Human Village - information autrement
 
Réactions sur les perspectives du système éducatif
par Mahdi A., décembre 2016 (Human Village 28).
 

Ces réactions ont été recueillies à l’occasion du colloque, qui s’est déroulé les 19, 20, et 21 décembre, sur l’amélioration de la qualité des enseignements et apprentissages à Djibouti. Il ressort de ces entretiens que, sans réforme de fond du système scolaire et au delà de la gouvernance en règle générale, les mêmes oppositions et blocages que par le passé mèneront à l’habituel enlisement de nos institutions...
Les entretiens sont dans l’ordre de leur réalisation.

Ayan Osman Abrar, conseillère technique auprès du ministre
Le colloque a été organisé en trois étapes. Il y a d’abord eu une vaste consultation nationale dans de nombreux établissements publics sur l’ensemble du territoire. Ce sont 117 établissements, 6742 participants (parents, enseignants, et élèves), qui se sont exprimés. Pour chaque débat, deux rapporteurs - conseillers pédagogiques ou enseignants - ont été chargés de rédiger le compte rendu de la séance. Au total, 351 rapporteurs ont ainsi été répartis dans les établissements scolaires. Nous nous sommes cantonnés à proposer un cadre de travail à ces échanges à travers un questionnaire. Par exemple, une des questions portait sur ce que les participants pensent de l’enseignement dispensé, ce qu’ils ont à dire sur les enseignants eux mêmes, le chef d’établissement, ou sur l’institution… Nous avons recueilli les commentaires, les avis, les critiques, et surtout les recommandations. Au départ on a bien senti des hésitations, de l’autocensure… mais au bout de trente minutes on leur a dit que cela serait très utile pour nous que nous ayons une conversation franche. Et ils s’en sont donnés vraiment à cœur joie ! Chacun a apporté sa pierre, des recommandations ont été formulées, celles-ci ont ensuite fait l’objet d’une mise en commun des préoccupations à travers une synthèse globale sous la forme d’un petit livret d’une vingtaine de pages.

La deuxième étape, c’est le colloque ! Il va se dérouler ces trois prochains jours. De nombreuses interventions d’acteurs de l’éducation sont attendues ; des échanges interactifs avec les participants sont bien évidemment au programme afin de nous amener à mieux cerner nos carences, nos difficultés, et rechercher ensemble des solutions concrètes aux défis qui nous sont posés. Seront présents enseignants, conseillers techniques, conseillers et inspecteurs pédagogique, consultants nationaux et internationaux, ainsi que des parents. Bref c’est essentiellement ceux qui n’ont pas participé aux échanges sur le terrain qui vont pouvoir donner leur avis maintenant, et faire leurs recommandations. Il y aura huit ateliers qui ont été organisés sur le même principe que le questionnaire soumis aux participants de l’enquête sur le terrain.

Enfin la troisième étape consistera à établir une analyse comparative entre les recommandations issues des enquêtes sur le terrain et celles recueillies dans les ateliers thématiques. Ce travail est essentiel, puisqu’il permettra la production du document final : les Actes du colloque. Ensuite, un immense travail de fourmis débutera. Un comité ad-hoc va être constitué pour décliner, à partir de ce document, une stratégie nationale pour refonder nos écoles, qui sera couplée à des plans d’actions. Il faut comprendre que ce qui est attendu, c’est un Big bang, une petite révolution. Il faut noter également que nous allons passer à la gestion basée sur les résultats (GAR), concrètement cela inclus dorénavant la reddition des comptes : le personnel du ministère à tous les échelons devra rendre des comptes par rapport au travail effectué.

La formation professionnelle est notre priorité ! Une des causes fondamentales du chômage des jeunes est l’inadaptabilité de l’école. Cela ne veut pas dire que nous n’allons pas nous occuper de l’enseignement traditionnel et ne pas procéder aux nécessaires correctifs. Nous voulons redonner ses lettres de noblesse à la formation professionnelle, la sortir de cette décrépitude. Il faut savoir que l’enseignement professionnel requiert un financement beaucoup plus important que l’enseignement général. Dans l’enseignement général, il faut une table une chaise, des manuels, un tableau, et un enseignant. Dans la formation professionnelle, on parle d’infrastructures adaptées, d’équipements spécialisés, d’intrants coûteux…Cela demande presque un financement permanent et jusqu’à présent le financement disponible ne le permettait pas. La donne doit changer et des moyens supplémentaires devront être mobilisés.

Si l’on ne prend pas en considération ce qui sortira de ce colloque, que l’on ne tienne pas compte des recommandations, il n’y aura plus de nouvelle chance pour l’école djiboutienne ! On ne peut pas perdre la confiance que l’on nous témoigne à nouveau pour transformer l’école. Pour autant il faut également comprendre que ces responsabilités nouvelles, notamment ces exigences de qualité attendues, doivent-être partagées ! Les parents d’élèves doivent aussi jouer leur rôle : ils ont démissionné, ne se présentent pas aux réunions parents-enseignants, et lorsqu’ils sont convoqués à cause de difficultés de leur enfant, ils injurient l’enseignant… Lorsque vous êtes confrontés quotidiennement à ces situations invraisemblables, comment voulez-vous que l’enseignant ne soit pas découragé ? Voilà pourquoi ce colloque est si important. Il faudra tout remettre à plat ! Il s’agira également de réfléchir à l’amélioration de l’accueil des parents à l’école et du rôle qu’ils doivent jouer pour accompagner leurs enfants tout au long de leur scolarité.

Isman Ibrahim Robleh, conseiller technique auprès du ministre
Ce matin, mardi 20 décembre, nous allons travailler sur les leviers de la qualité. Comment faire en sorte qu’un enseignement de qualité puisse se retrouver dans les classes ? Il faudra sans doute porter l’effort sur la formation des enseignants : qu’elle soit initiale, en continue, ou en formation de proximité. L’impact ne peut être que bénéfique. L’enseignant contribue énormément à la réussite des élèves, il est au cœur du dispositif. Il faudra agir aussi pour rendre l’environnement plus pratique. Sur ce point il est important de souligner que des efforts ont été déjà réalisés, notamment en réduisant le nombre d’élèves par classe : nous sommes passés d’une cohorte de 70 élèves par salle à 45 depuis l’an dernier. C’était un objectif que nous nous étions fixés et nous l’avons atteint, j’en suis très heureux ! Cette mesure a sensiblement contribué à améliorer le niveau de l’enseignement dispensé. Cela ne veut pas dire que tout est réglé, il reste encore beaucoup à faire et c’est la raison pour laquelle nous sommes réunis dans ce conclave pour débattre de pistes, pour jeter les bases d’une école nouvelle. Tous les sujets seront évoqués, notamment la méthode pédagogique, c’est un outil essentiel à la qualité de l’apprentissage. Il faudra réfléchir pour comprendre l’échec du système éducatif.
L’école doit s’ouvrir aux communautés, aux partenaires, sinon il n’y aura jamais une école de qualité. Un des ateliers porte sur les partenariats, qu’ils soient privés ou avec les parents d’élèves. Interrogeons-nous : est-ce que les parents nous accompagnent ? Les mères sont présentes, mais 80% des pères ne suivent pas régulièrement la scolarité de leur enfant… Pour moi c’est un drame !
La motivation des enseignants est aussi une bonne piste de travail. Le statut de l’enseignant doit-il être revalorisé ? Il nous faudra trouver des solutions pour permettre à l’enseignant d’exercer son métier dans de meilleures conditions.
Le ministère ne doit pas être le seul à porter le fardeau de l’échec de notre système éducatif, les responsabilités sont partagées.

Abdourahman Houssein Djama, maître de conférence en sciences du language
L’approche par les compétences était une méthodologie nouvelle à l’époque où elle a été expérimentée, en 2003, dans quelques établissements pilotes et puis généralisée à tous les établissements en République de Djibouti dès 2006.
C’est une méthodologie novatrice : l’apprenant est au centre de tout. On doit lui donner de l’autonomie et un esprit critique. L’apprenant doit fabriquer lui même son savoir à partir des ressources qui lui sont confiées. L’enseignant n’est plus qu’une sorte de guide qui l’encadre. Lors de son introduction dans le système éducatif djiboutien, cela fut considéré comme une grande innovation pédagogique puisque c’était une méthode innovante. Là où le bât blesse, c’est le contexte pour lequel cette méthodologie a été élaborée, comme par exemple le Canada, l’Europe, notamment la Belgique puisque l’un des concepteurs est belge. Bref elle a été pensée dans des sociétés occidentales, pour des enfants ayant accès à des ressources technologiques (Wikipédia, Google, internet, ordinateurs, tablettes, etc.), qui sont inexistantes à Djibouti.
Quand il s’agit de faire un exposé, ces jeunes savent où chercher et quoi chercher ! Ils disposent dans leur établissement de bibliothèques dans lesquelles ils peuvent faire leur recherche pour construire leur savoir ; de salles de classe à effectif réduit, ce qui leur permet d’être encadrés comme il se doit. Leurs parents savent lire et écrire, et donc peuvent les aider dans leurs devoirs. Cette réalité, que je viens de décrire, n’est pas celle de l’enfant djiboutien. Comment fabriquer son savoir soi-même, acquérir un esprit critique, avoir la capacité de questionner l’enseignant sur ce que l’on n’a pas compris, lorsque l’on ne dispose pas d’un environnement adéquat ? Ce n’est pas évident pour l’enfant djiboutien.
Quand est-il des enseignants ? Pour ceux des pays occidentaux, ils ont été formés dans cette méthodologie, ils comprennent les principes, les tenants et aboutissants de cet enseignement. Ce qui n’a pas été le cas pour l’enseignant djiboutien, qui n’a peut-être pas été suffisamment formé pour pouvoir comprendre ce que l’on attend de lui. Cela a entraîné une forme de rejet par la société djiboutienne de cette méthode, notamment des parents qui n’ont pas compris la démarche, des enseignants qui n’ont pas été consultés, ni accompagnés à la mise en œuvre de cette pratique nouvelle. La méthode a cristallisé un fort ressenti chez le public djiboutien. Il y a eu aussi des maladresses, notamment de la part des concepteurs nationaux de manuels, du fait probablement d’une incompréhension de ce qui était attendu d’eux également. Les résultats des élèves ont été évidemment impactés, puisque des carences importantes ont été constatées sur certaines tranches d’âges. Les conditions de l’adaptabilité de cette méthode n’ont pas été suffisamment pensées. Maintenant, il faut redéfinir les objectifs pédagogiques. Il sera indispensable de mieux accompagner les enseignants. Mais pas seulement eux ! Tous les practiciens devront être formés aux mesures qui seront adoptées à la suite du colloque. Sinon on ira encore une fois dans le mur ! … Ce qui a manqué, pour résumer, c’est la formation et le suivi-évaluation.

Mohamed Abdellah Mahyoub, secrétaire général du ministère de l’éducation
La vaste enquête en cours doit permettre de faire évoluer la vie scolaire, la pédagogie et les structures. Les professeurs, les parents et les élèves ont pu s’exprimer. Ce colloque répond à une attente sociétale forte. « L’école, c’était mieux avant ! » Voilà ce que l’on entend fréquemment lorsque l’on parle d’éducation ou d’un enseignement de qualité. Chacun transfère ses représentations, chacun à son idée pour transformer l’école, pour répondre à des exigences nouvelles ; certains proposent d’enseigner comme on enseignait il y a vingt ans, d’autres souhaitent une école qui passe au numérique, d’autres ont une préférence pour une école qui apprenne un métier… Les définitions de ce que pourrait être une école de qualité sont variées et nombreuses. Il fallait proposer des nouvelles réponses pour construire ensemble l’école de demain. L’agenda 2000-2015 étant terminé, nous avons constaté que les objectifs n’ont pas été atteints. Le nouvel agenda 2016-2030, fixe des objectifs de qualité. Nous avons démocratisé l’enseignement de base c’est une réussite sur ce point.
Fournir un enseignement à des enfants qui se trouvaient dans des lieux très reculés a été une mission louable : nous avons mis les écoles à proximité des habitants. Maintenant, il a été constaté qu’en matière de qualité il reste beaucoup à faire.
Il y a eu deux moments décisifs pour l’éducation : les États généraux de l’éducation de 1999, et le colloque de cette semaine. Au début des années 2000, on se détachait des programmes français, du système élitiste où uniquement 8% des classes d’âges parvenaient en Terminale, une déperdition énorme. Les États généraux ont posé les jalons en termes d’objectifs, de finalité de la nouvelle école djiboutienne. Seize ans après, il est normal que l’on se pose la question de la qualité. Une nouvelle page s’ouvre dans le prolongement des États généraux, c’est la suite logique. Si l’on veut améliorer les résultats de nos jeunes, si l’on veut réconcilier les parents avec l’école, il fallait un grand chantier de la refondation de l’école. Nous allons dégager ensemble une conception commune, autour des recommandations de toutes les parties concernées par ce défi sociétal, afin de nous permettre d’élaborer un plan d’action.
Une réflexion sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ne peut plus être évitée. Elle sera au cœur de nos préoccupations ces prochains jours, puisque nous avons constaté que le développement de cette filière est indispensable. Nous avons consacré deux ateliers à cette thématique. On attend avec impatience les recommandations issues de ces échanges. En ce qui concerne le financement de l’enseignement professionnelle, soyez sans inquiétude, nous disposons d’un fonds spécial géré par le ministère pour le remettre sur pieds. On peut s’attendre à la suite du colloque à des avancées notables !

Chehem Watta romancier, poète, docteur en psychologie et conseiller du président de la République
Ce colloque est consacré à la qualité et à la performance de l’éducation. On voit effectivement que le ministère ne fuit pas ses problèmes, qu’il est très disposé à se remettre en question et à intégrer les recommandations issues de ces échanges dans sa feuille de route. Pour porter les réformes attendues il faudra des moyens supplémentaires : où les trouver lorsque l’on sait que le gouvernement consacre 25% du budget national à l’enseignement ? Peut-il faire plus ? Cela sera difficile, les ressources financières de notre pays ne sont pas extensibles à l’infini.
C’est la raison pour laquelle j’ai essayé, dans mon intervention, d’explorer avec les personnes présentes le champ du possible en termes de partenariats stratégiques à développer. L’éducation pourrait à travers ces nouveaux liens trouver des ressources additionnelles phénoménales. Il faudrait en outre absolument mettre en place un département dédié principalement à ces questions de partenariats, qu’ils soient régionaux, internationaux, associatifs ou bien encore avec les acteurs du privé. Le privé doit avoir un rôle essentiel dans cette nouvelle architecture, pas uniquement dans la construction d’infrastructures. Il peut jouer aussi un rôle dans le domaine pédagogique, avec par exemple la mise en place de contrats de performance. Ce sont des pistes à défricher, le secteur privé est un secteur intéressé à apporter sa contribution au secteur éducatif. Cependant, il faudra mieux veiller à la transparence en termes de marché, de réalisation, d’évaluation ! Notons également que des entreprises considèrent avoir des responsabilités sociétales et seraient enclines à soutenir des projets éducatifs, comme ceux que nous voulons développer à Djibouti.
Qu’en est-il de la nourriture intellectuelle, culturelle, artistique ? J’ai fait des propositions au cours de mon intervention afin que l’enseignement puisse s’ouvrir aux domaines artistiques et littéraires. Si l’on veut fabriquer des citoyens responsables, il faut avant tout, qu’ils soient enracinés dans leur culture, forgés à travers notre identité. Je pense au brassage culturel, ce métissage, cette cuisine régionale sur la porte de l’océan Indien…
Je dois dire que c’est assez frustrant qu’il n’y ait pas de politique culturelle dans notre pays. Ce qui est encore plus troublant, c’est le regroupement au sein du même département ministériel du culte et de la culture… Il y a de quoi devenir perplexe ! La culture est devenue comme un cadavre que l’on porterait d’un ministère à l’autre, et dont personne ne voudrait s’occuper ! Celà dit, la culture ne se portait pas mieux lorsqu’elle était rattachée à la communication : il était accordé plus d’attention à Djibouti Telecom qu’aux aspects culturels...
Les moyens financiers sont essentiels pour le rayonnement de la culture, c’est évident, mais ce n’est pas uniquement une question de moyens : c’est une question de volonté ! Nous avons une conception de la culture qui se réduit à la portion congrue des chants et des danses traditionnelles… c’est une grave erreur. La culture, c’est aussi produire des œuvres pour nourrir intellectuellement les générations futures. C’est la raison pour laquelle, dans mon exposé au cours du colloque, j’ai proposé que des activités culturelles puissent être dispensées aux élèves dans les établissements scolaires. Ils pourront ainsi s’exercer à regarder, à reproduire et à interpréter : ce sont des exercices essentiels à leur développement qui leur permettront également de cultiver leur créativité et leur esprit ! Enfin, au lieu de promener la culture d’un département ministériel à un autre, comme si c’était un loup solitaire, on pourrait réfléchir également à l’ancrer à l’enseignement. Elle y trouverait un cadre de compréhension où elle pourrait se développer autrement, et où elle serait sans aucun doute mieux servie !

Abdillahi Omar, inspecteur pédagogique
Comment faire en sorte que l’éducation soit une éducation de qualité et également inclusive ? Comme faire en sorte que les enfants à besoins spécifiques aient des conditions réelles d’épanouissement au même titre que les autres enfants ?
Dans le dispositif de la prise en charge des enfants ayant un handicap, qui a débuté en 2007, il y a eu un certain nombre d’avancées, notamment à partir de 2010 avec la mise en place de classes pilotes, où des conseillers pédagogiques et des enseignants, qui avaient été formés aux handicaps mineurs ou moteurs, officiaient. Par la suite nous avons été confrontés à un déficit d’enseignants, la réalité du terrain est cruelle et les besoins de l‘école dite « normale » a « pompé » les enseignants spécialisés.
Maintenant, nous ne pouvons plus nous soustraire à la nécessité de disposer d’un corps d’enseignants dévolus à cet enseignement. C’est un impératif qui tombe sous le sens, on ne peut plus laisser sur le bord de la route une partie de nos concitoyens. Il n’y a pas de statistiques sur la question. Il faudrait initier une enquête pour connaître les besoins des apprenants et évaluer les investissements en termes d’infrastructures, ou bien encore en matériels pédagogiques nécessaires. Aujourd’hui un certain nombre d’enfants handicapés fréquentent l’école, mais l’environnement n’est pas adapté pour accueillir ou délivrer un enseignement approprié. Rendez-vous compte, c’est l’élève aux besoins spécifiques qui doit s’adapter non seulement à l’école, mais aussi aux enseignements délivrés…
Chez-nous, le handicap est stigmatisant : c’est un problème culturel ! Une personne souffrant d’un handicap va se voir systématiquement attribuer un sobriquet en lien avec ses difficultés. La nature du handicap devient un nom... A la limite on peut se demander qui est handicapé, celui qui stigmatise, ou celui qui est blessé gratuitement. C’est une question émouvante car j’ai souvenir dans les années 1974 ou 75, donc sous l’époque coloniale, alors que j’étais en seconde au lycée d’État, que l’un de mes camarades, n’ayant pas l’usage de ses jambes, ne pouvait pas gagner les salles de classe aux étages supérieurs. Nous n’étions que deux élèves à être suffisamment forts pour le soulever et le déplacer de salle en salle. Il faut dire que c’était avant l’indépendance. On pourrait mettre sur le compte de la colonisation l’absence de rampe ou d’environnement adapté… Sauf que quarante ans plus tard, c’est triste à dire, mais pratiquement la situation est demeurée identique.
Prenons le cas des autistes. Aucune structure n’existe pour accueillir la prise en charge de ces soins spécifiques. Il est temps de penser aussi à ces citoyens.
Nous avons des problèmes. Il faut que les problèmes identifiés trouvent des solutions. Ces solutions doivent être trouvées entre nous, pas des solutions toutes faites qui viennent de l’extérieur. En planification, on dit, « si tu ne sais pas où tu vas, sache que tu ne vas nulle part »...

Ali Abdi Okieh, enseignant de base à Balbala
Le retard scolaire est invraisemblable ! Il devient évident qu’il faudrait revoir la méthode pédagogique. Le niveau des enfants, tout le monde en parle : la baisse du niveau général est une triste réalité. Le nombre d’élèves qui quittent le système scolaire sans qualification ou sans même maitriser les savoirs de base – lire, écrire, compter - est en augmentation constante. Pourquoi cette situation ? Ces quinze dernières années, nous avons commencé à excuser nos bêtises pour dire les choses crûment. Le nombre d’élèves par classe n’a pas arrangé les choses. Nous, les enseignants, avons baissé les bras, abattus devant les défis, la fatalité.
Cependant il me plaît de constater qu’au niveau du recrutement, un progrès notable a été réalisé cette année. Le niveau bac n’est plus accepté, aujourd’hui le diplôme minimum exigé est celui du master. La formation dispensée aux enseignants porte en elle, en partie, les germes des difficultés actuelles : elle est sommaire. Du fait des urgences du ministère, les nouvelles recrues sont immédiatement envoyées sur le terrain pour enseigner.
Cela a tendance à provoquer de fortes tensions, entre les enseignants et les inspecteurs pédagogiques. Chacun se défausse sur l’autre !
Une autre de nos préoccupations porte sur les salaires versés aux enseignants qui ne permettent pas de faire vivre dignement nos familles. Comment peut-on enseigner sereinement lorsqu’au moindre imprévu ce sont les fins de mois qui deviennent intenables. Comment peut-on enseigner sereinement lorsque la cherté de la vie, conjuguée à nos revenus insuffisants, sape la paix des ménages ? L’enseignant vient travailler désemparé, stressé, démotivé dans des salles où, il y a encore à peine deux ans, il devait gérer 70 élèves… C’est à devenir fou !

Fatouma Mohamed Kamil, députée
Ces trois jours ont permis de mieux comprendre les difficultés de notre système éducatif. Nous avons beaucoup travaillé sur la thématique de l’apprentissage dans notre atelier. Nous avons formulé des recommandations.
Nous avons débattu de la meilleure manière d’améliorer la qualité dans l’enseignement technique. Dans ces établissements, les parents et les élèves ne comprennent pas l’importance de cette orientation. L’orientation pédagogique vers l’enseignement professionnel est perçue comme une sanction, elle est déconsidérée. C’est la raison pour laquelle il est important avant tout de mener une campagne de sensibilisation pour expliquer les débouchés réels existants pour ces filières. Comment faire évoluer cette filière si les élèves s’y rendent la rage au ventre. Il faut également rehausser le niveau de l’enseignement, et offrir la possibilité aux élèves de l’enseignement professionnel d’accéder à l’université pour poursuivre des études, si c’est leur souhait. On pourrait réfléchir aussi à offrir, en fin de cycle de la formation professionnelle, une formation sur l’entreprenariat, ainsi que donner des opportunités de stages, en formation continue et ponctuels. J’ai travaillé vingt années dans l’enseignement, je connais bien ce département. Je suis consciente que ce qui se joue ici, c’est l’avenir de notre pays, mais également celui de nos enfants. Avec l’aide de Dieu nous allons surmonter nos défis !

Propos recueillis par Mahdi A.

 
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