Le second tour du vote - après celui du 5 août dernier - pour désigner le pays qui recueillera le soutien de l’Union africaine pour la représenter au Conseil de sécurité des Nations-unies pour 2021-2022, s’est déroulé ce mercredi après-midi à Addis-Abeba. Djibouti et le Kenya n’étant pas parvenus à s’entendre sur le désistement d’un des candidats, 51 nations se sont exprimées dans un vote à bulletin secret pour les départager. Le Kenya a remporté 37 voix, contre 13 pour Djibouti. Il s’agit d’une nouvelle décevante, voire humiliante, pour le pays qui n’est malheureusement pas à son premier échec au sein de cette instance. Djibouti ne l’entend cependant pas de cette oreille et le fait savoir dans un communiqué rendu public hier, jeudi 22 août, dans lequel, elle rappelle rester « attachée à sa candidature au Conseil de sécurité pour la période 2021-2022 ».
Comment expliquer la réaction outrée de Djibouti ?
Djibouti estime être dans son bon droit en maintenant sa candidature, laissant penser avoir été roulé dans la farine par le Kenya. Ce dernier se serait-il dédit d’un gentlemen agreement entre les deux nations ? Aurait-il manqué à la parole donnée en concourant au suffrage des nations continentales, alors qu’il aurait convenu avec la République de Djibouti de se retirer et soutenir notre candidature au sein de l’organisation africaine pour siéger au Conseil de sécurité ? Sinon comment expliquer les déclarations rassurantes et empreintes de reconnaissances et d’amitié à l’égard du Kenya, de notre ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Mahmoud Ali Youssouf, sur les ondes de la RTD le 18 juin 2019, au sortir d’un entretien à la présidence de la République avec Monica Juma, ministre des Affaires étrangères du Kenya, porteuse d’un message du président Uhuru Kenyatta, très probablement relative à cette question de candidature. Le sujet a sans aucun doute été au cœur des échanges entre les deux délégations. Le communique publié à l’issue de la rencontre mentionne bien que le sujet a été discuté [1].
La communication djiboutienne ne semble pas indiquer autre chose que la volonté des deux parties d’arriver à un consensus pour ne voir qu’une seule nation concourir pour le siège au Conseil de sécurité.
Cette analyse est corroborée par l’assurance affichée par le ministre Mahmoud Ali Youssouf, au sommet de l’Union africaine, à Niamey au Niger en juillet 2019, où il avait, au micro du média public radiotélévisé national (RTD), laissé transparaitre que les tractations avaient été fructueuses, puisqu’il déclarait sa satisfaction, et même sa fierté, de voir les membres de l’Union africaine, être parvenus à un consensus sur le choix de la candidature de Djibouti au Conseil de sécurité, en qualité de membre non permanent.
D’ailleurs, Djibouti n’avait aucune raison de douter d’un retour d’ascenseur du Kenya, puisque le pays avait de puissants arguments à faire valoir, comme d’avoir soutenu la candidature de la ministre des Affaires étrangères kenyane, Amina Mohamed Djibril, pour succéder à la présidente Dlamini-Zuma. Pourtant en acceptant d’apporter sa voix, Djibouti acceptait de facto, de faire hara kiri à son propre candidat, l’ancien ministre, Yacin Elmi Bouh, que notre pays proposait, pour le poste de vice-président, du fait, d’une règle tacite, qui veut que le président et le vice-président ne puissent être issues de la même région. Yacin Elmi Bouh avait été sacrifié sur l’autel des liens fraternels et du bon voisinage. Le président Guelleh avait sans doute espérer que son homologue, Uhuru Kenyatta, en aurait gardé souvenir… Aurait-il au moins gardé en mémoire un concours plus récent, apporté par notre nation pour permettre que le kenyan John Omo, puisse décrocher les rênes de l’Union africaine des télécommunications (UAT) pour les quatre prochaines années ? Apparemment, non ! Piqué au vif par cette attitude indélicate, la réaction n’a pas tardé...
La question de la nécessaire rotation
Le communiqué ne manque pas de mettre en exergue un point, qui est fondamental aux yeux du gouvernement djiboutien : la nécessaire rotation des postes au sein des instances internationales entre les nations d’une même région. C’est le principal motif pour lequel Djibouti récuse d’office la possibilité du Kenya à se porter candidat, la considérant illlégitime. Le Kenya ne peut pas systématiquement imposer ses vues, il faut respecter les convenances, les civilités, la parole donnée… Pour rappel, Djibouti n’a siégé au Conseil de sécurité, qu’au cours d’un seul mandat de deux années, en 1993-1994, alors que le Kenya, affiche déjà deux mandats au sein de cette prestigieuse instance, en 1973-1974 et 1997-1998. Pour Djibouti, la couleuvre passe d’autant plus difficilement que le Kenya, et les Seychelles, s’étaient retirés avant le vote de l’Union africaine en faveur de l’Éthiopie en janvier 2016, permettant à ce grand voisin de représenter l’Afrique par consensus durant le mandat 2017-2019. Djibouti, qui n’avait alors pas candidaté, pour ne pas nuire à l’Éthiopie, avait pourtant clairement indiqué ses intentions pour le mandat 2021-2022.
Bien que la République de Djibouti, soit le plus petit des 14 États de la région de l’Est, elle estime inacceptable ce comportement de rustre d’un précieux partenaire. A l’aune de ces arguments mis bout à bout, Djibouti a opté pour l’affrontement diplomatique, et n’entend pas se laisser piétiner comme une sorte de paillasson aussi aisément. D’ici à juin 2020, elle compte mener une vaste campagne pour mobiliser des soutiens, partout autour du globe. En effet, la partie n’est pas encore gagnée pour le Kenya, le pays devra recueillir au moins les deux tiers des votes (129 sur 193) lors de l’Assemblée générale qui se tiendra en juin prochain à New York. C’est sans compter sur un os : Djibouti ! La nouvelle n’a sans doute pas dû réjouir Uhuru Kenyatta, qui pensait probablement en avoir fini, anticipant probablement la victoire, et avait entamé la seconde bataille en rencontrant ces dernières semaines, pas loin de dix-huit chefs d’État dans une vaste campagne de séduction [2]. Le voilà pris à son propre piège, ces mauvaises manières faites à son allié djiboutien, vont lui être, appliquées… Discourtoisie, incivilité, irrespect !
Ceux qui se gloussaient, feraient mieux de tourner sept fois leur langue. Dorénavant, les chances de Djibouti de retourner la table et, in fine, de parvenir à faire dérailler ce scénario écrit d’avance, existent… Djibouti, peut d’ores et déjà, se targuer du soutien des 57 États de l’Organisation de coopération islamique. Cela ne sera pas suffisant, mais c’est un bon point de départ. La course est lancée pour recueillir les parrainages des chefs d’État et de gouvernement qui ne se sont pas encore publiquement exprimés.
Bien entendu on peut laisser les deux concurrents aller au ring, et voir lequel des deux sortira vainqueur. Pour éviter d’accroitre davantage les lignes de fractures et de tension dans la Corne, une autre voie est aussi possible, celle de la diplomatie et la négociation… Elle n’a probablement pas été suffisamment explorée. Qu’est ce qui empêche les deux pays de s’entendre sur le partage du mandat de deux années, chacun occupant, tour à tour, un an le prestigieux siège ? L’hypothèse n’a rien de farfelue. Comme cela ne mange pas de pain de discuter d’un fauteuil pour deux, pourquoi s’en priver ?
Mahdi A.
[1] « A noter aussi que la question de la candidature de Djibouti et du Kenya au poste de représentant non permanent du conseil de sécurité a été longuement abordée.
Sur ce point, il y a lieu de rappeler que notre pays et le Kenya entretiennent depuis quelques temps des discussions afin que l’un des deux se désiste au profit de l’autre pour être pour deux ans (2021-2022), le représentant de l’Afrique de l’Est au conseil de sécurité au conseil de sécurité des Nations unies » (Voir en ligne).
[2] « Kenya : opération séduction pour un siège non permanent au Conseil de sécurité », RFI, 12 août 2019.