Les hydrocarbures constituent un maillon essentiel de notre économie, ils entrent pour une large part dans notre consommation globale d’énergie. Mais les choses commencent à prendre une nouvelle tournure depuis l’interconnexion hydroélectrique avec notre grand voisin éthiopien.
Les combustibles liquides qui apportaient 100 % de l’énergie utilisée par l’Électricité de Djibouti (EDD), n’en représentent plus que 25 %. Actuellement, la consommation totale de produits pétroliers dans notre pays s’élève à environ 360 000 tonnes par an.
Face à cette forte demande de combustibles liquides où en est l’importation ? Quel organisme est chargé d’en assurer l’approvisionnement, la sécurisation, l’autonomisation et la stabilité des prix ? Quelle est la stratégie nationale pour réduire le coût et sécuriser l’approvisionnement ? La demande d’énergie va encore augmenter, notamment avec les projets d’industrialisation du pays… Cependant, les possibilités offertes par le développement de la géothermie, le transit du pétrole/gaz, les projets de raffinerie, et le déferlement de capitaux chinois ouvrent pour la première fois des perspectives nouvelles à toute l’économie djiboutienne.
La SIHD, pièce maîtresse de notre politique énergétique
Compte tenu du départ pour raison de pollution des compagnies pétrolières, le gouvernement n’avait pas d’autre choix que de restructurer du jour au lendemain l’approvisionnement du secteur des hydrocarbures pour ne pas risquer que le pays se retrouve en situation de pénurie faute de ravitaillement. Une des premières mesures urgentes a été de renforcer le rôle de la SIHD pour en faire un pivot, un acteur essentiel chargé d’approvisionner le pays pour la quasi totalité des produits pétroliers et de gérer le stock de sécurité ; parallèlement le gouvernement a fixé les objectifs d’une politique énergétique ambitieuse, à la hauteur des enjeux et avec une vision stratégique pour faire de Djibouti un hub énergétique.
Omar Assoweh Guedi, directeur général de la Société internationale des hydrocarbures de Djibouti, nous en dit plus sur les objectifs fixés à la société qu’il dirige depuis la restructuration : « Il faut bien comprendre que nous ne pouvions pas continuer éternellement ainsi et subir de plein fouet la forte volatilité des cours des matières premières, conjuguée à des besoins énergétiques toujours plus importants… Il fallait trouver une solution pour réduire les fortes tensions sur notre balance commerciale. Il faut savoir qu’auparavant le gouvernement avait peu de marge sur ces questions car les sociétés importatrices, comme Total ou OilLibya, étaient les seules qui avaient la maîtrise des coûts réels. Ce n’est plus le cas, ce qui nous permet d’agir en amont et en aval afin de contribuer à réduire la facture énergétique. Depuis le démarrage des activités d’importation par la SIHD, les prix à la pompe ont baissé significativement. Le prix du gasoil est passé de 215 à 170 francs par litre, soit une baisse de 45 francs/litre correspondant à 21%. Là où l’effort a été le plus important a été au niveau du prix du kérozène (pétrole lampant) qui est passé de 195 à 100 francs par litre, soit une baisse de 95 francs correspondant à 48%. Cette baisse s’explique par le fait que le pétrole lampant n’est plus assujetti à aucune taxe, que le stockage annuel des 12 millions de litres utilisés en République en Djibouti est pris en charge entièrement par la SIHD. Il s’agissait à travers cette mesure pour le gouvernement d’atténuer le coût de l’énergie pour la cuisson en faveur de la population à faible revenu, qui utilise quotidiennement le kérozène, et de lutter par la même occasion contre la déforestation. Quant au prix du super, il est passé de 315 à 270 francs par litre, soit une baisse de 45 francs/litres, correspondant à 15% ».
Ce secteur des hydrocarbures est une source de revenus essentielle pour l’État. Il a rapporté 906 737 872 FD à la fin décembre 2015 en recettes fiscales. Enfin, l’État a perçu au titre des dividendes, près d’un milliard de nos francs pour l’exercice passé.
Une intégration énergétique avec l’Éthiopie en passe de devenir un modèle pour tout le continent
« Je voudrais insister sur le caractère stratégique de notre collaboration avec l’Éthiopie. Cette proximité et ses liens importants encouragent une intégration économique plus poussée entre les deux pays qui font face à de nombreux défis similaires. Prenez l’exemple de l’interconnexion électrique, c’est un véritable succès, la transition énergétique est incontestablement en marche. C’est d’ailleurs dans cet esprit, pour améliorer les conditions d’achats des produits pétroliers sur les marchés internationaux, et pour bénéficier d’économie d’échelle ainsi qu’une meilleure sécurisation de nos prix d’approvisionnements, que nous avons noués avec Ethiopian Petroleum Supply (EPSE) un partenariat allant dans ce sens, le 18 septembre 2014 pour effectuer dorénavant nos appels d’offres d’achats en commun. Nous disposons grâce au concours financier de la Banque islamique de développement, à travers sa filiale ITFC, d’un crédit revolving mensuel de 75 millions de dollars pour effectuer nos achats en hydrocarbures pour le compte de la SIHD. Nos importations nous reviennent entre 17 et 18 millions de dollars par mois pour la couverture de nos besoins intérieurs. Comme vous pouvez le constater cela nous laisse une belle marge de manœuvre pour appuyer nos ambitions régionales. Nous sommes d’ailleurs en discussion avec nos voisins comme le Somaliland et même au delà avec Mogadiscio afin qu’ils s’approvisionnent directement à l’avenir auprès de notre structure pour leur combustible liquide. Il faut bien comprendre que cette stratégie gagnante avec l’Ethiopie nous a permis d’atteindre des niveaux de prix exceptionnels, faisant immanquablement de nous dans la région un courtier de premier ordre », nous explique Omar Assoweh Guedi.
Pour des raisons environnementales, et aussi afin de réduire les frais élevés d’acheminement des hydrocarbures, qui sont pour l’heure transportés par des centaines de camions citernes, un oléoduc va être bientôt construit pour amener les combustibles liquides depuis notre port vers la région d’Awash en Ethiopie. Ce pipeline enfoui à 1,5 mètre, sera long de 550 kilomètres dont 100 en territoire djiboutien. Concomitamment un second accord a été conclu entre Black Rhino et la SIHD pour un partenariat dans la construction du futur terminal de stockage des hydrocarbures.
On peut supposer que l’ambition de l’entreprise américaine est plus importante. Pour Black Rhino, cet oléoduc est sans doute une sorte de cheval de Troie. Il s’agirait avant tout de se positionner afin d’être incontournable lorsque le pétrole jaillira des entrailles de l’Ogaden. A ce moment là, il suffira d’effectuer les raccordements nécessaires jusqu’aux gisements et d’inverser le flot de l’oléoduc pour amener le brut éthiopien de l’Ogaden au port de Djibouti, et au delà aux clients éthiopiens…
Djibouti, malgré elle, va devenir un véritable couloir énergétique. Un hub énergétique qui bénéficierait à la fois à l’Éthiopie, à la Chine… et aux États unis d’Amérique !
Djibouti, dans cette partie de billards à plusieurs bandes, espère tirer son épingle du jeu, notamment en raffinant une partie du pétrole acheminé d’Éthiopie pour les besoins de la région. En attendant, Djibouti se tient prête puisque le gouvernement a signé, avec les sociétés Recon international Africa et Tasyapi Construction un protocole d’accord pour la construction d’une raffinerie d’une capacité de traitement allant de 110 000 à 150 000 barils/jour. Le brut traité sera saoudien, Arab Light and Arab Heavy. Cette nouvelle unité industrielle sera située dans la nouvelle zone franche pétrochimique de Damerjog, où il est également prévu l’installation de toute une niche d’industries des sous-produits du raffinage en divers composants, comme le plastique. Des milliers d’emplois sont à la clé.
La Chine, moteur de l’interpénétration économique régionale
La Chine s’est tournée indéniablement vers l’Éthiopie et la République de Djibouti pour sécuriser ses approvisionnements de produits pétroliers en assurant le financement d’infrastructures dans les domaines de l’énergie et des transports pour sceller une coopération régionale plus poussée, accélérée, tout en renforçant la position géostratégique de Djibouti… vis-à vis de la Chine, mais également de ses partenaires traditionnels. C’est ainsi qu’un pipeline de 700 kilomètres capable de transporter jusqu’à 12 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an, une usine de liquéfaction et un terminal GNL vont voir le jour. « La société chinoise Poly GCL a obtenu des concessions d’exploitation de gaz dans la région de l’Ogaden en vue de construire un pipeline de gaz naturel entre l’Éthiopie et Djibouti. Cette société souhaite construire une usine de liquéfaction de gaz naturel à Djibouti ainsi qu’un terminal de chargement de GNL. A ce titre, un accord cadre entre le gouvernement de Djibouti et la société chinoise a été signé à Beijing en octobre 2014. Les retombées de ce projet seront immenses et vont toucher entre autres l’emploi, la formation professionnelle, l’industrialisation… Ce projet représente le plus gros investissement que notre pays ait connu, il s’agit de quatre milliards de dollars, dont trois seront engagés en République de Djibouti. Enfin il faut savoir qu’en parallèle de l’usine de liquéfaction, une centrale électrique à gaz sera construite. Elle sera une source d’électricité sûre, permanente et à bas prix au service de la population », nous précise Omar Assoweh Guedi.
Pour autant les énergies renouvelables ne sont pas en reste, puisque l’objectif d’un mix énergétique plus respectueux de l’environnement est aussi en chantier. C’est un immense défi pour notre pays, dont le potentiel est encore peu exploité. L’objectif est de hisser la part des énergies renouvelables à 100% de la production d’électricité en 2020. Le gouvernement mise sur le potentiel de la géothermie, sous la supervision de l‘Office djiboutien de développement de l’énergie géothermique (ODDEG) et avec le financement d’un groupe de banques conduit par la Banque mondiale, mais également l’éolien avec un projet à l’étude au Goubet pour développer 60 mégawatts en partenariat avec le Qatar, et enfin le solaire avec le groupe allemand Green Enesys pour la réalisation d’une centrale solaire de 300 mégawatts pour 360 millions de dollars.
Enfin, ce dont il est question, plus largement, est la volonté de la Chine de créer une nouvelle route d’approvisionnement, provoquant par la même occasion de nouveaux équilibres dans la région. L’ouverture prochaine de la base navale militaire « surdimensionnée » chinoise, est au cœur de cette stratégie. Elle trouve son prolongement/pendant dans l’axe du détroit de Malacaa, sur l’archipel des Spratleys, avec la création d’îlots artificiels à grands coups de remblais pour y installer également des infrastructures militaires. Cela a tout l’air d’une stratégie à très longue vue...
Mahdi A.