La Somalie, pays de la Corne de l’Afrique, a sombré il y a maintenant presque 20 ans, à la chute du renversement du régime du général Siad Barreh par une coalition de milices claniques. Les politiciens somaliens n’ont jamais été capables de s’entendre sur une formule idéale de partage du pouvoir, plongeant le pays dans un bain de sang effroyable. Déchiré par ces guerres intestines successives, l’Etat Somalien, ou ce qu’il en reste, est en total déliquescence, les services publics de base sont inexistants, le pays s’est disloqué, d’ailleurs, deux provinces, celle de Somaliland, et celle du Puntland, se sont déclarées, pour la première indépendante, et pour la seconde autonome, et refusent par conséquent l’autorité de l’État fédéral.
Cette question de la scission de la Somalie n’est d’ailleurs pas d’actualité aujourd’hui, des plus grands défis restent à résoudre dans l’immédiat. Toutefois il ne fait pas de doute que cette interrogation se posera avec beaucoup plus d’acuité dès lors que la Somalie sera plus stable, reconstruite, et plus forte. La communauté internationale devra tôt ou tard se préoccuper de cette situation inquiétante, si elle ne souhaite pas voir à terme un second foyer d’incendie venir embraser à nouveau la Somalie toute entière. Pour certains la Somalie serait un pays à la dérive depuis la chute du régime du défunt général, pour d’autres, tels que le ministre des Affaires étrangères djiboutien, l’origine de cet effondrement serait beaucoup plus ancienne, certainement imputable à l’abdication des forces armées somaliennes devant l’armée éthiopienne en 1978. En effet, ces deux pays s’étaient affrontés durement en 1977, pour la province de l’Ogaden, appartenant à l’Ethiopie, mais à population majoritairement d’origine somalienne. Une politique expansionniste, à fort sentiment nationaliste, avait été menée tambour battant par le régime du général Siad Barreh. Cette dernière, d’ailleurs aurait été le ciment sur laquelle reposait en grande partie la cohésion nationale : la défaite militaire face à l’Éthiopie aurait fait imploser l’union nationale déjà fort fragile, elle porterait en elle les germes de l’effondrement de l’État somalien en 1991.
Aujourd’hui, 18 ans plus tard, la Somalie n’a toujours pas réussi à se relever, la situation est très préoccupante ! Pourtant depuis mars 2007, la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) s’efforce de stabiliser la situation, mais les résultats se font encore malheureusement attendre. Cette mission ne parvient à sécuriser qu’une petite portion de la capitale autour de l’aéroport, dont la Villa Somalia, siège de la présidence somalienne. Le précédent gouvernement de transition du président Youssouf Abdillahi, qui avait été installé en 2006, avant le processus de Djibouti, a échoué, plusieurs raisons peuvent l’expliquer. La première, et certainement la plus difficile à surmonter, était la trop grande proximité de ce régime avec l’Éthiopie. Il lui était reproché par ses détracteurs d’être un gouvernement imposé, non représentatif de la majorité de la population. La seconde, et pas des moindres, l’incapacité du président Abdillahi Youssouf a fédéré l’ensemble des mouvances antagonistes en Somalie autour de son gouvernement. Les raisons de cet échec ont été longuement débattues lors du processus de Djibouti qui a débuté au printemps 2008 : Il était important d’éviter dès le départ les différents écueils qui auraient pu faire trébucher le futur gouvernement fédéral de transition issus de ces pourparlers. Aussi il avait été décidé que dès la prise de fonction de ce dernier, il devrait absolument ouvrir un dialogue le plus large possible, y compris avec les mouvances islamistes, ce que le président Abdillahi Youssouf s’était toujours refusé de faire. Ces groupes islamistes, d‘ailleurs n’avait pas caché dès l’instauration du gouvernement d’Abdillahi Youssouf leur hostilité à celui-ci, affirmant qu’ils lutteraient sans relâches, sans répit, aussi longtemps que des troupes éthiopiennes seraient présentes sur le territoire de la Somalie. Pour rappel, l’intervention des troupes Ethiopiennes en Somalie, en 2006, faisait suite à l’impossibilité des forces gouvernementales du président Abdillahi Youssouf, à contenir l’expansion de l’Alliance pour la re-libération de la Somalie : la capitale, Mogadiscio mais également toutes les autres grandes villes de Somalie tombaient les unes après les autres dans l’escarcelle de ces derniers. L’Ethiopie, encouragée par le soutien de puissances étrangères, décida d’agir militairement afin d’appuyer le Gouvernement de transition, à chasser les islamistes de la Somalie. Elle ne pouvait accepter qu’une mouvance islamiste qui par ailleurs n’accepte pas la défaite de la Somalie en Ogaden en 1978, puisse prendre les rênes de cet État en totale décrépitude. Aussi le soutien militaire de l’Ethiopie au régime malmené du président Youssouf devenait de fait une nécessité politique. Militairement l’invasion éthiopienne en Somalie en décembre 2006 fut un succès éclair, une armée aguerrie, organisée et bénéficiant d’un appui conséquent des États-unis d’Amérique, ne pouvait que mettre en pièce les groupes armés des tribunaux islamiques.
Mais ces derniers ne se laissèrent pas vaincre si facilement, ils débutèrent une guérilla permanente avec le soutien et les encouragements d’une large majorité de la population somalienne qui ne pouvait supporter ce qu’elle considérait comme une occupation éthiopienne. Le président Abdillahi Youssouf n’avait pas d’autres alternatives, refuser le soutien éthiopien revenait à conduire son régime à sa perte. Devant l’opiniâtreté des insurgés, et ce malgré la présence des forces éthiopiennes et des forces de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), qui y étaient déployées depuis le 7 mars 2007, le président Abdillahi Youssouf ne réussissait pas à stabiliser la situation.
Les Tribunaux Islamiques affirmaient inlassablement qu’ils ne cesseront le combat armé qu’à compter du départ du dernier soldat éthiopien du sol national somalien. La question du départ des troupes éthiopiennes devenait urgente, voire lancinante : les troupes éthiopiennes n’étaient non plus la solution mais le problème au rétablissement de la paix en Somalie. C’est chose faite depuis le 25 janvier 2009, à cette date il ne se trouve plus de soldats éthiopiens en terre somalienne ! On pourrait se demander alors pourquoi alors les armes continuent à se faire entendre au-delà de cette date puisque le principal argument des insurgés pour perpétrer leurs crimes, était l’occupation de la Somalie par les troupes éthiopiennes. Par la suite, pour justifier leur poursuite des combats et des affrontements, ils auraient expliqué qu’ils souhaitaient avant de poser les armes, l’ouverture d’un dialogue inter-somalien au sens le plus large du terme afin de permettre l’émergence d’un véritable gouvernement de transition inclusif celui-ci : ce dernier postulat condamnait de facto le régime du président Abdillahi Youssouf, et de son gouvernement, l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme. Il devenait un obstacle au rétablissement de la concorde politique : il démissionna le 29 décembre 2008, sous la forte et aimable pression de la communauté internationale et plus particulièrement de celle du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Somalie, Ahmedou Ould Abdallah.
Ces deux hypothèques enfin levées, les cartes pouvaient être rebattues : le processus de Djibouti, en vue de l’établissement d’un gouvernement provisoire, ouvert et représentatif, allait voir le jour sous de bonnes auspices. Ces importantes discussions se sont déroulées en République de Djibouti sous l’égide des Nations unies et avec l’appui des autorités djiboutiennes. Elles ont réuni une grande majorité des mouvances somaliennes autour de la même table, à l’exception de la branche conservatrice et extrémiste des Tribunaux islamiques, menée par Cheikh Hassan Dahir Aweys, dont on dit qu’elle serait soutenue, financée et armée par le régime d’Érythrée. Ce pays poursuivrait ainsi par pays interposé, sa guerre contre son ennemi de toujours éthiopien. De fait, les Tribunaux Islamiques se sont scindés en deux ! Cette scission n’augurait d’ailleurs rien de bon à la veille de la conférence de réconciliation somalienne : au contraire elle posait une épée de Damoclès sur les résultats de ces discussions quelles qu’elles soient, puisque Cheikh Hassan Dahir Aweys rejetait par principe tout accord qui pourrait être issu de ce dialogue inter somalien.
L’accord de Djibouti a abouti après de longs conciliabules et la signature par l’ensemble des parties présentes aux termes définis dans un mémorandum d’entente. Trois acquis fondamentaux doivent retenir notre attention : premièrement l’élargissement du Parlement fédéral de transition, ce dernier passant de 275 à 550 membres, permettant ainsi une meilleure représentation nationale des différentes tendances politiques. Deuxièmement l’élection au suffrage indirect d’un président de consensus, en la personne de Cheikh Sharif Cheikh Ahmed. Enfin et troisièmement, à la mise en place d’un gouvernement fédéral de transition d’union nationale. Les jalons d’un État légitime et de larges obédiences étant enfin posés, il importait dès lors aux nouvelles autorités de se rendre rapidement à Mogadiscio et de mettre en pratique toutes les bonnes intentions exprimées. Mais tout ceci n’était sans compter dans l’accueil hostile et militarisé d’un front uni contre cet accord et dont par principe, il rejette les clauses du fait selon ses détracteurs, de son caractère non inclusif et influencé par des intérêts étrangers…
Cela ne sera que la 18e conférence de réconciliation depuis 1991 que l’une ou l’autre des parties rejettent, en s’efforçant par tous les moyens de la faire achopper. Mais il semblerait que malgré la tentative du coup d’État du 7 mai 2009, et de la guérilla urbaine persistante jusqu’à ce jour à l’intérieur de la capitale, le gouvernement fédéral de transition tienne tant bien que mal ses positions à l’intérieur de la capitale assiégée grâce à l’appui des forces de l’Amisom. Comme à l’accoutumé ce sont les populations innocentes, totalement démunies qui paient, encore une fois, le plus lourd tribut de ces affrontements meurtriers. La conférence des bailleurs de fonds qui s’est déroulée en avril 2009 sous l’égide des Nations unies afi n de permettre de venir en aide au gouvernement fédéral de transition a permis de réunir 240 millions $. Cela semble bien mince pour permettre de relever les nombreux défis en suspens qui attendent le président Cheikh Sharif.
L’Union africaine, disposant de 3450 hommes en armes, est dans l’incapacité de pouvoir appuyer les nouvelles autorités politiques convenablement. Quant à la communauté internationale, sans doute échaudée par les souvenirs cuisants de l’opération des Nations unies en Somalie et de l’opération américaine, dénommée, « Restore Hope », qui avaient toutes deux pris fin en mars 1995, exprime une certaine réserve quant à s’engager en l’état dans la situation en Somalie. Ce que cette crise a de plus grave réside dans l’incapacité de la communauté internationale à agir de concert dans une action définie, globale et durable pour la reconstruction de cet État en faillite. L’appui sous sa forme actuelle a montré ses limites, d’ailleurs, à écouter les longs discours de la communauté internationale, le retour à un État fort en Somalie est le voeu de chacun… Mais il ne suffit pas de le vouloir : il faut agir. Le temps joue en faveur des Shebbabs.
Aujourd’hui les Shebbabs ne cessent de renforcer leurs positions, de conforter leurs auras auprès de cette jeunesse totalement désoeuvrée, lassée par toutes ces vaines tentatives de reconstruction d’un État et qui, il faut les comprendre, sont de plus en plus nombreux à venir grossir leurs rangs, face aux troupes des forces du gouvernement fédéral de transition et de l’Amisom. Comment peut-on espérer éradiquer définitivement les troubles en Somalie lorsque le gouvernement fédéral de transition peine à verser régulièrement les soldes à ses propres forces combattantes et que les forces de l’Amisom, quant à elles, ne disposent d’aucuns moyens aéroportés, pire, d’un armement insuffisant pour faire face correctement à des hommes beaucoup mieux rémunérés, mieux motivés et puissamment armés par des intérêts étrangers, probablement érythréens. Cette situation invraisemblable a d’ailleurs été mise en exergue par l’appel solennel lancé par l’Union africaine à Syrte, en juillet 2009, et dans lequel ses États membres ont appelé la communauté internationale à assister davantage les États africains à fournir les contingents nécessaires à la stabilisation de la situation. Sans une coopération plus soutenue, il parait évident que le président Cheikh Sharif ne pourra réussir et l’instabilité continuera à régner en Somalie. Ce problème ne peut-être résolu qu’à travers une approche intégrée qui s’attaque aux causes sous jacentes du conflit, aux lacunes du gouvernement et à l’absence de moyens de subsistance pour la population. Mais le constat actuel est décevant. En dépit des nombreuses avancées politiques, sur le terrain, la situation en Somalie reste profondément instable. L’insécurité, l’absence d’État organisé est devenue une source de revenus, une entreprise profitable, où la loi du plus fort prime ! La lutte internationale contre la piraterie au large des côtes somaliennes, qui a pourtant mobilisé plus de seize nations et des moyens colossaux afin de juguler ce fléau, s’est révélée insuffisante. La piraterie n’est en réalité que le prolongement, et encore à une échelle bien amoindrie, du chaos ambiant prévalant sur la terre ferme. La crainte, justifiée, des pays de la région, d’une propagation de cet incendie à l’ensemble de la région, n’est vraiment pas à prendre à légère : le risque est réel. La priorité ne doit plus être uniquement la lutte contre la piraterie. Un plan beaucoup plus ambitieux doit être établi sans plus tarder, il doit viser la stabilisation de la Somalie, sur terre et sur mer. La réponse à ce dilemme est bien connue de la communauté internationale : les Nations unies ne peuvent plus se permettre de rester sur le banc de touche. Les joueurs de l’équipe sur le terrain ont besoin d’être remplacés, renforcés. A l’image de ce qui a été réalisé à Bagdad, une zone verte totalement sécurisée doit être instaurée afin de protéger les principales infrastructures stratégiques, les principaux espaces de vie et de commerces de la capitale, la soif de vie et de paix doit enfin reprendre le dessus sur la propagande diffusée par les islamistes. L’installation progressive, à Mogadiscio, des principales agences de développement du système des Nations unies, des différents corps diplomatiques, contribuerait à créer un nouveau climat, une nouvelle bouffée d’oxygène dont la population a pourtant tellement besoin. Il est important de ne pas laisser cette petite flamme s’éteindre ! Seuls des actes forts, des actes politiques, pas seulement financiers, permettraient d’ébranler cette assurance, cette arrogance des mouvances extrémistes. La décision n’est pas facile à prendre, surtout lorsque la guerre en Afghanistan, ou en Irak font encore rage : il est difficile de multiplier ainsi les différents théâtres d’intervention de la communauté internationale. Mais la question est plutôt la suivante, la communauté internationale a-t-elle vraiment le choix, soit elle s’investit pleinement aujourd’hui au côté du président Cheikh Sharif, ou soit elle se condamne à repousser uniquement l’échéance d’une opération d’envergure plus coûteuse, en vies humaines et financièrement et de surcroît incertaine dans l’issue de ses résultats finaux. Il ne peut y avoir de demi mesure à cet engagement !
Mahdi A.