Merci à celles et ceux qui m’ont alerté sur la confrontation entre le Maire et le Ministre issus du même bord politique. La fin de cette guéguerre sera probablement sifflée par leur chef. Allons au-delà.
Mon expérience à la tête de la ville de Djibouti étant sollicitée ces jours-ci sur le conflit entre le gouvernement et l’entité territoriale décentralisée, je donnerai un avis plutôt politique. Concernant le juridique, le conseil du contentieux administratif est habilité à se prononcer sur le fond de cette confrontation. Bien sûr, s’il est sollicité. Quand même, je dirai quelques mots sur la fameuse loi N°122/AN/05/5ème L relative au statut de la ville de Djibouti et servant de référence à chacune des parties en conflit, avant de terminer ce point de vue par quelques expériences que j’ai vécues au cœur du système et des relations difficiles entre la ville de Djibouti et le gouvernement.
Aussi, une presse nationale libre et indépendante pourrait bien nous éclairer davantage sur ce scoop de la semaine. Malheureusement, mes anciens collègues et amis, les journalistes de talent Ali Barkad, Nasser Fahmi, Kennedid Ibrahim, Ibrahim Miyir, Abdourazak Ali, Arteh Abdourahman, Fahim Ibrahim, Salah Ismail, Adoyta Daoud, etc. ne pourront pas enquêter et couvrir dans nos médias à cause du verrouillage systémique de l’information par le régime. Notre vision politique vise à enterrer définitivement ce « Ferme ta gueule » et libérer les talents de la presse nationale pour que nos compatriotes aient droit à une information libre et objective sur la gestion des affaires et les conflits au sein des pouvoirs publics.
1. Le pouvoir politique au cœur du champ de bataille de la Cité-État
Pour paraphraser la citation très connue de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre français, « Un maire à Djibouti, ça démissionne ou ça ferme sa gueule ». Ça résume tout n’est-ce pas ?
Dans un système de régime non démocratique comme le nôtre, ni le maire ni le conseil de Djibouti, pourtant légitimement élus, n’ont, malheureusement le moyen de gérer sereinement et librement la ville et le bien-être de ses habitants. Au cœur des tensions dans la Cité-État, on trouve la lutte pour le pouvoir politique. Lors de mon passage à l’Hôtel de ville, j’ai compris la vraie signification de l’appellation Cité-État qui nous est collée par les étrangers pour désigner la République de Djibouti.
M’appuyant sur mon expérience personnelle, politique et ayant fait de la loi n°122 ma boussole pour pouvoir gérer les tensions qui m’opposaient au régime, la source des conflits entre le gouvernement et la ville de Djibouti provient essentiellement de l’inexistence d’une volonté politique gouvernementale et d’un cadre juridique clair et adapté. L’introduction de la politique de décentralisation dans notre pays n’a été que la conséquence d’un rapport de force imposé par le FRUD dans sa guerre armée contre le régime djiboutien. Une fois les armes déposées par les rebelles et suite aux accords de paix, le régime l’a délibérément noyée pour ne jamais donner vie aux revendications légitimes et justes de notre communauté afar. Ce qui changera sûrement avec nous.
2. Loi n°122/AN/05, un texte volontairement truffé d’imprécisions
Les confrontations entre le gouvernement et la collectivité territoriale décentralisée, ici la ville de Djibouti, sont normales et inévitables. Chacun tente d’imposer son pouvoir dans un domaine précis, sur un sujet donné ou s’immisce, sciemment ou involontairement, dans les champs d’action de l’autre. C’est comme dans un gouvernement. Les ministres se confrontent et se font départager par l’arbitrage du Premier ministre ou du Président de la République.
Mais ce qui est hypocrite et malheureux, c’est que la loi n°122/AN/05/5ème L relative au statut de la ville de Djibouti est délibérément truffée d’imprécisions et manque, en profondeur, de clarté. Du moins, il n’a jamais été question de revoir ou de corriger ce texte juridique bourré d’incohérences. Cette loi, comme celle des régions, ont été copiées-collées et modifiées pour les rendre imprécises. Aucune réflexion juridiquement claire, politiquement sérieuse et adaptée à notre environnement, à notre contexte, à nos réalités n’a été menée. Nous avons rappelé plus haut que la décentralisation n’a été que la conséquence politique d’un rapport de force imposé par le FRUD mais vite inversé par la trahison propre au régime djiboutien.
3. Quelques tensions et conflits entre moi, maire de la capitale, et Ismail Omar Guelleh, président de la République
Bien que démocratiquement élu en février 2012, je savais que mon mandat à la tête de la ville ne serait jamais facile avec Ismail Omar Guelleh et son gouvernement. Je ne me faisais pas d’illusions sur ce que je considérais comme étant une forme de cohabitation inédite dans la gestion des affaires de la capitale. Une première au pays !
Avec le RADDE, j’ai gagné contre la formation politique du président, l’UMP, et dans l’unique processus électoral transparent de l’histoire de Djibouti. La défaite de sa coalition et l’émergence de notre mouvement politique, le président ne les avait pas encore digérées. La preuve, dès le début il a tenté de me phagocyter en me proposant le poste du défunt Idriss Arnaoud Ali, Allah Yarham, en ces termes : « Adiga aderkaa Idris Arnaoud baan kugu badali ».
Une tactique bien planifiée pour enterrer le RADDE. Arguments à l’appui et aguerri politiquement, j’ai poliment décliné l’offre en lui demandant gentiment de laisser Adero à son poste tout en lui confirmant ma disponibilité à travailler avec lui sur le développement de la ville.
Dans la tête du président, éléphant politique et chef du parti unique, le RADDE issu de la société civile n’était pas encore un parti politique et n’avait plus aucune raison de continuer à exister au-delà de l’élection municipale. Il fallait lui couper les ailes et enterrer prématurément l’ambition comme il avait réussi à faire avec d’autres en 2006 suite aux premières élections municipales, communales et régionales. Pour moi, pure produit politique jamais révélé avant 2012 et honnêtement en couveuse, j’ai pris mon envol planifié de longue date à l’occasion des élections municipales.
Mon ami, l’ancien Premier ministre Dileita Mohamed Dileita avec qui j’ai travaillé durant trois années en qualité de conseiller technique chargé de la communication, et pour qui j’ai beaucoup d’estime, pourrait témoigner d’avoir été une victime collatérale de la bataille politique entre moi et Ismail Omar Guelleh. L’ancien Premier ministre ne savait rien de mes ambitions politiques. Je les avais gardées sécrètes durant des années, bien avant mon arrivée dans son cabinet. Tout simplement, j’avais une lecture politique bien ancrée sur la principale compétence du chef de l’État, sa force en techniques de renseignements. Il utilise cette compétence particulière et redoutable soit pour vous étouffer dans l’œuf soit pour vous couper les ailes sans éveiller vos soupçons. Me concernant, ces deux tactiques avaient échoué.
Nous confrontant en permanence dans les couloirs serrés de la petite Cité-Etat, j’avais tenté, sans succès, de calmer les profondes inquiétudes du président de la République. Il craignait que l’Hôtel de ville devienne un tremplin pour le nouveau maire à la présidentielle de 2016. D’une part, il avait raison parce qu’il n’avait pas en face de lui quelqu’un de son parti mais une personnalité politique issue d’un autre mouvement renforcé par une légitimité électorale transparente. D’autre part, le président avait tort parce que je n’avais, en 2012, aucune autre ambition que celle de vouloir transformer en profondeur la ville de Djibouti.
Les tensions entre moi et le président de la République devenaient de plus en plus embarrassantes et pesantes. La première dame, Kadra Mahamoud Haid, que je rencontre dans son bureau à la présidence à propos de ces tensions, a tenté de concilier mes vues avec celles de son époux. J’avais apprécié son ton direct et ses questions pour apaiser les tensions : « Toi et le président, comment puis-je vous aider à surmonter vos différends ? Es-tu candidat à la présidentielle de 2016 ? ».
Avec mon franc parler naturel qui caractérise ma personnalité, je lui réponds sans arrière-pensée, sans aucune hypocrisie politique, avec respect et en toute sincérité : « Le président nous empêche de travailler. Il ne veut pas signer le décret qui nous permet d’agir. Les employés de la municipalité ne sont pas payés depuis cinq mois. Je ne suis pas candidat en 2016 ».
La première dame me rassure et s’engage à m’accompagner pour surmonter ces obstacles politiques et administratifs. En seulement 48 heures, le décret présidentiel jusqu’à là boudé par le chef de l’Etat est signé et les cinq mois d’arriérés de salaires non payés sont versés aux employés de la ville.
Après ce répit, le président de la République reprenait les hostilités. Il mandatait son ministre ou son Premier ministre pour m’ordonner d’annuler des arrêtés municipaux établis et publiés selon les règles et mes prérogatives. C’est dire que le pouvoir ne se partage pas au sein de la petite Cité-État devenue exiguë pour le chef de l’État. Il m’empêchait de travailler. Je résistais à ses assauts, à ses agressions à minutions politiques. Mais, je n’ai jamais cédé à aucune des injonctions politiquement arbitraires et juridiquement injustifiées.
Un jour parmi d’autres, de retour d’un voyage en Chine, sur la route de l’aéroport et en direction de mon domicile, je suis alerté et informé que mes bureaux à la Mairie brûlaient. Pire, toutes les semaines suivantes, le gouvernement refusait mes demandes insistantes de réhabiliter l’Hôtel de ville, réinstaller et rééquiper mes bureaux détruits par le feu. Face à ce refus incompréhensible et insensé, comme si la Mairie était ma propriété privée, je me tourne alors vers les partenaires et organismes internationaux (France, USA, Chine, PNUD, etc.). Grâce à leurs investissements, j’ai repris mes fonctions au service des habitants de la ville et au sein d’un Hôtel de ville flambant neuf, entièrement rénové et rééquipé.
Ma démarche de solliciter l’aide des partenaires internationaux après le refus du gouvernement et les réponses rapides obtenues auraient mis en colère le président de la République. Par lettre, son ministre de l’intérieur m’ordonne à ne plus adresser le moindre courrier aux organismes et aux partenaires internationaux et de passer, désormais, par le canal du ministère des affaires étrangères. Imperturbable, serein et sûr de pouvoir gagner ce nouveau bras de fer, je réponds au ministre poliment et en annexant à mon courrier à son adresse une copie d’articles juridiques démantelant la rage non justifiée de son chef.
Autre coup-bas comme j’en recevais régulièrement, il a été ordonné à ne plus diffuser nos activités municipales à la RTD. Tentative de priver nos informations à l’opinion publique. Et à l’époque, pas des réseaux sociaux aussi développés. Cette nouvelle attaque, je l’avais vivement contestée en présence du défunt ministre Ali Guelleh Aboubaker, Allah yarham, auprès du directeur de cabinet du chef de l’État, Ismail Houssen Tani, principale courroie de transmission des instructions présidentielles à l’adresse des médias publics. Dans notre débat tendu, Tani, désarmé par mes arguments a finalement lâché : « Adiguna naga daa dee Notoriété baad ku doonaysaye ». Je lui ai vertement répliqué : « J’ai la notoriété politique depuis le jour de ma victoire électorale ».
J’acceptais volontiers d’avaler des couleuvres quand mes idées et mes projets confisqués par le gouvernement apportaient du bien-être aux habitants de la capitale comme les feux de signalisation de la circulation routière confiés au colonel Abdillahi Abdi Farah patron de la police nationale, qui réduisaient les accidents dans la capitale. Le gouvernement visait à réduire mon espace d’action et mon pouvoir politique pour ne pas donner à l’opinion publique l’impression que le nouveau maire bossait. J’ai bien compris et j’ai pris acte.
Par contre, et bien que j’acceptais d’avaler volontiers certaines des couleuvres pour l’intérêt de la ville et de ses habitants, j’ai désobéi avec détermination à toutes les autres instructions ou tentatives visant tactiquement à m’infliger une humiliation, à m’affaiblir politiquement. Ne dit-on pas dans notre culture, « Hadi la Dhimanayana Dhareerka la iska duwa ». J’ai été déterminé à résister dans la dignité.
J’avais un choix à faire : me ranger dans les rangs pour me servir de la soupe ou tout simplement poursuivre autrement mon engagement sincère au service de nos compatriotes. Je décidais, en toute sérénité et en toute sincérité, de continuer autrement le combat politique avec dignité.
Je me préparais à démissionner. Je n’avais plus à garder le secret ou à renoncer à ma volonté politique de vouloir servir mes compatriotes. Je transformais le RADDE issu de la société civile en un parti politique avec le dépôt d’une déclaration officielle et administrative auprès du ministère de l’intérieur le 27 septembre 2012.
En février 2013, une année seulement après mon arrivée, je quitte définitivement l’Hôtel de ville en annonçant publiquement, à l’occasion de la campagne électorale des législatives, que nos missions au service des habitants de la ville de Djibouti ont été bel et bien entravées. Et que la lutte continue !
Abdourahman TX, ancien maire de Djibouti
Annexe : courriers échangés en mars 2025 entre Said Daoud Mohamed, maire de Djibouti, et Kassim Haroun Ali, ministre délégué chargé de la décentralisation.