Le 2 juillet dernier, interrogé par la journaliste de BBC Afrique, Lilianne Nyatcha, notamment sur la manière dont Djibouti appréhende le rapprochement entre l’Éthiopie et l’Érythrée en marge du Sommet de l’Union africaine en Mauritanie, Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères, répond de manière alambiquée :
« Tout ce qui peut contribuer à la paix entre les États, et à la stabilité régionale est le bienvenue et surtout de bon augure pour la Corne de l’Afrique. Nous savons que l’instabilité qui règne dans la Corne de l’Afrique a beaucoup freiné le développement, a freiné également tout le processus d’intégration que nous essayons de mettre en place entre les pays de l’Igad et nous essayons de voir également comment Djibouti peut tirer son épingle du jeu car Djibouti a aussi des problèmes avec l’Érythrée. Nous espérons que cela aura, le rapprochement et la paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée, des répercussions positives sur les relations entre l’Érythrée et Djibouti. Djibouti a toujours privilégié les moyens diplomatiques pour résoudre les problèmes qui l’opposent à l’Érythrée » [1].
Il faut comprendre que l’Éthiopie joue cavalier seul dans ce rapprochement alors que, jusqu’alors, les deux pays agissaient de concert, un peu comme des duettistes. C’est dire la confusion et la perte de repère qui règne dans la diplomatie djiboutienne depuis ce virage inattendu à 180 degré de la position de l’Éthiopie à l’égard de l’Érythrée.
Mahmoud Ali Youssouf est d’autant plus mal à l’aise pour tendre la main à l’Érythrée que jusqu’à présent il a été le tenant de la ligne la plus dure ; un faucon assumé, grand artisan [2] – avec le concours de l’Éthiopie de Meles Zenawi et de l’Administration américaine Obama - de la politique qui a permis l’isolement sur la scène internationale de l’Érythrée, en sus d’être un tenant de la manière forte à propos d’Asmara. Il faut ajouter qu’au niveau national il est réputé - sous un langage policé – pour sa ferme opposition à l’ouverture de l’espace politique ou au renforcement de la liberté de la presse (au classement mondiale de la liberté de la presse Djibouti a reculé d’un rang entre 2017 et 2018, passant de la 172ème position à la 173ème) [3].
Ses positions antérieures sur l’Érythrée l’excluent naturellement d’une participation à l’ouverture d’un canal de rapprochement avec notre voisin. Il faudra trouver pour mener ce dialogue une personnalité politique moins marquée au fer rouge par le régime d’Isaias Afeworki pour enclencher une réelle détente et créer une atmosphère propice à la réconciliation.
La Nation du jeudi 14 juin nous apprenait que notre pays était désigné pour recevoir le prix « 2018 de la paix mondiale au nom de l’humanité » délivré par l’organisation internationale la Paix Mondiale Sans Frontière. Bien que notre rédaction n’ait jamais entendu parlé de ce prix ni de cette organisation, il ne faut pas bouder les bonnes nouvelles. Dans le prolongement de cet esprit de concorde tant vanté pourquoi ne pas faire fi du passé et prendre le train en route... Cela ne mange pas de pain de faire le premier pas, et proposer de prendre une tasse de café dans le cadre idyllique de celle que l’on qualifie de "petite Rome" d’Afrique pour son héritage architectural préservé et très coquet de la ville d’Asmara, avec Isaias Afeworki afin de prendre le pouls de ses intentions maintenant que l’injustice qu’il ressentait - à juste titre d’ailleurs - concernant le cas de Badme a été levée ! Qui sait au bout de cette escapade pour la paix chez notre voisin se cache t-il une belle surprise au sujet non seulement du sort de nos prisonniers de guerre que pour le solutionnement de notre différend frontalier ?
Mahdi A.
[1] « Mahmoud Ali Youssouf, ministre des affaires étrangères de Djibouti », BBC Afrique, 2 juillet 2018.
[2] La souveraineté de Djibouti sur le Ras Doumeira et l’île de Doumeira, ministère des Affaires étrangères de la République de Djibouti, décembre 2009.
[3] « Classement mondiale de la liberté de la presse Djibouti », Reporters sans frontières, 25 avril 2018.