Selon des informations communiquées par le journal éthiopien Horn Affairs d’aujourd’hui, lundi 18 décembre, entre 60 et 159 Somalis auraient été assassinés vendredi 15 décembre au lieu dit de Gadulo Kebele, dans le woreda de Daru, dans l’ouest du Haraghe, en Oromia.
« Des dizaines de personnes ont été tuées vendredi dans l’incident meurtrier du conflit entre les régions Oromia et Somalie. Le Premier ministre Hailemariam Desalegn a publié une déclaration condamnant “un massacre de masse” » [1].
L’estimation du nombre de victimes est encore incertaine. Les autorités de la région fédérale somalie feraient état d’un décompte de 60 victimes alors que des militants des droits de l’homme auraient posté des photos de 159 cadavres sur les réseaux sociaux. Horn Affairs appelle tout de même à prendre ces chiffres avec des pincettes, puisqu’ils n’ont pu être vérifiés par sa rédaction.
La loi du talion, œil pour œil, dent pour dent
Le porte parole de la région Oromia a expliqué, cette tuerie perpétrée à l’encontre de populations somalies, comme des représailles à la suite de l’assaut d’hommes armés sur des villages somalis qui aurait causé « la morts de 29 oromos, dont une personnalité très respecté, Ahmed Teha, et incendié 336 maisons. Par la suite, un frère d’Ahmed Teha a organisé le massacre de 32 somalis à Gadulo Kebele un peu plus tard dans la même journée ».
Horn Affairs indique que VOA Amharic aurait relaté les faits autrement. Un responsable de la région de l’Oromia aurait témoigné sous les ondes de VOA que les violences meurtrières perpétrées auraient été commises par les forces de la région somalienne. Encore une fois les forces de la Liyu police [2] sont pointées du doigt.
« Dans une déclaration télévisée dimanche soir, le Premier ministre Hailemariam Desalegn a condamné “l’assassinat de masse” de Gadulo et a déclaré qu’une commission d’enquête avait été créée. Il s’est engagé à rendre public les résultats de l’enquête et à prendre “les mesures nécessaires”. Il a également promis de se pencher sur la conduite des forces fédérales dans l’incident de Chelenko la semaine dernière » [3].
Les réseaux sociaux bloqués après des violences
Selon le Washington Post du mardi 12 décembre 2017, « Facebook et Twitter ont été bloqués après que des rapports sur les meurtres ont été publiés la veille, par les forces de sécurité dans la région de l’Oromia » [4]. Le journal mentionne que les « États-Unis se sont engagés à aider à résoudre le conflit et à soutenir les 660 000 Oromos déplacés ».
L’implication américaine dans la recherche d’une solution pacifique à la grave crise que connaît l’Éthiopie est confirmée par la présence à Addis Abeba la semaine dernière de Donald Y. Yamamoto, secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines [5]. Habile négociateur, bon connaisseur du continent, et particulièrement de la Corne de l’Afrique, celui que Jeune Afrique qualifie de « Monsieur Afrique » [6] de Trump, a été dépêché en Ethiopie en raison de sa connaissance des vicissitudes de ce grand pays. « Le terrain de prédilection de ce diplomate aimable et plutôt discret se trouve en effet en Afrique de l’Est. Entre 1998 et 2016, il a été successivement directeur adjoint pour les affaires est-africaines, ambassadeur à Djibouti, en Éthiopie et chargé d’affaires en Somalie. « La démocratie et les droits de l’Homme font bien sûr partie de ses préoccupations, mais il préfère le lobbying en coulisse aux déclarations publiques fracassantes », note une source diplomatique à Addis-Abeba » [7].
En clôture de sa mission en Ethiopie, Donald Y. Yamamoto a tenu une conférence de presse - vendredi 8 décembre- dans laquelle il a présenté les efforts de son pays pour aider le gouvernement éthiopien à stabiliser la situation. Nous avons retenu quelques éléments de cette communication qui nous ont paru refléter la teneur globale des propos et qui nous ont interpellés [8].
Il est invité par un journaliste de VOA en amharique à comparer l’Éthiopie lorsqu’il était en poste à Addis Abeba à celle d’aujourd’hui, et lui demandant s’il trouvait que l’Éthiopie allait de pire en pire :
« […] Quand vous dites rétrograder en politique, nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement et ce sont des discussions privées, au sujet desquelles nous pouvons voir des améliorations. Là où nous avons des différences, nous essayons de résoudre ces problèmes. Et nous essayons d’aider les gouvernements et les communautés à travailler ensemble de manière coopérative. Parce que vraiment, ce n’est pas seulement dans l’intérêt de la nation, mais c’est aussi intéressant pour l’intérêt stratégique des États-Unis. L’intérêt stratégique national des États - Unis est donc de faire en sorte que nous ayons des gouvernements ouverts et des pays qui répondent aux besoins de la population. Responsables devant leur population. Et c’est vraiment quelque chose que nous avons souligné depuis le Zimbabwe et les récents changements apportés avec les élections qui ont lieu au Libéria. Les élections post-électorales au Kenya. Mais aussi les défis auxquels nous sommes confrontés au Sud-Soudan et en République démocratique du Congo.
Donc, c’est partout. Pas seulement en Éthiopie, mais à travers le continent. Et nous resterons vigilants. Nous allons soulever ces problèmes là où nous voyons des différences. Et nous serons très vigilants sur ces questions ».
En réponse au questionnement d’un journaliste éthiopien de EBC sur les actions que pourraient prendre son pays pour influencer le gouvernement éthiopien dans cette crise, il ajoute : « Comme nous l’avons dit lors de la réunion ministérielle, les trois domaines que nous avons abordés lors de la réunion ministérielle étaient le développement économique, la sécurité et la résolution des conflits. Et vraiment, dans ce contexte, aussi la bonne gouvernance et les droits de l’homme. Donc tout est relié.
Vous ne pouvez pas avoir de sécurité sans aborder la gouvernance, les droits de l’homme et les causes des conflits et des tensions ».
Questionné par un journaliste du Washington Post sur les déplacés internes et la manière dont le gouvernement américain compte inciter le gouvernement éthiopien à modifier son approche de la gestion de la crise, Yamamoto s’est montré prévenant à l’égard du gouvernement éthiopien. Il généralise les défis posés à l’Ethiopie, qui ne seraient pas uniquement spécifiques à cette grande nation mais à de nombreuses contrées africaines. « Pour en revenir aux déplacés internes, les 670 000, dont beaucoup depuis septembre en raison d’un certain nombre de facteurs qui vont de la tenure foncière aux tensions ethniques, ainsi que mes nombreux de problèmes de développement dans ces zones. […] Permettez-moi de vous dire que spécifiquement, depuis que je suis ici et aussi dans ce genre de contexte sur le continent africain, nous assistons à un afflux de problèmes ethniques et de problèmes régionaux en Afrique. C’est une tendance inquiétante, une préoccupation et une question que nous examinons de très près. Ce n’est pas seulement l’Éthiopie, c’est la RDC, la montée des milices dans l’Est qui transcendent les problèmes régionaux, mais aussi beaucoup d’entre elles sont basées sur des bases ethniques et régionales. Nous examinons également les tensions dans le sud du Soudan.
Donc, en Éthiopie, les tensions oromo et somalie sont une préoccupation. Et c’est une question que nous examinons de très près, et nous travaillons non seulement avec les gens directement pour résoudre ces tensions, mais aussi pour trouver des domaines dans lesquels nous pouvons jouer un rôle pour aider à atténuer ces tensions.
Comme vous le savez, nous nous sommes engagés à régler immédiatement les problèmes humanitaires, ce qui signifie la sécheresse, car il y a eu une sécheresse ; l’insécurité alimentaire. Et puis secondairement d’envisager des solutions à long terme pour que cela ne se reproduise plus. […]
Mais l’une de nos valeurs fondamentales est de ne pas aggraver la situation. Ne pas créer des problèmes qui n’existent pas. Mais le plus important, quand nous voyons un problème, est de le résoudre ».
Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille…
Tant de difficultés s’accumulent au dessus du lion d’Abyssinie que la formule de Jacques Chirac apparaît comme la plus appropriée pour décrire la situation actuelle de ce grand pays.
Dans son édition du 16 décembre 2017, The Reporter, fait état de l’aggravation de la crise de devises [9]. La pénurie de devises est telle qu’elle pourrait faire dérailler le train à grande vitesse de l’économie éthiopienne. Il mentionne que « (d)es sources fiables ont déclaré à The Reporter qu’EPSE doit maintenant à Vitol Oil 20 millions de dollars américains. “Bien que le contrat d’approvisionnement en pétrole de la société ait expiré en décembre 2016, EPSE est incapable de régler les 20 millions de dollars restants en raison de la pénurie de devises. La Banque nationale d’Éthiopie n’a pas été en mesure de fournir des dollars pour régler le paiement”, ont indiqué des sources.
De même, le gouvernement est incapable de régler un paiement de 170 millions de dollars qui devait être versé à Petro China, la compagnie pétrolière chinoise qui fournit des produits pétroliers au pays depuis janvier 2017. Petro China a remporté l’appel d’offres international lancé par l’EPSE en septembre 2016 relatif à l’approvisionnement en diesel et en essence pour l’exercice 2017. Le contrat de Petro China expirera le 31 décembre 2017 ».
Et comme un malheur ne vient jamais seul, The Reporter, nous apprend que l’ « Association du transport aérien international (IATA) a déclaré au journaliste que l’Éthiopie a rejoint la liste des pays africains où les compagnies aériennes internationales éprouvent des difficultés à rapatrier leurs fonds. Selon l’IATA, l’Éthiopie doit 22 millions de dollars aux transporteurs étrangers ».
Un sévère contrôle des changes empêche les compagnies étrangères opérant dans le secteur des transports aériens de sortir leurs recettes du pays. Cette situation met l’Éthiopie en zone grise dans la communauté du transport aérien… alors que sa compagnie nationale Ethiopian Airlines dessert, elle, les plus grandes capitales du monde et rapatrie sans difficulté ses recettes à l’international. La situation ne manque pas de piquant, il faut le reconnaître !
Mahdi A.
[1] Daniel Berhane, « At least 60 Somalis killed in Gadulo, West Hararghe », Horn Affairs, 18 décembre 2017.
[2] Force créée en 2008, en réponse à l’attaque en 2007 par l’Ogaden national libération front (ONLF) d’une exploitation énergétique, qui avait entraîné la mort de 74 ingénieurs chinois et militaires éthiopiens.
[3] « At least 60 Somalis killed… », op. cit.
[4] « Ethiopia faces social media blackout after new ethnic unrest », Washington Post, 12 décembre2017.
[5] « Donald Y. Yamamoto », archives du Département d’État.
[6] « États-Unis : qui est Donald Yamamoto, le « Monsieur Afrique » par intérim de Trump ? », Jeune Afrique, 7 septembre 2017.
[7] « États-Unis : qui est Donald Yamamoto… », op. cit.
[8] « Press round table with Acting Assistant Secretary of State for African Affairs Donald Yamamoto », 8 décembre 2017.
[9] Kaleyesus Bekele, « Forex crunch compels gov. to delay payments », The Reporter, 16 décembre 2017.