Le Premier ministre éthiopien est attendu à Djibouti, samedi 28 avril 2018 pour une visite d’État de 48 heures. Interrogé par l’éditorialiste de Jeune Afrique sur sa perception de la relation qu’il pense entretenir avec le successeur d’Hailemariam Desalegn, avec qui il entretenait d’excellentes relations, le chef de l’État djiboutien estimait que cela continuerait ainsi. « Je le crois, oui. Nous nous sommes parlé au téléphone. Il m’a dit que sa première visite à l’étranger sera pour Djibouti. Il est jeune, sympathique, bien accueilli par la population. C’est un très bon choix pour l’Ethiopie » [1].
Le président Guelleh s’est empressé de prendre le pouls de la nouvelle relation au cours d’un échange téléphonique le 27 mars dernier avec celui qui était devenu le nouveau leader de la coalition au pouvoir de l’EPRDF. Il a été certainement rassuré, puisque celui qui s’apprêtait à devenir Premier ministre avait indiqué son souhait d’effectuer sa première visite à Djibouti, pour marquer toute l’importance qu’il accorde à la relation djibouto-éthiopienne. On dit souvent que le premier voyage officiel est le symbole de la politique extérieure à venir, c’est de très bon augure donc…
Le chef de l’État avait marqué sa confiance dans la nouvelle direction éthiopienne lors de cette conversation en précisant que « Nul doute que votre importante expérience professionnelle et votre aptitude à servir de passerelle entre les différentes composantes culturelles et religieuses de votre pays vous seront de précieux concours dans vos nouvelles fonctions de responsables en chef de la plus grande alliance politique de la République fédérale et démocratiques d’Éthiopie. La République de Djibouti, partenaire majeure de votre pays, voit votre élection à la tête du principal mouvement politique éthiopien comme un gage efficient et une garantie suprême à la poursuite des partenaires stratégiques et gagnant-gagnant que nos deux pays entretiennent dans tous les domaines du développement. Je suis sûr que votre élection à la tête de l’EPRDF aura valeur de plus-value dans l’important processus d’interpénétration économique de notre région » [2].
Visite avec les honneurs
Sur la forme, l’accueil sera soigné. La diplomatie djiboutienne va sortir le grand jeu pour le nouveau Premier ministre éthiopien. Reçu avec les honneurs militaires et tapis rouge, réunion bilatérale, conférence de presse conjointe, dîner officiel, visites d’investissements intégrés comme les infrastructures portuaires, ou le chemin de fer… Honoré, à l’instar d’Hailemariam Desalegn en février 2015, Abiy Ahmed Ali s’exprimera devant le Parlement, réunis pour l’occasion sous la houlette de l’honorable Mohamed Ali Houmed, dimanche 29 avril. Pour rappel Ismaïl Omar Guelleh a bénéficié de la même considération l’an dernier, devant la Chambre des représentants des peuples [3], où il a prononcé un vibrant discours dans lequel il a célébré les liens historiques, fraternels, économiques unissant les deux pays et témoigné de son amitié à la population éthiopienne.
Confirmation des liens de confiance, d’amitié, de commerce...
Cette visite est essentielle pour les deux pays - qui partagent une frontière de 390 kilomètres -, car il s’agit pour les responsables des deux exécutifs de confirmer l’amitié des deux peuples, des deux gouvernements et, plus encore, de créer la confiance entre deux personnalités qui ne se connaissent pas. Les responsables politiques, accompagnés de leurs principaux ministres, ne manqueront pas de dresser un rapide panorama des différents projets sur lesquels, pour certains, des questionnements restent en suspend, avant d’évoquer de manière plus approfondie les grands projets communs en cours de finalisation, principalement énergiques en partenariat avec la Chine.
Ismaïl Omar Guelleh et Abiy Ahmed Ali ne pourront faire l’impasse sur la question érythréenne, particulièrement après la main tendue par l’Éthiopie à son meilleur ennemi et le début d’une médiation entreprise par Donald Yamamoto, sous-secrétaire d’État adjoint américain aux affaires africaines qui s’est rendu en Érythrée du 22 au 24 avril dernier. Arrivé à Djibouti en provenance d’Asmara, Donald Yamamoto rencontrait dès le lendemain, 25 avril 2018, le chef de l’État djiboutien dans le cadre du Forum Djibouti/États-Unis. Il ferait sens que le différend frontalier avec l’Érythrée ait alors été abordé. L’entretien entre le sous-secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines et le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Workneh Gebeyehu, à Addis Abeba le vendredi 27 avril, conforte cette hypothèse de bons offices diplomatiques pour instaurer une pax americana régionale... [4].
Truelle à la main, les deux responsables politiques saisiront très certainement l’occasion de cette première rencontre pour poser la première pierre à Nagad du futur pôle d’enseignement scolaire destiné à la communauté éthiopienne résidente à Djibouti, sur une parcelle de terrain de quatre hectares [5].
L’objectif est essentiellement de s’assurer que les deux pays sont toujours sur la même longueur d’ondes avec un même horizon d’objectifs – hors union maritale.
Renforcement de l’interpénétration économique régionale pour soutenir la croissance élevée des deux pays et résoudre la question de l’emploi, la meilleure arme contre la récession…
« Enfin, la promesse de cette citoyenneté doit également s’accomplir en faisant prospérer notre économie afin qu’elle donne à nos jeunes et à nos familles les emplois et les opportunités nécessaires à leur épanouissement. Pour cela, nous mettrons toutes nos énergies, toutes nos convictions dans la réalisation des projets structurants, certes coûteux, mais ô combien nécessaires à notre croissance d’aujourd’hui et de demain.
Il s’agit, bien entendu de ces routes, ces ports, ces chemins de fer, qui sont autant de voies qui nous mènerons non seulement vers la prospérité, chez nous, mais permettront, aussi et surtout, à notre continent de tisser les liens, nécessaires pour échanger, commercer et ainsi engranger les opportunités pour une croissance africaine inclusive et pérenne » [6], expliquait Ismaïl Omar Guelleh, dans son discours d’investiture en 2016, pour démontrer la pertinence de la stratégie consistant à accrocher notre économie à la locomotive éthiopienne, conjuguée au partenariat économique avec la Chine. Celle-ci a permis de tirer notre croissance très haut et d’améliorer de manière soutenue les conditions de vie de la population.
Il avait, d’ailleurs, d’un revers de main, rejeté les commentaires et les appréhensions de ceux qui refusaient une accélération de l’intégration économique avec notre grand voisin. Le chef de l’État estimait que cette interdépendance économique était le meilleur moyen de renforcer les liens entre les deux nations et donc d’éloigner à tout jamais un quelconque risque de conflits ou de rivalité. « Il nous appartient à nous, Africains, de rapprocher nos peuples, d’unir nos forces, d’intégrer nos économies, les lier de telle sorte que les conflits et les rivalités deviennent obsolètes ! Si oui ou non, allons-nous contribuer au progrès de nos voisins, et ainsi assurer notre prospérité ? Allons-nous, ainsi, rester enfermés dans des considérations dépassées et des principes surannés qui nous feraient vivre dans la crainte du voisin ? » [7].
Des risques de nuages entre les deux pays ?
C’est peu probable. Les relations entre les deux nations sont si imbriquées et diverses, comme le montre la marque d’estime du nouveau Premier ministre éthiopien en décidant d’effectuer sa première visite à l’étranger à Djibouti. Abiy Ahmed a décidé de ne pas tenir rigueur à Ismaïl Omar Guelleh du soutien diplomatique apporté à l’ancienne administration éthiopienne dans la sévère politique répressive pour étouffer la contestation populaire oromo et amhara.
Le président djiboutien déclarait, dans les colonnes de Jeune Afrique, considérer que la fronde de ces communautés avait pu être orchestrée depuis l’extérieur. Une sorte de main invisible aurait pu comploter pour porter un rude coup à l’Éthiopie. « Avec quel dessein ? » peut-on se demander. Les investissements chinois massifs en cours pour l’exploitation des énergies gazières et pétrolière en Ogaden n’y seraient pas pour rien, semblait-il croire.
« Ce qu’il y a de nouveau dans la crise que vient de vivre ce pays, c’est le rôle crucial qu’ont joué les émissions en amharique de la Deutche Welle et de Voice of America, ainsi que les réseaux sociaux et la diaspora. Pendant toute une période, un jeune opposant éthiopien de 28 ans jusque-là inconnu, établi aux États-Unis, donnait des ordres aux Oromos : “Faites grève, n’allez pas à l’école, manifestez à tel endroit, etc.”, le tout via internet, Skype, Facebook. Et il était suivi ! ». Et d’ajouter, « le Premier ministre Hailemariam Desalegn a su gérer la situation avec habileté » [8]. Mais à quel prix ?
Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et meurtrière contre les manifestants pour museler la fronde des régions Oromia et Amhara, qui défilaient inlassablement semaine après semaine en levant leurs poings croisés en signe de pacifisme. Elles ont tué au moins 800 personnes entre novembre 2015 et la fin de l’année 2016.
Dans le cadre de l’état d’urgence, plus de 11 000 personnes ont été arrêtées et placées en détentions sans pouvoir contacter un avocat ou leur famille, et sans voir aucun juge, selon les différents rapports publiés aussi bien par Human Rights Watch [9] qu’Amnesty International [10].
Djibouti a-t-elle trouvé avec Abiy Ahmed le partenaire réformiste dont elle rêve pour donner un nouvel élan économique, pourvoyeur d’emplois et de création d’entreprises dans les deux pays ? Il faudra sans doute prendre son mal en patience : faire bouger le mammouth n’est pas chose si aisée… Si l’on se fie au compte rendu de la conférence de presse conjointe du président de la République fédérale et démocratique d’Éthiopie, Mulatu Teshome Wirtu, avec son homologue polonais, Andrzej Duda, à Varsovie le 24 avril 2018, rapporté par l’Agence Ecofin : « L’Ethiopie n’est pas prête à accepter des investissements étrangers dans les télécommunications et la finance. […] Notre priorité est le secteur manufacturier. L’Éthiopie ouvre largement la porte à des investissements dans des activités telles que les textiles, les produits en cuir, la fabrication des produits pharmaceutiques et la transformation des produits agricoles » [11].
Manifestement le marché noir des devises peut se frotter les mains... Il a encore de beaux jours devant lui !
Mahdi A.
[1] « Ismaïl Omar Guelleh : “Djibouti n’est pas à vendre” », Jeune Afrique, avril 2018.
[2] « Le chef de l’État félicite au téléphone le nouveau président de l’EPRDF », présidence de la République, 28 mars 2018.
[3] La Chambre des représentants des peuples est l’organe législatif de l’Éthiopie. Ses membres sont élus pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct et secret. Elle a le pouvoir de légiférer sur toutes les affaires attribuées par la Constitution à la compétence fédérale, mais également le pouvoir de contrôler le pouvoir exécutif et, éventuellement, de le changer.
[4] « Workneh Yamamoto discuss bilateral issues », The Reporter, 28 avril 2018.
[5] « Attribution à titre gracieux d’une parcelle de terrain à la République de fédérale et démocratique d’Éthiopie », présidence de la République, 4 septembre 2017.
[6] « Cérémonie d’investiture du président de la République », Human Village, mai 2016.
[7] Idem.
[8] Jeune Afrique, numéro 2933, 26 mars 2017.
[9] « Fuel on the Fire », PDF sur le site d’HRW.
[10] « Rapport annuel 2017, Éthiopie », site d’Amnesty Belgique, 22 février 2017.
[11] « L’Éthiopie “n’est pas prête” pour l’ouverture des secteurs de la banque et des télécoms aux investisseurs étrangers », Agence Ecofin, 25 avril 2018.