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La paix des braves entre Isaias Afeworki et Ismaïl Omar Guelleh
par Mahdi A., septembre 2018 (Human Village 34).
 

Après plus de dix années de gel des relations entre les deux pays, c’est un renouveau qu’augure la rencontre tant attendue entre les deux exécutifs de l’Érythrée et la République de Djibouti, Isaias Afeworki et Ismaïl Omar Guelleh.

Rien n’a été laissé au hasard, ni même le lieu de la rencontre, Djeddah, à quelques dizaines de kilomètres de la Mecque, le plus important lieu saint de l’Islam donc sous la protection de "Dieu", même si Isaias n’est pas musulman. Les petits plats ont été mis dans les grands, la presse conviée en nombre pour immortaliser non seulement l’audace de tourner une triste séquence de deux hommes, dorénavant « épris » de paix et d’intégration régionale renforcée, mais aussi et surtout, mettre en scène, le richissime bienfaiteur de ces réconciliations inespérées, le roi d’Arabie saoudite, Salman Bin Abdoulaziz Al Saoud. Notons que, le président somalien, Mohamed Abdillahi Mohamed, dit Farmaajo ainsi que, le lion d’Abyssinie, Abiy Ahmed, ont manifestement joué un rôle considérable pour permettre le rapprochement entre les leaders. Ils se sont montrés discrets dans leur contribution, c’est tout à leur honneur !
Les deux chefs d’État en se rendant à Djeddah répondaient à l’appel de médiation lancé par le roi. Les retrouvailles entre les deux anciens ennemis ont été à la hauteur de l’événement, elles ont été empruntes de chaleur comme en témoigne la longue accolade et les multiples poignées de mains entre les deux hommes du même âge, sous l’œil vigilant des caméramans et photographes. Les deux hommes sont allés jusqu’à se tenir la main en marchant, le sourire aux lèvres, comme pour mieux souligner la qualité du nouveau tempo entre les deux pays. Les images ont rapidement inondé les réseaux sociaux, et ont été de nombreuses fois partagées par une population djiboutienne enthousiaste de cette réconciliation. A en croire les photos, Ismaïl Omar Guelleh semblait être au septième ciel.

L’audace de se réconcilier et de tirer un trait sur le passé
« [Dans] la foulée de cette audience [avec le roi], le président de la république a rencontré son homologue érythréen, M. Isaias Afeworki avec lequel, sous l’égide d’une médiation conduite par le royaume d’Arabie saoudite, représenté par son ministre des Affaires étrangères, il a donné le top départ d’un processus officiel de normalisation de nos relations avec ce pays.
Notre pays avait déjà apporté son accord au principe d’une normalisation de ses relations avec l’Érythrée à la faveur du déplacement récent à Djibouti, le 06 septembre 2018, des chefs de la diplomatie de l’Éthiopie, de la Somalie et de l’Érythrée », indique le communiqué de presse de la présidence.

La visite à Djibouti au début du mois du ministre des Affaires étrangères d’Érythrée, Osman Saleh Mohamed, a permis de briser la glace et d’enclencher une véritable détente entre les deux pays, puisque pour la première fois depuis plus d’une dizaine d’années, ils engageaient un dialogue direct. Indéniablement les deux pays avaient décidé d’apaiser les tensions pour qu’il n’y ait plus d’affrontements armés. Le premier acte avait été le rétablissement des relations diplomatiques. Après cette première prise de contacts satisfaisante, il n’y avait plus d’obstacle à une rencontre entre Ismail Omar Guelleh et Isaias Afeworki.
Les réactions pour saluer cet événement n’ont pas tardé, dont notamment du secrétaire général des Nations unies. « Pour le secrétaire général, ce sommet représente “un nouveau pas dans la consolidation de récentes avancées pacifiques et sécuritaires dans la Corne de l’Afrique”. Antonio Guterres espère qu’il “conduira à encore plus de paix, de stabilité et de développement dans la région”, ajoute le communiqué en saluant les efforts des dirigeants du royaume saoudien pour “faciliter le dialogue entre Djibouti et l’Érythrée”. Cette rencontre s’est tenue au lendemain d’un sommet toujours à Djeddah entre les présidents d’Érythrée et d’Éthiopie, qui ont signé un accord consolidant leur réconciliation et renforçant “la sécurité et la stabilité dans la région” » [1].

Djibouti n’impose plus de conditions préalables au dialogue !
L’Arabie saoudite a joué un rôle positif pour que le dialogue se passe dans de bonnes conditions, même si on peut penser qu’un des facteurs ayant contribué au réchauffement des relations entre les deux pays est justement la volonté d’en finir avec la guerre dans la région. Sans compter que Djibouti avait une marge de manœuvre étroite, puisqu’elle se retrouvait seule, isolée dans la Corne.
« Nous pensons que l’avenir nous réserve de bonnes choses, une bonne perspective de développement, une bonne perspective d’intégration et nous allons y travailler. Ce sont les instructions que le président de la République nous a données et il faut reconnaître les mérites de notre président qui a toujours été cohérent dans la position que nous prenions vis à vis de cette crise, qui a toujours voulu aller de l’avant avec toujours à l’esprit que la paix était préférable au statu quo. Aujourd’hui le grand mérite c’est d’avoir eu cette riche idée pour aller de l’avant et ouvrir une nouvelle page qui nous permettra de résoudre tous les problèmes à travers des moyens pacifiques », a déclaré ce matin, mardi 18 septembre, le ministre djiboutien des Affaires étrangères à la RTD.
Des négociations permettront d’établir des frontières sûres et reconnues par la communauté internationale, probablement à partir de cartes coloniales. Ces modalités ont été certainement convenues avant l’arrivée d’Ismaïl Omar Guelleh, à Djeddah puisque, selon les informations diffusées par la BBC hier, le ministre des Affaires étrangères djiboutien, Mahmoud Ali Youssouf, avait précédé le chef de l’État de 48 heures en Arabie saoudite, certainement pour régler les derniers détails et trouver une solution acceptée par les deux parties. Les derniers points d’achoppements ont été aplanis sans doute à la dernière minute, puisque la rencontre historique entre les deux exécutifs n’a été annoncée aux médias qu’à l’issue des entretiens. Le risque que la négociation achoppe n’était pas exclue jusqu’à la fin.

« Il y a toutefois lieu de rappeler que la République de Djibouti avait toujours indexé le principe de normalisation de ses relations avec l’Érythrée à la condition préalable que ce pays lui restitue les portions du territoire djiboutien qu’il occupe et qu’il libère nos soldats tombés entre ses mains dans le cadre de l’éphémère affrontement militaire djibouto-érythréen d’août 2008 », rappelle le communiqué de la présidence à l’issue de l’entretien entre les deux personnalités. [En réalité, l’affrontement entre les deux armées s’est déroulé le 11 et 12 juin 2008, et non, comme indiqué sur le communiqué, en août 2008, ndlr].

Finalement les deux parties affirment être prêtes à engager des négociations bilatérales directes, mais sans conditions préalables, autrement dit, en acceptant de mettre fin aux différends et à toutes les requêtes en suspens, permettant le retour des relations normalisées, aussi bien commerciales, touristiques, et culturelles, contribuant ainsi au renforcement de la sécurité régionale.
Avec la levée de cette dernière entrave, c’est le démarrage d’une coopération économique d’intérêt majeur pour toute la région, l’émergence prochaine du marché commun des pays de l’IGAD qui se profile en filigrane !

Accepter une telle demande pour Djibouti revient à renoncer à ces exigences avant même l’ouverture de négociations. Mais, il s’agit de construire la confiance, de mettre en priorité les intérêts communs de la région, la région est lasse des guerres, des tensions, des affrontements perpétuels, des peuples meurtris. Djibouti a préféré plutôt parier pour le rétablissement de son bon droit à travers le mécanisme de supervision de médiation, soigneusement ficelé par les deux pays, aussi bien pour le différend territorial, que le retour, de ses soldats de guerre, ou le cas échéant, de leurs dépouilles. La mésentente entre les ennemis d’hier, c’est du passé !
La mise en scène, - pour ne pas dire théâtralisation - des réconciliations Érythrée-Éthiopie et Djibouti-Érythrée, sous les auspices du roi Salman Bin Abdoulaziz Al Saoud et du fougueux prince héritier, Mohammed bin Salman Al Saoud, aura permis aux Saoudiens de présenter un visage d’hommes de paix. C’est bon pour l’image des dirigeants de cette pétromonarchie, montrés du doigt par la communauté internationale et les organisations non gouvernementales pour les crimes perpétrés dans une guerre oubliée et honteuse, au Yémen, dont les principales victimes sont des civils innocents. L’outrance de ce pays s’exprime aussi lorsqu’il pousse au conflit armé avec le Qatar, et plus encore avec l’Iran. Il y a peu de chance que cette contribution à la paix dans la Corne suffise pour occulter les conséquences abominables, de la “pire crise humanitaire de la planète” selon les Nations unie pour souligner les atrocités commises dans cette sale guerre, où un peuple est bombardé aveuglément par les Saoudiens et leurs alliés, principalement Émiratis, y compris des massacres d’écoliers comme encore récemment, à l’école de Dahyan… On parle pour ce pays pourtant surnommé, « l’Arabie heureuse » de plus 50 000 morts, 7 millions de personnes au bord de la famine, trois millions déplacées internes, deux millions d’enfants non scolarisés, et un million d‘autres touchées par le choléra.

Il convient de préciser que, malgré, la fin de l’obstruction de Djibouti, à la levée des sanctions onusiennes sur l’Érythrée, ce pays n’est pas prêt de les voir prendre fin dans un avenir proche. Questionné le 12 septembre dernier au Congrès sur le réexamen de celles-ci, du fait du rapprochement de l’Érythrée avec l’Éthiopie, Tibor Nagy, secrétaire adjoint aux affaires africaines au département d’État américain, a émis des réserves appuyées, justifiant la nécessité de les préserver pour permettre l’atteinte d’avancées significatives sur les questions liées aux droits de l’homme, à la liberté de culte, ou les détentions arbitraires [2]. L’Érythrée n’est décidément pas sortie de l’auberge...

Mahdi A.


 
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