Qui n’a jamais été accosté aux abords des grandes artères de la capitale par de jeunes laveurs de voiture ? À peine avez vous garé votre véhicule qu’ils se précipitent pour vous ouvrir la portière, tout en proposant aimablement de faire briller la carrosserie, d’enlever la poussière qui s’y est incrustée, pendant que nous serons occupés à vaquer à nos occupations. Ils sont de plus en plus nombreux dans ce métier, mais arrivent-il à en vivre ? Qu’est ce qui fait leur succès ? Pourquoi ont-ils fait le choix de ce métier pénible comme gagne-pain ?
Tout le centre ville est quadrillé, aucune rue n’est oubliée, un essaim de jeunes exclusivement de sexe masculin, adolescents ou pré-adolescents – rarement plus âgés - se sont partagés des bouts de trottoirs ou de rues, sur le principe de la « loi du plus fort ». Des coups de coude entre originaires des pays limitrophes ont établi des zones parfaitement délimitées par les intersections et les croissement de rues. Personne ne s’aventure à empiéter sur la parcelle d’autrui. Les délimitations sont respectées à la lettre par les membres de la confrérie des laveurs.
Nous avons rencontré Abdi Mohamed Abdillahi, qui exerce ce métier de laveur depuis plus d’une dizaine d’années. Il a de la bouteille et connaît indéniablement le sujet sur le bout des doigts ! Il a accepté de lever un peu le voile sur son quotidien, de nous parler de sa vie, des revenus qu’il tire de cette activité, mais également de ses ambitions professionnelles pour le futur, pour son foyer et l’avenir de ses trois enfants.
Nous échangeons dans la rue, dans son périmètre de travail autorisé. Le jeune homme a un air juvénile malgré sa grande taille, un corps frêle, un visage qui ne fait pas son âge, probablement marqué par les épreuves et la dureté de la vie. Pourtant il respire la joie de vivre, puisqu’il reste illuminé par un sourire jusqu’aux oreilles, tout l’entretien durant ! Le bref instant où il perd son sourire, c’est lorsque, l’on le questionne à nouveau sur son âge... Il nous répète avoir seize ans… Puis, après un moment, il précise qu’il est né au Somaliland, et dernier de sa fratrie. Ses parents, son frère ainsi que ses trois sœurs, se sont installés à Djibouti alors qu’il était tout jeune et, à peine arrivés, leur père décède. « Grand comme une pomme, ma mère me dit un beau matin que maintenant j’étais l’homme de la famille et devais aller gagner de quoi la faire vivre. Mon grand frère est atteint d’une maladie incurable, ma mère ne pouvait donc travailler, sa santé nécessite qu’elle veille sur lui en permanence. C’est à moi que revenait la lourde responsabilité de subvenir aux besoins de ma famille. Je n’ai pas de document pour indiquer mon âge avec précision mais je me fie à ce que ma mère dit. J’ai d’abord commencé à travailler comme cireur de chaussures. Ma clientèle était celle qui avait ses habitudes au restaurant Baraka. Avec mes revenus de cireur, j’ai pu faire vivre ma famille. Et avec le temps, notre quotidien s’est amélioré. Deux de mes sœurs se sont mariées, et leur époux nous ont aidés, en nous donnant un coup de main lorsque le besoin s’en faisait sentir. Après m’être fait adopter par les laveurs de voiture, ils m’ont autorisé à exercer dans le groupe qui officie autour du restaurant Baraka. Je gagne bien mieux ma vie, et ma dernière sœur est pour moi un appui inestimable. Puisqu’elle n’est pas encore mariée, elle m’assiste avec son salaire pour les charges de la famille. Le fait de n’être plus le seul soutien de la famille m’a permis de me marier il y a quatre ans. J’ai eu trois enfants depuis, dont la dernière à juste six mois. J’ai pu trouver une chambre à proximité du logement de ma mère, au Quartier 6. Ainsi je suis à côté, en cas de difficultés. Avec mon épouse et mes enfants, nous louons une petite chambre dans un logement, vingt cinq mille francs. Celle de ma mère coûte moins cher, quinze mille. Ma mère y vit avec ma sœur, mon frère souffrant. Le salaire de ma sœur est de 17 000 FD, cela ne suffit évidemment pas, mais je complète en lui remettant tous les jours 500FD au minimum afin de couvrir les trois repas. Lorsque la journée a été fructueuse, j’en fais évidemment profiter ma mère, en remettant 1000 FD. »
Il ressort de nos échanges que ce métier nourrit son homme ! C’est apparemment une véritable niche commerciale, mais aussi un vivier d’emplois et donc de ressources importantes pour la communauté de la débrouille. Le marché est d’autant plus important que les propriétaires de véhicules ne les nettoient pas eux-mêmes à Djibouti. La poussière et l’environnement font que la voiture nettoyée aujourd’hui, nécessitera demain les mêmes efforts ! La demande est là, c’est un fait. Ces jeunes sans emploi, qui ne bénéficient d’aucun filet social, sont amenés à subvenir à leurs besoins mais également à ceux de leurs proches. Ils ont su se montrer extrêmement résilient, ne répugnant devant aucune tâche pour survivre. Ils ont construit leur sillon pour gagner leur pain, on peut penser que ce succès réside autant dans la qualité du service que, sans doute, dans le prix à la portée des propriétaires d’automobiles.
Laveur de véhicules dans les rues pour gagner sa vie
Les prix varient en fonction de la prestation demandée… ou des habitués qui paient en fin de mois, comme une sorte d’abonnement
« Nous vivons dans l’indifférence générale, il faut bien se prendre en charge. La loi, c’est celle du plus fort qui règne dans la rue, c’est la raison pour laquelle on se regroupe en communauté. L’union fait la force, on se protège, on se soutient entre nous. Comme matériel je suis muni d’un sceau rempli d’eau, d’éponges, de chiffons et de savon en poudre. Je suis très rapide, cela me permet de passer d’une voiture à l’autre sans perdre de temps. Avec ce métier, je fais vivre ma famille. Mon épouse ne travaille pas, elle élève nos trois enfants. Ce métier me permet de gagner ma vie de manière honnête. Je travaille tous les jours, y compris le vendredi. La journée continue, ce n’est pas nouveau pour nous ! Si vous cherchez un laveur de voiture, il ne faut pas s’inquiéter, il viendra à vous. Ma clientèle travaille dans l’administration ou dans les environs du centre ville. Ce dernier samedi je n’ai pratiquement pas travaillé, c’était le premier week-end où les administrations étaient fermées. Maintenant l’activité ne tourne plus uniquement au ralenti le vendredi, s’y est ajouté le samedi… »
Ce travail n’est pas sans désagréments, mais il aspire à un métier plus stable
« Je travaille sous le soleil en permanence, le plus difficile c’est durant l’été. Il faut également être vigilant et, constamment faire attention à la police car on peut se faire arrêter et être conduit à Nagad. Ils nous reprochent le traitement que l’on fait subir au revêtement du macadam. Nous prenons le chemin du retour aussitôt. La vie est tellement dure que je m’efforce de ramener tout ce que je peux gagner aux miens. Je ne m’accorde qu’un seul plaisir, une petite botte de khat à 1000 FD, tous les jeudis. Ce jour c’est le mien, ce moment m’appartient, où je peux me détendre avec mes amis. En semaine, même si on me propose de m’offrir une botte, je refuse, je ne veux pas que cela devienne un vice, une habitude malsaine que je ne pourrais plus maitriser
Les tarifs pratiqués diffèrent, selon que l’on fait un nettoyage de fond en comble de l’intérieur de l’habitable, ou juste passer un coup de chiffon sur la carrosserie. Ensuite c’est très variable, de 200 à 1000 FD par voiture. Cela dépend aussi des revenus de nos clients, certains se montrent plus généreux, mais c’est une question de feeling. Je nettoie une vingtaine de voitures en moyenne par jour, pour un revenu mensuel très variable, allant de 60 000 à 120 000 FD ».
Dans cette activité en plein essor, il y a du travail dans la rue, mais cela demande de jouer des coudes pour trouver sa place
« Ce travail n’est pas effectué pas les Djiboutiens. Les principales artères de la ville ont été partagées. Rien de formel, c’est un accord tacite. Gare à celui qui travaillerait dans un bout de rue qui n’est pas dans son secteur… Il n’y a qu’une exception, si un de nos clients, un habitué, gare son véhicule dans une rue en dehors de notre zone. Avec ses indications je me rends là où il garé son automobile ; j’y effectue mon travail, en ayant avant tout pris la peine d’informer mes confrères que le véhicule est celui de mon client. Il faut savoir qu’avec le temps une certaine confiance s’instaure avec les clients. Ils savent que je travaille là depuis de nombreuses années, c’est ainsi qu’ils me confient leur clé de voiture. J’ai une bonne réputation et je réalise ma tâche avec soin. Le travail effectué, je verrouille la voiture et j’attends le retour du propriétaire.
Il m’arrive donc de nettoyer dans le secteur oromo. Ils me laissent travailler. Cependant, au retour du propriétaire du véhicule, ce dernier devra nécessairement confirmer que c’est lui m’a bien envoyé à sa voiture. Cette petite clarification est suffisante pour calmer les esprits. Par exemple, la zone où nous nous trouvons est exclusivement réservée aux Somaliland. Nous formons une petite équipe d’une dizaine de membres, nous sommes amis, nous nous serrons les coudes. Rue Soleillet et tout son prolongement, tout comme l’avenue 13, c’est aux Oromo… Il en est ainsi pour tout le centre ville. Heureusement des commerçants acceptent de nous donner de l’eau, indispensable pour faire notre travail ».
Faute de mieux ils sont nombreux à s’adonner à cette activité. L’attente serait le plus dur dans ce métier. A la question de savoir s’il parvient à s’en sortir, sa réponse a été sans équivoque, il a répondu par l’affirmative, si l’on est prêt à se retrousser les manches. Cette rencontre me fait penser que c’est une véritable chance pour notre pays que le secteur informel soit si dynamique, si diversifié.
Mahdi A.
Article tres interessant. Merci infiniment notre brave Mahdi.
ce metier est de ceux que j’aurais aime faire.