Entretien avec Dileita Mohamed Dileita, président de l’Assemblée nationale de Djibouti [1].
Après avoir été Premier ministre entre 2001 et 2013, Dileita Mohamed Dileita est revenu sur le devant de la scène politique nationale en mars 2023, en devenant président de l’Assemblée nationale. African Business s’est entretenu avec cet ancien diplomate.
Nommé à la tête de l’Assemblée nationale par le président de la République, Ismaïl Omar Guelleh, Dileita Mohamed Dileita apporte à la chambre son expérience de Premier ministre, mais aussi d’ancien diplomate de haut rang. Il a occupé des postes à Paris, a été ambassadeur à Addis-Abeba - au siège de l’Union africaine - et a été chargé de mission auprès de diverses institutions internationales. S’il a sillonné le continent, il ne s’est jamais éloigné de Djibouti, son pays d’origine, où il exerce son cinquième mandat de député.
La crise du Covid et l’instabilité régionale - notamment en Éthiopie - ont ralenti la croissance économique du pays et la réalisation des objectifs de la Vision 2035. Que peut-on faire pour accélérer la réalisation de ces objectifs ?
Dileita Mohamed Dileita Le Covid a été quelque chose de nouveau et de soudain pour le monde entier. Le président a eu le réflexe extraordinaire de fermer très rapidement la frontière avec le monde extérieur. Sur le plan économique, il y a eu des conséquences, car l’économie est basée sur le commerce avec l’Éthiopie et le transport maritime en général, mais il a fallu faire avec. Nous avions lancé les projets 2035, mais cela ne nous a pas vraiment gêné. Le point positif, c’est que nous avons eu le courage de fermer toutes les frontières. Nous avons eu moins de morts et moins de cas positifs.
Le Fonds souverain de Djibouti organise le Forum de Djibouti à la mi-mai. Qu’attendez-vous de cet événement ?
DMD Quand on voit le nombre d’invités, les objectifs et les engagements qui pourraient être pris, cela nous donne beaucoup d’espoir. Les investisseurs vont voir par eux-mêmes quelles opportunités s’offrent à eux ici. Beaucoup de gens ne connaissent pas Djibouti, et c’est bien là le problème. Nous devons vendre le potentiel de notre pays. Nous attendons beaucoup de ce forum.
Vous avez été nommé président de l’Assemblée nationale l’année dernière. Comment représentez-vous la voix de Djibouti dans des instances telles que l’Union africaine et la Ligue arabe ?
DMD Djibouti est un pays stable depuis quarante ans, avec un gouvernement, des élections et un système démocratique. Même lorsqu’il y a eu des conflits dans la région, la voix de Djibouti a toujours été entendue. Aujourd’hui, nous sommes à la tête de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), une organisation qui regroupe huit pays dans un contexte régional assez difficile. En ce qui nous concerne, nous avons de très bonnes relations avec l’Éthiopie, même si l’accord qu’elle a signé avec le Somaliland a suscité quelques petites réserves.
Cet accord donnerait à l’Éthiopie, pays enclavé, accès à une partie du littoral du Somaliland...
DMD Oui, le président Ismaïl Omar Guelleh s’est s’attaqué à cette question. Pour nous, il n’y a qu’une seule Somalie, même si nous avons signé un accord avec le Somaliland sur la libre circulation des marchandises. La reconnaissance qu’il revendique est impensable, car la base même de la création de l’Union africaine est l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Le prédécesseur de l’UA, l’OUA, a été créé par tous les pays africains indépendants en 1963. Le seul pays qui a été créé après cela est le Sud-Soudan, parce qu’il y a eu des négociations. Le président de la République de Djibouti a pris en main la question du Somaliland.
D’une manière générale, quelles sont vos relations avec l’Éthiopie ?
DMD Nous avons une relation très particulière avec ce pays que nous avons beaucoup aidé et qui nous soutient. L’essentiel de notre commerce portuaire se fait avec eux. Il est légitime que l’Éthiopie cherche d’autres opportunités en termes de ports, car elle compte plus de 100 millions d’habitants, mais cela doit se faire dans le respect des règles. Si demain ils signent un partenariat avec le Kenya, ou avec un autre pays comme le Soudan, c’est tout à fait légitime, mais avec un pays qui n’est pas reconnu, cela pose des problèmes.
Revenons à Djibouti. Le continent a besoin d’institutions fortes pour assurer sa stabilité. Quel est le rôle exact du parlement dans le processus décisionnel du pays ?
DMD L’Assemblée nationale joue un rôle positif, non seulement dans la capitale mais aussi à l’extérieur. Après ma nomination en tant que président de l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de visiter les cinq régions. J’ai reçu un accueil extraordinaire. Nous avons déjà résolu certains des griefs qui avaient été portés à mon attention à l’époque. L’influence des parlementaires est très importante pour Djibouti.
Vous avez une longue carrière derrière vous. Vous avez notamment eu la chance d’assister aux premiers développements du pays, juste après l’indépendance. Comment avez-vous vu évoluer le pays ?
DMD Le principal obstacle était le manque de ressources. Djibouti n’avait pas encore de projet de société ni de structure économique. Le pays devait se développer. En 1977, au moment de l’indépendance, tout le monde s’est mis au travail. La passation s’est faite en douceur, car la France n’a pas quitté le pays du jour au lendemain, comme elle l’a fait en Guinée, par exemple. Le haut-commissaire, qui était le chef suprême avant l’indépendance, a assisté le président Hassan Gouled Aptidon. Pendant longtemps, il y a eu des conseillers français dans l’administration ou à la présidence. La transition s’est faite au fur et à mesure que les Djiboutiens revenaient au pays avec des diplômes et des formations. Les premières années d’indépendance se sont donc très bien passées, mais ce que notre peuple craignait à l’époque, c’était l’influence de ses voisins directs, comme l’Éthiopie et ses 90 millions d’habitants, ou la Somalie. Et puis il y a eu la guerre de l’Ogaden. C’est alors que le président Hassan Gouled Aptidon a eu l’intelligence de signer un accord de défense, pour nous garantir une protection, quels que soient les problèmes au-delà de nos frontières. En fait, Djibouti n’a jamais été affecté par des problèmes politiques extérieurs.
Et quelle a été sa trajectoire économique ?
DMD Lorsque nous avons rejoint la Ligue arabe en 1977, de nombreux pays nous ont aidé à nous développer, notamment l’Arabie saoudite. Les Koweïtiens ont construit nos routes et les Émiratis notre port, même si nous nous sommes séparés d’eux par la suite. Tous les pays arabes nous ont soutenus. Avec l’arrivée du président Ismaïl Omar Guelleh, ces relations se sont renforcées. Le port de Doraleh, le port pétrolier, le terminal à conteneurs, tous ces grands projets ont été réalisés. Les résultats sont là, les routes sont là, les infrastructures sont là.
Djibouti a été déstabilisé par la guerre civile dans les années 1990. Quel est l’état de la cohésion nationale, plus de vingt ans après, notamment en ce qui concerne les Issas et les Afars ?
DMD Avant l’indépendance, tous les partis étaient composés d’Issas et d’Afars, qui se sont battus ensemble pour la reconnaissance du pays. Mais en 1977, un groupe de la communauté afar a refusé de participer à la conférence de Paris, qui a été à l’origine de la naissance de Djibouti. C’est là que les problèmes ont commencé. Mais aujourd’hui, à Djibouti, je peux vous dire qu’il n’y a pas de problèmes tribaux. Si un ministre veut nommer quelqu’un d’une communauté ou d’une autre, il est libre de le faire. Nous avons une tradition de vivre ensemble.
Le mandat du président Ismaïl Omar Guelleh s’achève en 2026. Qui pourrait lui succéder et comment la succession devrait-elle être organisée ?
DMD Nous sommes un pays ouvert, avec une démocratie très avancée. Tout le monde à Djibouti sait ce que cet homme a fait. Au départ, lorsqu’il a été élu président de la République en 1999, la constitution limitait le nombre de mandats à deux. Mais nous l’avons forcé à revenir au pouvoir en 2011, car le contexte régional était tendu, avec de forts problèmes de piraterie. Nommer un nouveau président du jour au lendemain nous aurait posé des problèmes, et nos partenaires internationaux étaient d’accord. En fait, nous avons modifié la constitution de manière transparente.
Notre parti a remporté une large victoire aux élections de février 2023. Si le président veut partir en 2026, c’est son choix. C’est à lui de nous guider et de nous dire comment travailler pour trouver un nouveau président de la République. Et s’il veut continuer, toutes les possibilités sont ouvertes. Sage comme il l’est, il aura l’occasion de nous guider sur le bon chemin. Nous suivrons les instructions qu’il nous donnera.
Avez-vous un dernier message à faire passer pour clore cette interview ?
DMD Nous sommes très optimistes quant à la création du Fonds souverain de Djibouti et au forum à venir.
Récemment, le directeur du Fonds, Slim Feriani, est venu expliquer le rôle de cette institution aux parlementaires lors d’une séance plénière à l’Assemblée nationale. Avec lui, nous avons trouvé l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait. Aujourd’hui, chacun peut mesurer ses ambitions. Je suis sûr qu’à l’issue de ce forum, les perspectives du pays changeront beaucoup.
[1] Entertien publié en anglais dans African Business, mai 2024. Traduction Human Village avec l’aide de DeepL.