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Le khat, cancer de la Somalie selon Hassan Sheikh Mohamoud
par Mahdi A., mai 2016 (Human village 27).
 

Le président de la Somalie, Hassan Sheikh Mohamoud, s’est exprimé sur la question du khat. Ce moment a été diffusé le mardi 24 mai 2016, lors d’un court passage dans le journal télévisé de 20h30 de la chaîne somalienne Universal TV.

Dans cette intervention – très remarquée – il a lancé un cri de douleur face aux ravages que le khat engendre dans la société somalienne. Il laisse entendre que la sensibilisation ne suffit pas sur les dangers du khat, et qu’il passera prochainement de manière progressive à une seconde étape afin d’éradiquer définitivement cette plante maléfique qui consume à petit feu sa nation. C’est une véritable révolution des mœurs qu’il veut enclencher !

Il présente un tableau très sombre de la situation et énumère tous les maux causés par ce mal qui ronge de l’intérieur son pays. Selon lui, la situation serait de pire en pire, c’est une bombe à retardement pour la jeunesse et un frein aux efforts engagés pour redresser le pays. Il dénonce notamment le gaspillage de ressources qui auraient pu être utilisées à meilleur escient que pour des plaisirs éphémères et contreproductifs. Il va jusqu’à accuser la jeunesse de se perdre dans cette drogue, cette dépendance les empêchant de faire quoi que ce soit pour eux ou pour leur famille.

« Le khat est un problème pour la Somalie. Sa consommation impacte durement notre peuple, il pose à notre nation un défi économique et social. Il est à l’origine de nombreux problèmes de couples, de nombreux problèmes au sein des foyers. Par ailleurs, des centaines de milliers de dollars sortent du pays tous les jours pour importer cette plante. C’est un gâchis énorme. On dit que les hommes qui en consomment sont sous l’ivresse du khat le matin et passent le reste de leur journée à quêter de quoi s’offrir leur dose. »
40% de la population somalienne, soit 4,7 millions de personnes, a besoin d’une aide alimentaire pour survivre, à la suite de plus de vingt années de guerre civile. Comme si cela ne suffisait pas, s’est ajouté à cette désolation la grave sécheresse due au phénomène climatique El Niño.

On note la concordance entre la charge virulente du président Hassan Sheikh Mohamoud, sur les méfaits du khat, et la visite de 24 heures à Mogadiscio, le jeudi 19 mai 2016, d’une délégation de membres du Conseil de sécurité des Nations-unies. Cela pourrait laisser penser que ce message vise uniquement à apaiser les ardeurs la communauté internationale qui ne comprend pas pourquoi elle met autant d’argent dans la reconstruction du pays et l’aide alimentaire alors que les faibles moyens du pays sont consacrés à l’achat de drogue…

Sur le plan sanitaire l’alarmisme du président n’est pas feint…
« Il y a aussi les conséquences sur la santé de la consommation de khat, notamment à causes des pesticides utilisées en quantité trop importantes et qui impactent durement nos concitoyens », a-t-il déclaré dans son intervention.
Les craintes sur le plan sanitaire du président somalien sont fondées. Lors de notre enquête sur le khat dans nos colonnes nous avions rencontré le Dr Massoure, un cardiologue alors en poste à l’hôpital Bouffard de Djibouti. Au cours de l’entretien, il s’était montré extrêmement préoccupé par les risques importants sur la santé humaine de la consommation de khat : « Cette toxicomanie […] est en effet susceptible de provoquer des accidents cardiovasculaires aigus, pas seulement les AVC (attaque cérébrale entrainant une paralysie le plus souvent) mais aussi les infarctus du myocarde (artère du cœur qui se bouche), l’hypertension artérielle, ou la mort subite, le plus souvent liée à un emballement du rythme cardiaque. Il est connu depuis longtemps que les substances contenues dans les feuilles de khat sont analogues aux amphétamines qui ont des effets psycho-actifs tout à fait significatifs et à l’éphédrine qui est une substance qui élève la pression artérielle en particulier. Les effets psycho-actifs induisent un stress qui est d’ailleurs souvent contrebalancé par la consommation de cigarettes voire de tranquillisants, dont le Valium par exemple…Les pics d’élévation de la pression artérielle sont clairement corrélés à la survenue des AVC. […] Il n’est pas totalement exclu qu’il y ait des taux de pesticides parfois importants et qu’une consommation importante et répétée puisse entraîner un retentissement aigu ».

Facteur de destruction des foyers

« Même à regarder les bons côtés du khat, que cela soit l’euphorie ou bien la joie supposée qu’ils apportent aux consommateurs, il faut savoir que ce bonheur éphémère ne peut justifier/compenser les difficultés qu’il fait peser sur notre société, sur notre pays, même si son commerce a permis la création de nombreux emplois et qu’il contribue à faire vivre beaucoup de foyers. Le manque de khat conduit les jeunes à la criminalité, à la violence, au vol pour gagner de l’argent coûte que coûte à tout prix afin de répondre à leur besoin, à leur manque », a ajouté Hassan Sheikh Mohamoud.
Il compare le khat à l’antichambre de la criminalité. Comme toutes les drogues, elle conduirait également la jeunesse à sortir du droit chemin, les pousserait à rejoindre les extrêmes. Bref, le khat détourne la jeunesse du travail, du labeur, de la quête d’une vie meilleure pour leur pays.

Le président insiste sur le fait que cette calamité n’épargne personne. Les femmes s’y adonneraient dorénavant. Il va d’ailleurs jusqu’à se moquer « gentiment » d’elles en évoquant le caractère aphrodisiaque de la drogue. A propos de ces vertus aphrodisiaques, le Dr Massoure confirme : « Le khat entraine une désinhibition sexuelle importante, une sorte de frénésie sexuelle qui s’installe après la consommation du khat et qui peut induire des rapports non protégés, non surveillés au risque de la transmission du VIH ».
Hassan Sheikh Mohamoud estime que cette plante génère la perdition des familles, en raison de la charge qu’elle fait peser sur les budgets familiaux et les nombreuses heures de travail perdues durant les sessions de khat quotidiennes. Insidieusement, il laisse penser que les difficultés auxquelles est confrontée la Somalie aujourd’hui, auraient en partie pour origine la consommation effrénée de cette plante. Pour lui, tant que cette calamité ne sera pas rayée de la carte, la Somalie n’aura point de salut.

On note tout de même qu’il ne propose rien comme solution alternative à toutes ces femmes qui en font commerce et qui parviennent grâce aux revenus qu’elles en tirent à faire vivre leur foyer.
« Il est temps que nous nous concertions, que nous discutions afin de trouver ensemble une parade pour mettre fin à ce terrible fléau. Il faut le savoir je vais interdire le khat sur l’ensemble du territoire de la Somalie. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais de manière progressive, par étape. C’est la raison pour laquelle je voudrais appeler toutes les personnes qui vivent de ce commerce à réfléchir dès à présent à une reconversion professionnelle. Qu’elles commencent à s’y préparer et agissent en conséquence, car le khat en Somalie vit ses derniers soubresauts », a-t-il martelé.

Lorsque l’on sait que le khat est une arme politique des plus redoutables pour le contrôle de la population, sa consommation ayant tendance à occuper l’esprit et à détourner les consommateurs des choses essentielles, en agissant sur eux comme une sorte de pansement, comme un anesthésiant, sur les plaies béantes de la société… Que Hassan Sheikh Mohamoud veuille s’en priver, c’est politiquement risqué comme pari, mais on ne peut s’en empêcher de se dire qu’il a au moins le mérite de se démarquer de ses futurs concurrents à la présidentielle d’août 2016 en posant là un acte citoyen fort… tout en s’attirant la sympathie de la communauté internationale, ce qui pourrait s’avérer fort utile à la veille d’une élection présidentielle dans un pays dont l’économie est sous perfusion !
Cependant, il y a un grand risque, malgré les éléments mis en avant par le président Hassan Sheikh Mohamoud, que la réponse ne fasse pas l’unanimité et que les récalcitrants se fassent entendre de manière retentissante, si d’aventure le président s’engageait réellement sur cette pente extrêmement glissante. Cela reviendrait à ajouter des troubles à des difficultés déjà presque insurmontables.

Quelles sont les priorités du président Hassan Sheikh Mohamoud ?
Le gouvernement ne ferait-il pas mieux de consacrer son énergie et ses maigres moyens, avant tout, à remettre sur pied les services éducatifs et sanitaires de base qui sont totalement déliquescents, de s’efforcer de lutter de manière énergique et plus efficace contre la corruption, de rétablir la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire, et de consolider ses forces de sécurité pour en finir enfin avec les shebbabs, brigands de grands chemins.
Du fait que les capacités du gouvernement central sont réduites, le chemin vers la disparition du khat en somalie ne sera pas facile. Le président Hassan Sheikh Mohamoud doit bien se douter que sur ce terrain sa décision sera inopérante, sans résultat palpable. Par le passé, le président Zyad Barreh avait tenté d’interdire en Somalie aussi bien la culture et la vente, que la consommation du khat. L’application du décret du 18 mars 1983 l’interdisant fut un échec, et ce bien que le gouvernement disposait alors de redoutables forces de sécurité, et que des sanctions sévères menaçaient les contrevenants : des amendes de 5000 USD à des peines d’incarcération de quatre ans [1].

Aussi on peut s’interroger sur la mise en œuvre de la croisade que Hassan Sheikh Mohamoud mènera s’il est réélu cet été, lorsque l’on sait que les 2/3 du territoire ne sont pas sous le contrôle du gouvernement central. Cela reviendrait à instaurer une loi, certes courageuse, mais impossible à appliquer au-delà des faubourgs de la capitale et encore… A moins que finalement il ne s’agisse que d’un cosmétique politique à l’attention des bailleurs internationaux de la Somalie ?

Mahdi A.


[1Isabelle Vouin-Bigot, « Le khat en Somalie : réseaux et enjeux », Politique africaine, n° 60, 1995.

 
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