me donne envie de tout brader et d’aller voir ailleurs. Après on s’étonne que les djiboutiens investissent leur argent au Canada, en Turquie, où, à Dubaï. Ici, c’est l’incertitude qui règne, vous pouvez bâtir une belle réussite, mettre tous vos efforts à l’ouvrage, et vous retrouvez un beau matin plus que la chemise sur le dos. » Bref, on pourrait résumer cette plaidoirie par un dicton, ici « l’occasion fait le larron »… Les membres de l’ATD, bien que dépités, ne veulent pas se résigner à baisser le rideau.
Mahdi A