Renversant… Une vidéo de journalistes de CNN a filmé en camera cachée un marché où le produit proposé à la vente à la criée… est humain.
Un marché aux esclaves où des êtres humains sont vendus selon leurs caractéristiques physiologiques…
« Après avoir vu des images de cette vente aux enchères d’esclaves, CNN a travaillé pour vérifier son authenticité et s’est rendu en Libye pour enquêter plus loin. Portant des caméras cachées dans une propriété à l’extérieur de la capitale de Tripoli le mois dernier, nous assistons à une douzaine de personnes qui sont vendu “sous le marteau” de l’espace de six ou sept minutes.
“Est-ce que quelqu’un a besoin d’un pelleteur ? C’est un creuseur, un grand homme fort, il va creuser”, dit le vendeur […]. En quelques minutes, tout est fini et les homme, totalement résignés à leur sort, sont livrés à leurs nouveaux “maîtres” », c’est ainsi que les journalistes de CNN décrivent une scène, digne d’une époque que l’on croyait révolue. « La seule chose qui manque sont les chaînes autour des poignets et des chevilles des migrants » [1].
Comment la communauté internationale pouvait-elle ignorer l’existence de ces marchés inhumains, où étaient perpétrés dans la plus grande impunité, la plus grande banalité, des crimes contre l’humanité ? Mais étaient-ils si ignorés de tous d’ailleurs ? Que cela soit l’Union africaine, que l’Union européenne, elles avaient ou auraient dû avoir connaissance de ces agissements criminels.
L’Organisation internationale pour les migrations (OMI) avait publié, le 11 mars dernier, un rapport qui dénonçait la pratique de plus en plus fréquente de la traite humaine chez les passeurs libyens. Il apparaît évident maintenant qu’il aura eu moins de retentissement qu’une vidéo de CNN… qui pourrait finalement bien changer la donne ! Les Européens, tout à la préparation d’un nouvel accord sur la lutte contre la migration s’inspirant du compromis signé avec la Turquie pour réduire les traversées de la Méditerranée, ne souhaitaient probablement pas entendre les témoignages répertoriés ni les enquêtes d’investigations menées par l’OMI pour s’assurer de la véracité des faits. Comme dit le dicton : « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ».
Mohammed Abdiker, directeur des opérations d’urgence de l’OIM, qui revient d’une récente visite à Tripoli, nous en dit plus sur les atrocités en cours. « La situation est critique. Plus l’OIM est présente en Libye, plus nous nous rendons compte de souffrance de nombreux migrants. Certaines histoires sont vraiment effrayantes et les dernières informations de « marchés aux esclaves » de migrants s’ajoutent à la longue liste d’atrocités » [2].
« Les migrants qui se rendent en Libye pour tenter d’atteindre l’Europe n’ont aucune idée de la torture qui les attend juste de l’autre côté de la frontière. Ils y deviennent des marchandises à acheter, vendre et jeter lorsqu’elles ne valent plus rien » [3], explique Leonard Doyle, porte parole de l’OIM à Genève, comme pour essayer d’alerter les personnes désireuses de braver la mer sur les risques invraisemblables qui pourraient les attendre sur la terre de Libye.
Animateur de Couleurs tropicales sur RFI, Claudy Siar vitupère dans une vidéo contre ces crimes contre l’humanité et s’insurge contre le silence des personnalités qui d’ordinaire seraient les premiers à saisir le micro pour dénoncer les injustices et les violences. Il expose les raisons de sa rage, qui résulterait du silence coupable qu’il observe, de l’indifférence qui règne devant les images effroyables diffusées. Il indique en outre que ses ancêtres ont été eux aussi condamnés à connaître cette situation de servitude et d’avilissement, et qu’il pensait pas un jour, lui descendant d’esclave, voir ressurgir ces drames humains. Il invective dans la dernière partie de sa plaidoirie les chefs d’État africains, qu’il accuse de prévarication, de cupidité, d’une quête sans fin pour amasser toujours plus d’argent… « En Libye on est en train de vendre des Africains. Là, en Libye on vend nos jeunes. Maintenant en Libye on vend nos jeunes parce qu’ils ne pouvaient plus supporter le manque de vision d’avenir dans leur propre pays et ont décidé de partir de braver le désert de braver la mer de braver la violence des groupes armés, de se retrouver humilier en Europe en arrivant, que cela soit à Lampedusa ou ailleurs. […] Les États africains ferment les yeux et qui ne font rien, absolument rien pour aider cette jeunesse. Dire que nos jeunes ne peuvent plus partir. Il faut un sommet extraordinaire, il faut réfléchir. Aujourd’hui on est en train de vendre des Africains, des jeunes, nos jeunes. Qu’ils enferment dans des cages puis on les vend au plus offrant et cela ne vous fait rien. Moi le descendant d’esclave j’ai la haine. Je me demande que faut-il faire ? […] Personne ne dit rien, les dirigeants ne disent rien, les intellectuels ne disent rien, les journalistes ne disent rien du continent, personne ne se révolte, les footballeurs qui ont les moyens ne disent rien. Vous laissez comme ça les autres se faire vendre. Qu’est ce que les descendants d’esclaves comme moi peuvent penser, doivent penser. C’est donc ce qui s’est passé avec nos ancêtres il y a plusieurs siècles. On ferme les yeux. Vous ne comprenez pas ce qui se joue ? C’est l’avenir d’une part de l’humanité c’est l’avenir de toute l’humanité lorsque des êtres humains sont capables de vendre d’autres êtres humains. C’est qu’ils s’empoissent eux mêmes, ils se privent de l’humanité lorsque des personnes ferment les yeux sur cela, ils se privent de cette humanité ils rusent avec des principes d’égalité des principes d’honnêteté de respect de l’autre, de démocratie. Quelle démocratie ? Et, celles et ceux qui subissent ça, ne sont donc plus des êtres humains ? C’est ça que, vous acceptez aujourd’hui… Vous voulez quoi ? Jusqu’où devons nous aller pour nous faire entendre ? Et là, je m’adresse aux dirigeants africains : hey, levez vous faites quelque chose ! Vous voulez quoi ? Que je vous supplie. Vous voulez quoi que nous entamions des grèves de la faim… pour que vous réagissiez ? Jusqu’à quand, allez-vous profiter de l’argent de la manne du pétrole ou d’autres matières premières de nos pays, être dans les Panama Papers, dans les Paradise Papers, avoir des comptes partout, avoir des villas partout et, ne rien faire pour cette jeunesse. Combien de temps encore ?... Nous on est prêt, on est prêt ! » [4]. La vidéo de Claudy Siar a été vu plus de 1,5 millions de fois en milieu de journée du 17 novembre selon Le Parisien [5].
Il y aurait eu plus de 10 000 noyades depuis 2014 en Méditerranée [6]. En 2016, 180 000 personnes venues du continent et ayant transitées principalement par la Libye, auraient débarqué en Italie. Officiellement, les Européens, qui ont le sens de la formule, agiraient en accord avec les autorités de la Libye morcelée pour protéger les migrants d’une traversée meurtrière. La réalité est autre. L’accord entre la Turquie et l’Union européenne a permis de réduire de manière considérable le nombre d’arrivées en Grèce, mais presque aussitôt d’autres couloirs de migration se sont développés pour répondre à la demande : au Maroc, en Libye, en Égypte, en Tunisie, en Algérie… L’Italie est devenue la principale porte d’entrée en Europe. La population européenne depuis 2015 a été totalement affolée par les images de ces migrants tentant leur chance pour rejoindre une vie meilleure. Devant l’urgence, et la peur d’être balayée lors des élections, les politiques ont adopté un discours et des mesures visant à rassurer leur population en éloignant les migrants le plus loin possible des côtes européennes… quitte à les confier à des esclavagistes, pourvu qu’ils ne foulent pas le sol du continent soit disant des lumières et des droits de l’homme.
Comme le rappelle le journal Le Monde ces accords vont à l’encontre des règles internationales dont le continent européen est pourtant signataire : « La convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes (convention SAR) contraint les Etats signataires à “remettre en lieu sûr” les personnes secourues en mer. […] Cette définition a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2012 après que les autorité italiennes avaient reconduit en Libye des migrants interceptés dans les eaux maltaises » [7]
Le Monde en date du 20 janvier 2017 décrypte les ressorts de ces politiques déshumanisées de l’UE : « C’est surtout la proximité de certaines échéances électorales aux conséquences incertaines –et potentiellement redoutables – en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas, qui poussera les dirigeants à afficher un discours “fort“. Destiné à prouver à des opinions publiques souvent sensibles aux messages populistes et xénophobes que l’Europe prend à bras-le-corps un dossier devenu l’un des principaux sujets de préoccupation à l’échelle continentale. “Si on ne réédite pas un compromis ‘à la turque’ pour la méditerranée centrale, nous assisterons au retour de la crise migratoire”, a déclaré récemment, au Parlement de Strasbourg, Joseph Muscat, le premier ministre maltais » [8].
Enfin avant de jeter la pierre aux Libyens, il ne serait pas inintéressant d’enquêter sur les pratiques des passeurs djiboutiens en cheville avec plusieurs réseaux criminels en Éthiopie et au Yémen. Il existe différentes formes contemporaines d’esclavages selon la définition du HCR [9], et si l’on se fie aux témoignages et informations qui circulent sur les pratiques locales, on aurait tort de s’époumoner contre ces crimes si lointain lorsque l’on ne prend même pas la peine de balayer « devant sa porte ». Des trafics illicites dans le Nord du pays rapportent leur pesant d’or et ont permis de créer de l’emploi dans ces contrées oubliées jusqu’à peu… Pour autant est-il moralement possible de continuer à regarder ailleurs et de laisser faire, même si la demande émane expressément, et officieusement, du gouvernement éthiopien trop heureux de ne rien voir entraver la traversée des eaux de ses migrants qui ambitionnent de rejoindre les leurs installés à l’étranger. Cette diaspora éthiopienne nombreuse et active renvoie régulièrement une partie de ses gains à leur famille ; cette manne exceptionnelle a représenté en 2015/2016 près de quatre milliards de dollars en devises [10].
Mahdi A.
[1] « People for sale », CNN.
[2] « L’OIM découvre des « marchés aux esclaves » qui mettent en péril la vie des migrants en Afrique du Nord », OIM, 4 novembre 2017.
[3] Idem.
[5] Marie Poussel, « Marché d’esclaves en Libye : le cri de colère de Claudy Siar devient viral », Le Parisien, 17 novembre 2017.
[6] « Migration : l’UE va tenter de négocier un accord avec la Libye », Le Monde, 20 janvier 2017.
[7] « Renvoyer les migrants en Libye, le plan controversé de la Commission européenne », Le Monde, 30 août 2017.
[8] « Migration : l’UE va tenter de négocier un accord avec la Libye », op. cit.
[9] « Fiche d’information No.14 - Formes contemporaines d’esclavage », PDF en ligne.
[10] « Ethiopie : les fonds de la diaspora », 30 août 2017.