Comme annoncé par anticipation mardi 5 décembre par plusieurs médias, le président Donald Trump a reconnu hier, Jérusalem comme capitale d’Israël :
« En 1995, le Congrès a adopté la loi sur l’ambassade de Jérusalem, exhortant le gouvernement fédéral à délocaliser l’ambassade américaine à Jérusalem et à reconnaître que cette ville - et d’une manière si importante - est la capitale d’Israël. Cet acte avait alors été approuvé par le Congrès américain à une écrasante majorité et a été réaffirmé par un vote unanime du sénat il y a seulement six mois.
Pourtant, pendant plus de vingt ans, tous les présidents américains ont ajourné la mise en œuvre de cette loi, refusant de transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël.
Les présidents ont émis ces réserves convaincus que retarder la reconnaissance de Jérusalem ferait avancer la cause de la paix. Certains disent qu’ils manquaient de courage, mais ils ont pris cette décision sur la base des faits tels qu’ils les comprenaient. Néanmoins, le bilan est là. Après plus de deux décennies de dérogations, nous ne sommes pas plus proches d’un accord de paix durable entre Israël et les Palestiniens. Il serait folie de supposer que répéter exactement la même formule produirait maintenant un résultat différent ou meilleur.
Par conséquent, j’ai déterminé qu’il est temps de reconnaître officiellement Jérusalem comme la capitale d’Israël ».
Ces mots ont fait l’effet d’une douche froide pour la communauté internationale. Le président ne pouvait ignorer les cries d’orfraie et les réactions incendiaires que sa décision était susceptible de provoquer.
Après avoir égratiné ses prédécesseurs pour leur manque de courage à tenir leurs promesses de campagne, mais plus encore à se conformer à la loi. Habile tacticien, intelligemment, il renvoie la balle aux membres du Congrès de tous bord qui ont voté à l’unanimité, ce qui ferait finalement d’eux indirectement les premiers responsables de la décision qu’il vient de prendre… En cas de conséquences fâcheuses où des vies américaines voire d’intérêts économiques atteints, impactés par sa décision, il pointe du doigts ceux qu’il faudra blâmer : les membres du Congrès. Subrepticement il souligne les incohérences de cette politique de l’autruche, qui finalement refuse de reconnaître à Israël le droit de disposer d’une capitale reconnue internationalement, pour lui c’est un droit légitime qui aurait été d’une certaine manière bafouée depuis des décennies [1].
« Cependant, durant toutes ces années, les présidents représentant les États-Unis ont refusé de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël. En fait, nous avons refusé de reconnaître la moindre capitale israélienne » [2], explique-t-il.
Il oublie cependant de mentionner que soixante-dix ans après le vote de la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies en 1947, la Palestine n’existe toujours pas. Pourtant la résolution prévoyait la création d’un État juif et d’un État arabe le « 1er octobre 1948 au plus tard » ! Ce constat est celui de l’échec des négociations bilatérales sous médiation américaine et du processus acté en 1993 par les accords d’Oslo. Signés le 13 septembre 1993, ils auraient du aboutir en cinq ans à la création d’un État palestinien. Plus de deux décennies plus tard il n’y a toujours pas d’État, la colonisation se poursuit à grande échelle, la ségrégation reste le modèle dominant, Gaza est devenue une prison à ciel ouvert… Les accords d’Oslo avaient été présentés comme une étape importante dans le règlement du conflit entre Israël et la Palestine, qui devait déboucher sur la coexistence « de deux États ». Force est de constater qu’il n’en est rien. L’emprise israélienne sur les territoires occupés est énorme. La répression à Gaza est d’une violence inouïe, et rien ne semble indiquer que ces tendances pourraient être inversées.
L’argument selon lequel la reconnaissance internationale d’un État palestinien devrait suivre l’obtention d’un accord avec Israël, n’est plus valable, il mène dans une impasse. Ne pas reconnaître la Palestine comme un État, c’est accepter « que cette région ne pourra jamais vivre dans la paix et la sécurité tant que notre peuple en sera privé. La guerre commence en Palestine et s’achève en Palestine », avait notamment martelé le président de l’Autorité palestinienne du haut de la tribune du parlement djiboutien. Il faisait valoir que la Palestine est au cœur du tumulte au Proche-Orient et que donc elle contribue à augmenter les crispations dans la région, puisque les groupes terroristes instrumentalisent la question palestinienne pour la poursuite de leurs macabres desseins et pour recruter des combattants. Aussi, pour désamorcer les tensions actuelles au Proche-Orient, proposait t-il, de sortir des discussions bilatérales entre Israélien et Palestiniens qui n’ont aucune chance d’aboutir si l’on souhaite réellement trouver une réponse juste et durable à la question palestinienne qui est la clé de la pacification du Proche-Orient. Il avait d’ailleurs confié aux autorités djiboutiennes rencontrées son ardent désir de voir le format de la médiation sortir du huis clos pour s’inspirer du succès de celui-ci du P5+1 sur le nucléaire iranien (Chine, France, Russie, le Royaume-Uni, et les États-Unis, auxquelles s’ajoute l’Allemagne). On peut prédire sans risque de se tromper que, Donald Trump s’opposerait à un tel élargissement du format de négociation.
« En faisant ces annonces, je tiens également à faire ressortir un point très clair : cette décision ne vise en aucune façon à rompre avec notre ferme engagement à faciliter un accord de paix durable. Nous voulons un accord qui soit beaucoup pour les Israéliens et beaucoup pour les Palestiniens. Nous ne prenons pas position sur les questions de statut final, y compris les limites spécifiques de la souveraineté israélienne à Jérusalem ou la résolution des frontières contestées. Ces questions sont laissées aux parties impliquées.
Les États-Unis demeurent profondément engagés à faciliter la conclusion d’un accord de paix acceptable pour les deux parties. J’ai l’intention de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour aider à forger un tel accord. Sans aucun doute, Jérusalem est l’une des questions les plus sensibles de ces pourparlers. Les États-Unis seraient favorables à une solution à deux États si les deux parties étaient d’accord » [3].
La négociation avec Israël est au point mort et ne conduit nulle part depuis la dernière médiation américaine en avril 2014 sous les auspices du secrétaire américain Kerry. Les négociations menées par son haut conseiller, Jared Kushner, à peine débuté ont été tuées dans l’oeuf avec cet ordre de transfert de l’ambassade américiane à Jérusalem. Plus aucun espoir ne se dessine. Cette situation est d’autant plus dramatique que chaque jour qui passe sans un règlement durable entre Israël et la Palestine, expliquait Abou Mazen à Djibouti, écarte un peu plus la possibilité même de l’existence d’un État de Palestine viable, tant la colonisation à marche forcée des territoires occupés ampute son futur territoire. Il fait valoir que ces manœuvres dilatoires israélienne ont comme objectif de rendre impossible une solution à deux États, et que c’est la raison pour laquelle l’actuel gouvernement israélien multiplie les implantations en territoire palestinien. Pour Abou Mazen, les dirigeants israéliens ne cherchent pas à préserver un quelconque statu quo territorial dans l’attente des résultats d’une négociation. Au contraire, ils modifient par la force ce statu quo pour décourager par avance toute tentative de négociation. Aussi, dans un « coup de tonnerre » le président palestinien menaçait, depuis la tribune du Parlement Djiboutien, de ne plus respecter les accords avec Israël si l’État hébreu continue de ne pas les respecter, notamment en poursuivant sa politique de colonisation en Cisjordanie. Cela serait un moyen efficace pour contraindre Israël à assumer ses responsabilités comme puissance occupante, en démantelant l’Autorité palestinienne, puisque sa création a permis à Israël de sous-traiter de manière efficace l’occupation. Israël serait alors contraint de prendre totalement en charge les affaires civiles de la population des territoires occupés…
En faisant cette déclaration, Donald Trump ne peut ignorer la position officielle d’Israël quand au statut de Jérusalem, « indivisible et éternelle ». Profondément ce qui pose problème, c’est la définition que se fait Israël de Jérusalem. C’est la raison pour laquelle on serait tenté de dire que Donald Trump applique en la matière à la lettre la stratégie israëlienne, du fait accompli, en donnant le premier coup de pioche à ce qui va encourager l’accélération et l’intensification de la colonisation de Jérusalem-Est.
Réaction des Nations unies
Le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres n’a pas manqué de réagir puisqu’il s’est exprimé juste quelques minutes après l’intervention du président étasunien, déclarant notamment Jérusalem :
« Ville sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, Jérusalem est revendiquée comme capitale à la fois par les Israéliens et les Palestiniens. A de nombreuses occasions, le Conseil de sécurité a déclaré nulles et non avenues les mesures prises par Israël pour changer le statut de Jérusalem.
[…] En ce moment de grande anxiété, je tiens à préciser : il n’y a pas d’alternative à la solution à deux États. Il n’y a pas de plan B », a rappelé M. Guterres.
Rappelant une réalité incontournable et qui fait sens, « la question du statut final de Jérusalem doit être résolue par des négociations directes entre les deux parties sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale. La résolution du statut de Jérusalem doit, selon M. Guterres, tenir compte « des préoccupations légitimes des parties palestinienne et israélienne » [4].
On pourrait être fondé de croire en lisant entre ces lignes qu’António Guterres met à l’index une forme de partie pris du magnat de l’immobilier à l’égard Israël et appelle à l’impartialité, à la médiation sincère dans l’intérêt de la paix.
La communauté internationale prend le coup de semonce très au sérieux et s’inquiète de ses implications potentiellement désastreuses sur le terrain, aussi selon une dépêche de Reuters « le Conseil de sécurité des Nations-unies se réunira vendredi à la demande de huit États pour débattre de la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, ont confirmé des diplomates mercredi soir. La requête a été adressée au secrétaire général des Nations-unies, Antonio Guterres, par la France, la Bolivie, l’Égypte, l’Italie, le Sénégal, la Suède, la Grande-Bretagne et l’Uruguay.
« Les Nations-unies ont donné à Jérusalem un statut légal et politique particulier, que le Conseil de sécurité a demandé à la communauté internationale de respecter. C’est pourquoi nous croyons que le Conseil doit traiter de cette question dans l’urgence », a expliqué l’ambassadeur adjoint de Suède auprès des Nations-unies, Carl Skau. (…) Dans sa résolution 2334, adoptée en décembre 2016 par 14 voix pour et une abstention - celle de l’administration sortante de Barack Obama -, le Conseil de sécurité "souligne qu’il ne reconnaîtra aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie de négociations » [5].
Recep Tayyip Erdoğan, le sabre de l’Islam dans la défense de Jérusalem
Réagissant depuis une réunion politique [6] mardi à Ankara à des informations de la presse américaine ayant éventé la décision de Trump concernant Jérusalem, Recep Tayyip Erdoğan a sous les applaudissements de ses sympathisants, adressé une mise en garde à Donald Trump. Avec son indépendance de ton reconnue, Erdoğan n’a pas mâché ses mots et se montre très remonté dans son admonestation aussi bien à l’endroit de Trump qu’Israël, qu’il menace d’ailleurs de mettre fin aux relations diplomatiques en cas de poursuite de sa politique d’annexion de Jérusalem-Est tout en proposant en cas de confirmation des intentions sur Jérusalem de convoquer en urgence une réunion de l’OCI, dans il occupe la présidence tournante.
« Je voudrais faire part de ma tristesse après avoir entendu les nouvelles. Les Etats unis voudraient faire de Jérusalem la capitale de l’État d’Israël. Jérusalem… Monsieur Trump, Jérusalem est la ligne rouge pour les musulmans. Tandis que les plaies des palestiniens continuent de saigner tous les jours. Lorsque leurs droits continues d’être bafoués, qu’ils subissent toujours des persécutions. Qu’une décision soit prise pour soutenir Israël. N’est pas seulement une décision contre le droit international mais également un grand coup sur la conscience humaine. Étant le président de l’Organisation de la Coopération Islamique nous suivrons cette décision jusqu’à son terme. Et si cette décision se concrétise, dans les dix jours, nous organiserons une réunion avec les leaders du monde musulman à Istanbul. Nous allons pas en rester là ! Avec cette réunion nous allons faire bouger les choses dans le monde musulman. […] Nous irons au bout. Nous ne lâcherons pas cette affaire. Et cela peut aller jusqu’à briser les relations diplomatiques avec Israël. Nous prévenons les américains de ne pas aggraver la situation de la région. Vous ne pouvez pas prendre une telle décision. Aujourd’hui la terre est ronde. Et dans cette terre vous ne pourrez pas agir comme vous le souhaitez. Vous ne pouvez pas faire semblant de ne pas voir les conséquences qui pourraient se produire dans la région ».
Le leader turc se positionne sur la scène internationale en chef de file des défenseurs du droit des musulmans opprimés, négligeant les autres composantes palestiniennes. Il propose une forme de parapluie turc face à ces défis multiples. Il a présenté une vision manichéenne du monde. Embourbé dans sa posture de défenseur de l’Islam où la religion n’est jamais loin dans ses interventions, considérant notamment que « de Dieu émanerait tout », comment aurait-il pu faire l’impasse sur la tentative d’annexion de Jérusalem-Est, alors que cette ville millénaire abrite en ses murs le troisième lieu saint de l’Islam sunnite [7] après la Mecque et Medine ?
On retiendra que cette plaidoirie n’est finalement pas très éloignée de celle qu’il avait tenue depuis Djibouti, et dans laquelle, l’homme fort de Turquie avait également développé une rhétorique reposant sur des valeurs morales et religieuses. Il a dressé le tableau d’un monde qui opposerait deux civilisations : la judéo-chrétienne et l’islamique. On note très clairement chez lui un rejet de l’« Occident judéo-chrétien » et un mépris total envers une Europe vieillie et égoïste qui regarde sans réaction les situations où des communautés musulmanes souffrent d’injustices ou d’atrocités. Il déclarait depuis l’hémycicle à Djibouti que, notre civilisation « ne cherche pas à s’élever en marchant sur les autres. Nous rejetons tout cela ». Ajoutant que « dans notre civilisation il n’y a pas d’arrogance. Il y a avant tout de la modestie et de la générosité. Nous considérons que « celui qui a le ventre rempli, et qui regarde son frère affamé, n’est pas des nôtres. C’est cette proximité de civilisation qui déterminent la profondeur des relations que nous entretenons qu’elles soient régionales ou internationales ».
« Nous ne pouvons pas dire que Jérusalem ne nous concerne pas ; nous ne pouvons pas dire que la bande de Gaza nous ne concerne pas ; nous nous ne pouvons pas dire que la Palestine ne nous concerne pas. La pauvreté en Somalie, la tristesse de nos frères et sœurs de Myanmar, le drame des enfants qui meurent de froid ou de famine en Syrie, nous ne pouvons pas rester les poings et les pieds liés devant tout cela. »
« À Damas, à Badgad, à Kaboul, des enfants, des personnes âgées, des femmes, des innocents, sont assassinés tous les jours. Nous ne pouvons pas rester silencieux et sans réaction face à ces situations. Avec l’aide de Dieu nous allons continuer à protéger nos sensibilités de la manière la plus forte. Nous allons continuer à accomplir le devoir que nous impose notre civilisation. Nous allons continuer à poser le sceau de l’amour sur tous les problèmes régionaux et globaux que nous rencontrerons. Nous allons utiliser tous les moyens dont nous disposons pour continuer à être un allié puissant et fiable du continent africain afin que cette région soit en paix et qu’elle connaisse enfin la prospérité et la stabilité » [8].
Il affirme souhaiter que les pays musulmans soient plus solidaires entre eux. Il est évident qu’ Erdoğan tourne définitivement le dos à la laïcité prônée par Atatürk pour la Turquie. Il veut défendre les positions et les idéaux de justice, et de solidarité envers les plus démunis, les plus meurtries. Bref il présente la Turquie comme un grand pays, une civilisation très ancienne,… qui pourrait tenir tête à l’impérialisme américain et à Israël. ll se propose d’être le porte-parole des pays de même civilisation, le bras armé de l’Islam, le glaive de la justice. La Turquie serait donc, sous la conduite d’ Erdoğan le Magnifique, une sorte de héraut et défenseur du monde musulman… marchant ainsi sur les pas du grand Nasser. Il espère aussi probablement fructifier les gains politiques de cette posture pour obtenir dans le cadre de la réforme du Conseil de sécurité, un siège permanent.
Mahdi A.
[1] Le 23 janvier 1950, la Knesset proclame par cinquante voix contre deux la partie ouest de Jérusalem capitale unique d’Israël.
[7] « Esplanade des Mosquées » sur Wikipédia.
[8] Human village.