Human Village - information autrement
 
Arta et la renaissance des institutions somaliennes
par Mohamed Siad Doualeh, octobre 2025 (Human Village 55).
 

À l’occasion de la commémoration des accords d’Arta de 2000.

Excellences, distingués invités,
Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un honneur et un privilège de prononcer ce discours liminaire sur le processus de réconciliation qui a débuté à Arta il y a vingt-cinq ans et qui a abouti à la reconstitution des institutions gouvernementales après le conflit prolongé en Somalie. Ce processus, lancé à l’initiative du président Ismail Omar Guelleh, nous a enseigné un certain nombre de leçons qui restent pertinentes pour l’approfondissement de la paix en Somalie et au-delà.

1. L’importance d’Arta
À la fin des années 1990, le conflit fratricide en Somalie avait découragé la communauté internationale, car l’État s’était fragmenté et les seigneurs de guerre régnaient en maîtres. Ces derniers se sont lancés dans un tourisme de paix, recherchant activement des forums à travers le monde, mais sans parvenir à instaurer la paix. Puis est arrivé un nouveau président de Djibouti, le président Ismail Omar Guelleh, qui a stratégiquement utilisé l’Assemblée générale des Nations unies pour réveiller l’intérêt international pour la Somalie. C’est dans ce contexte que le Conseil de sécurité des Nations unies a conclu que le processus d’Arta était la base la plus viable pour la paix et la réconciliation nationale en Somalie. Dans le cadre de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la République de Djibouti a accueilli les longues consultations et le dialogue d’Arta en vue de la réconciliation.

2. Contribution à la légitimité des institutions gouvernementales
Le processus de paix d’Arta a marqué un tournant décisif, passant du tourisme de paix à une consolidation de la paix représentative et légitime. Après des années de régime autoritaire, de domination militaire et de fragmentation clanique, les nouvelles institutions gouvernementales devaient être perçues comme crédibles, inclusives, représentatives et légitimes. Plusieurs caractéristiques du processus d’Arta ont contribué à renforcer sa légitimité.

a) Une large représentation

Les frères somaliens de Djibouti ont déployé des efforts considérables pour consulter les autorités traditionnelles/religieuses, les intellectuels, les organisations de femmes, les acteurs de la diaspora, etc. Un certain nombre de ces consultants sont restés, tandis que d’autres se sont joints à eux pour élargir la participation, permettant ainsi à l’accord et aux institutions de revendiquer un mandat social plus large.

b) La formule de partage clanique 4,5
L’un des héritages les plus durables d’Arta a été l’adoption de la formule de partage du pouvoir « 4,5 » : les quatre grandes familles claniques somaliennes se partageaient le pouvoir à parts égales, tandis que les clans minoritaires ou « autres » se voyaient attribuer une demi-part. Bien qu’imparfaite, cette formule visait à institutionnaliser une représentation inclusive et à réduire la domination d’un seul réseau clanique, renforçant ainsi la légitimité des institutions gouvernementales émergentes. Nous sommes conscients que certains continuent de s’inquiéter du renforcement de la politique clanique que cette formule a pu créer involontairement et de l’absence de stratégie de sortie intégrée. Nous sommes également convaincus que les Somaliens, dans leur sagesse, réussiront à la réformer et aideront le pays à passer progressivement à un ordre politique plus inclusif et civique.

c) L’inclusion des femmes
La conférence d’Arta a coïncidé avec l’adoption de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Dans cette optique, les participantes ont réussi à obtenir des quotas garantis dans les structures de transition (par exemple, 25 sièges réservés au sein du parlement composé de 245 membres). Si le mécanisme de sélection restait lié aux clans (et n’était donc pas purement fondé sur le mérite), l’inclusion des femmes à ce moment critique a jeté les bases d’une légitimité en matière d’égalité des sexes, garantissant que la gouvernance ne serait pas entièrement masculine, dominée par les seigneurs de guerre et exclusive.

d) Une légitimité fondée sur le lieu et le processus
Le pays hôte, Djibouti, a offert un environnement aussi proche que possible de celui de la Somalie. Il s’agissait également d’un terrain neutre qui garantissait une certaine distance par rapport au conflit et au sentiment d’insécurité. Le processus d’Arta a également tiré parti de la couverture médiatique en Somalie et dans la diaspora, en utilisant des émissions par satellite et des pièces de théâtre culturelles pour permettre aux Somaliens de se sentir connectés et de partager leurs points de vue sur le processus. Tout le monde a pu accepter que la charte de transition négociée et les institutions qui en découlaient n’étaient pas imposées par des acteurs extérieurs ou des chefs de guerre. L’appropriation somalienne s’est manifestée dans la pratique, d’où le fort sentiment de légitimité.

3. Principaux atouts de l’initiative du président Ismail Omar Guelleh
En examinant de plus près le rôle du président Ismail Omar Guelleh et les atouts de son initiative à Arta, nous pouvons identifier plusieurs enseignements en matière de leadership et de processus qui méritent d’être soulignés.

a) Volonté politique

Le président Ismail Omar Guelleh, avec le soutien des Djiboutiens, a non seulement fourni un environnement et des ressources nationales pour subvenir aux besoins de plusieurs personnes pendant plusieurs mois, mais il a également fait preuve de la volonté politique nécessaire pour mener à bien le processus.
b) Caractère inclusif de la conception

L’approche d’Ismail Omar Guelleh, qui consistait à éviter les négociations entre les chefs de guerre, a ouvert de larges perspectives de consultation. Cela a élargi la base de la légitimité et ouvert la voie à une reconstruction institutionnelle allant au-delà du simple partage du pouvoir.

c) Innovation dans la formule de partage du pouvoir
La formule 4,5, bien qu’imparfaite, était une innovation audacieuse. Elle s’articulait autour de l’ordre clanique somalien. Elle était très pratique. Elle évitait la domination d’un seul clan. Cet arrangement continue d’être la base du fonctionnement de la Somalie à ce jour.

d) Apprentissage et orientation vers l’héritage
Le processus d’Arta a créé une assemblée nationale de transition, une charte et une plateforme pour le dialogue futur. Bien que de nombreux défis et revers aient suivi, l’empreinte d’Arta reste visible dans les structures de gouvernance de la Somalie. La diplomatie régionale élargie du président Ismail Omar Guelleh (par exemple, le dialogue ultérieur entre les Somaliens au Kenya en présence d’autres pays de la région) montre que l’infrastructure de médiation mise en place à Arta continue d’être utile. J’ai eu la chance de participer à la conférence d’Arta et aux processus ultérieurs d’Eldoret et de M’bagathi, et je peux attester du fait qu’Arta a fourni une base solide pour le processus.

4. Les défis
La Somalie continue de faire face à plusieurs défis de taille. Plus frappant encore, sa structure fédérale est mise à rude épreuve et le terrorisme continue de constituer une menace sérieuse pour la paix et la sécurité dans le pays. En outre, il est important que les principes fondamentaux établis à Arta – représentation inclusive, partage du pouvoir, société civile, y compris la participation des jeunes et un espace réservé aux femmes – restent des éléments constitutifs pertinents. Veiller à ce que les nouvelles institutions soient considérées comme représentant légitimement la société somalienne (et non simplement des factions armées)
L’une des leçons à retenir est l’importance de disposer d’un acteur régional neutre et volontaire, capable de convoquer, d’accueillir et de guider un processus de paix. Djibouti, sous la présidence d’Ismail Omar Guelleh, a bien fonctionné à cet égard. D’autres régions touchées par des conflits peuvent s’inspirer de ce modèle : un État voisin ou une organisation régionale servant de médiateur impartial, offrant un espace sûr pour le dialogue, assurant la logistique et apportant son soutien. Cette facilitation externe doit être sensible à l’appropriation locale et éviter toute imposition.
Dans de nombreux contextes post-conflit, l’inclusion des femmes et des acteurs non militaires reste une aspiration plutôt qu’une réalité. La garantie par Arta de sièges réservés aux femmes et la participation des jeunes ont montré que la reconstruction de la gouvernance n’est pas simplement l’affaire des chefs de guerre. Le message est clair : la construction de l’État doit être inclusive pour être légitime. Les efforts actuels de la Somalie (et d’autres pays) doivent permettre aux femmes et aux jeunes de participer de manière significative à la conception des institutions, à la surveillance, aux mécanismes de responsabilité et à la prise de décision, et non pas seulement de manière symbolique.

Conclusion
Alors que le président Ismail Omar Guelleh, en tant que frère somalien, s’est engagé à réveiller la conscience de la communauté internationale afin qu’elle s’implique dans la résolution du problème en Somalie, la réalité actuelle est différente. Les acteurs extérieurs ont des intérêts et, par définition, il est difficile de qualifier ces intérêts d’altruistes. Il incombe aux Somaliens de tracer la voie à suivre pour établir un partenariat fructueux et gagnant-gagnant avec les pays intéressés par des relations significatives avec la Somalie
La consolidation de la paix et la construction de l’État doivent être considérées comme un travail en cours : un processus et non un événement. La Somalie doit continuer à s’inspirer du processus d’Arta. Les dirigeants doivent se montrer à la hauteur de la situation.
Le chemin vers une légitimité totale et une gouvernance efficace reste inachevé. Ce que nous enseigne Arta, c’est que la construction d’institutions dans un contexte post-conflit est progressive, imparfaite, mais néanmoins vitale et absolument nécessaire.

En conclusion, le processus de paix d’Arta, lancé à l’initiative du président Ismail Omar Guelleh et généreusement facilité par Djibouti, a apporté une contribution déterminante à la reconstitution des institutions gouvernementales somaliennes. Il a renforcé la légitimité en élargissant la représentation, ancré l’architecture politique dans la formule 4,5, intégré les femmes dans le processus et mis en place les cadres institutionnels d’une gouvernance transitoire.
Il reste très important de s’appuyer de manière pragmatique sur Arta et de tirer parti et d’approfondir certaines des leçons ci-dessus. Il est essentiel d’élaborer un plan solide pour la paix en Somalie si l’on veut que les intérêts des pays voisins et du monde entier continuent à favoriser un développement robuste de la Somalie : une paix viable qui permettrait aux Somaliens de la diaspora de donner la priorité à leur retour au pays.
La construction constante de la paix et de l’État en Somalie pour la réalisation du développement, par opposition à l’enrichissement individuel égoïste, est une tâche qui doit être accomplie. Malgré les défis, sadashu waa guul !
Merci.

Mohamed Siad Doualeh, représentant permanent de Djibouti auprès des Nations-unies
28 octobre 2023

Le 30 octobre sera inauguré le mémorial pour la paix, à Arta.

 
Commenter cet article
Les commentaires sont validés par le modérateur du site avant d'être publiés.
Les adresses courriel ne sont pas affichées.
 
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 
Discours de Gedion Timothewos
 
Après Abiy Ahmed, Yoweri Museveni demande un accès sans entrave à l’océan
 
Forum panafricain de la jeunesse
 
Reprise des relations entre la Somalie et le Kenya
 
Djibouti rejette les accusations d’ingérence en Somalie
 
Hargueisa, future capitale fédérale de la Somalie ?
 
| Flux RSS | Contacts | Crédits |