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Catherine Colonna et Sébastien Lecornu à Djibouti, quels enjeux ?
par Mahdi A., décembre 2023 (Human Village 49).
 

Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et Sébastien Lecornu, ministre des Armées, sont attendus demain, jeudi 14 décembre 2023, à Djibouti. Les Affaires étrangères françaises décrivent ainsi le programme et les objectifs de cette visite de travail : « Les ministres s’entretiendront avec M. Ismaïl Omar Guelleh, président de la République de Djibouti, ainsi que leurs homologues djiboutiens, M. Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, et M. Hassan Omar Mohamed Bourhan, ministre de la Défense.
Ce déplacement sera l’occasion de poursuivre les négociations portant sur la révision du Traité de coopération en matière de défense (TCMD) et de réaffirmer le partenariat stratégique entre la France et Djibouti, marqué par des liens durables, un respect mutuel et une coopération approfondie dans tous les domaines. » [1].

Le Héron

Les négociations sur la révision du traité de défense et la réaffirmation du partenariat stratégique
Il s’agit de donner un coup d’accélérateur aux négociations et de trouver un accord satisfaisant pour les deux parties. Deux ministres de poids, donc, pour apporter la réponse de la France aux différentes options proposées par le gouvernement djiboutien aux différents schémas opérationnels envisagés pour les FFDJ. Lors de la négociation, la France a manifesté notamment son souhait de renforcer sa présence, notamment de conserver l’ilot du Héron et d’augmenter son contingent d’environ 250 hommes pour atteindre un total de 1700. Ils pourraient être positionnées d’ici mai 2024, si les deux pays parviennent à s’entendre sur les trois chapitres en discussion. Les discussions peinent à aboutir, malgré les déclarations rassurantes des deux alliés. La prolongation d’un an de l’accord précèdent, jusqu’au 21 décembre 2022, n’a pas suffi à finaliser un nouvel accord. Djibouti a accepté, la nouvelle narration proposée par la France, considérant dorénavant que l’accord de défense signé sous la présidence Sarkozy, le 21 décembre 2011, n’était en vigueur que depuis mai 2014, date de sa ratification par le Parlement français, et donc valable jusqu’au 30 avril 2024.
Les arguties juridiques sont une force, pas une faiblesse, une formule que Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, ne renierait pas.

Que sait-on des positions djiboutiennes ?
Interrogé par Olivier Caslin dans les colonnes de Jeune Afrique sur la réévaluation du loyer des bases militaires, en particulier pour la base française, Ismail Omar Guelleh détaille les principes qui détermineront dorénavant les montants dont devront s’acquitter les pays disposant d’installations militaires sur le territoire :
« C’est ce que nous nous apprêtons à faire, en prenant également en compte l’aspect domanial de chacune de ces implantations. Les Chinois occupent 40 hectares, les Américains 150 et les Français 450, depuis l’aéroport de Djibouti jusqu’à l’ilot du Héron, au nord de la capitale. Nous souhaitons récupérer une partie de ce quartier pour l’ouvrir aux investissements touristiques, et j’ai interpellé le président Emmanuel Macron à ce sujet, comme je l’avais fait avec ses prédécesseurs. A chaque fois, les responsables politiques français semblent nous comprendre, mais les militaires bloquent. Leur projet est non seulement de rester sur place, mais d’y implanter une base navale européenne. Nous ne sommes pas d’accord et nous l’avons fait savoir. […]
Nous ne quémandons pas la charité mais réclamons notre juste dû, tant sur le plan financier que sur le plan domanial. Nous savons que la France tient beaucoup à cette base, le président Macron l’a redit en marge de son récent voyage en Afrique centrale. Très bien. Nous ne demandons pas mieux que de nous entendre avec ce partenaire a qui nous sommes habitués, même si notre coopération économique bilatérale n’est guère brillante. Mais chacun doit faire sa part. » [2].

Le point de friction porte sur la base navale du Héron. Djibouti souhaite récupérer l’emprise pour y développer des activités économiques prometteuses et soutenir l’emploi et la création de richesses. Cependant le pays pourrait-il se faire violence et trouver des points de convergence pour accepter les demandes française concernant la position militaire, en obtenant des compensations pour le maintien d’une base navale dans le « Neuilly » local ?

La pointe d’Endoume

Serge Edongo, analyste sur les questions stratégiques au pays du soleil levant [3], nous décrypte les enjeux des tractations liées au Héron, ainsi que l’asymétrie de la négociation :
« Nos amis français méritent d’être éclairés sur ce qui pourrait leur être néfaste, tandis que nos frères djiboutiens sont encouragés à se rappeler que leurs méthodes de négociations sont scrutées par tous sur le continent. Tout comme en 1893, les conseillers des ministres français semblent percevoir des pointes, des contours, leur bien-être, la gratuité liée à une histoire passée, mais jamais les destins humains.
Oui, envisageons une base à “Neuilly”, nichée dans les recoins les plus prestigieux de la presque iles du Héron, à quelques pas des établissements cinq étoiles, ou mieux encore, imaginons cette présence militaire étrangère en bord de mer à la pointe d’Endoume dans le 7e arrondissement de Marseille. Que diraient Sarkozy, Valls, Chevènement, De Villiers, pour ne pas citer Ciotti, Mélenchon et Darmanin.
Est-il vraiment nécessaire de revendiquer la valeur de la pointe du Héron en 2024 ?
Les Allemands, Japonais, Italiens, Suédois, Américains, Espagnols, et même quelques Français, profitent de l’hôtel Kempinski, mitoyen de cette base, avant de retrouver leurs baraques.
Les Japonais et les Américains, prêts à payer davantage, auraient pu envisager l’installation d’une base à Haramous, tant qu’à faire !
Nous ne sommes pas à Berbera au Somaliland, où tout est en chantier et toujours négociable. Peu importe les accords secrets, même avec les indemnisations revendiquées à la baisse. La France devrait considérer son image dans une région où sa présence militaire n’est plus aussi valorisée qu’à l’époque où les familles françaises “enrichissaient” la ville. Ce n’est ni à Dakar ni à Abidjan que les Français ont établi ces écoles et lycées où Français et locaux pouvaient étudier ensemble sans discriminations sociales ou financières. Reconnaissons-lui les avantages dont nous avons profité et qui ont certifié aussi un contact direct avec le vrai Djiboutien et non uniquement son élite...
Entre-temps, les Djiboutiens se sont enrichis, leurs partenaires se sont multipliés (apportant des projets de qualité et élevant les standards), tout comme l’évolution de la gestion de leurs revenus.
Dans les années 1990, la France signifiait à Djibouti qu’elle ne pourrait plus s’engager autant... Trente ans plus tard, les Djiboutiens leur rappellent que, tout comme pour eux, la rigueur de la gestion étatique annule des privilèges inexplicables. A l’époque Ismail Omar Guelleh s’était rendu au MEDEF pour proposer son port aux Français... et c’est alors un conseiller qui fera perdre la mise aux logisticiens français. Il semblerait que Dubaï, sur des conseils douteux ait perdu son port, laissant place à une surpuissance chinoise. Cessons de douter. Le Djiboutien de 2024 est à l’écoute de ces avantages et ces “ridicularisations”, même si beaucoup d’efforts restent à faire...
Je me concentre ici sur les hommes et leurs consciences, non sur l’escroquerie intellectuelle de l’usage de “Djibouti en zone stratégique, porte de l’Afrique” et autre blablabla, connus surtout de ceux qui arrivent mais qui n’apportent rien à une population de moins d’un million d’habitants et qui manquent d’infrastructures qui serviraient l’intérêt de tous…
En se concentrant sur le futur, ils sauront que tout doit changer. En Somalie, un État fort s’établit progressivement. La position stratégique de l’Érythrée se consolide, et l’Éthiopie se normalise (consciente de son incapacité actuelle à expliquer à sa population qu’elle devra payer, respecter ses voisins tout en élevant les partenariats stratégiques). Aucun de ces pays ne négocierait à la baisse.
Djibouti le sait, et la balle est fermement tenue dans son camp. Espérons qu’ils aient la all-star team... Une campagne de lobbying avec un cabinet d’études ayant conseillé Singapour, la référence coûterait entre $2-5M au minimum, à moins que le patron ne maîtrise.
Paul Biya a cassé les accords de défense sous Sarkozy. Est-ce la raison pour laquelle il n’est jamais arrivé à Yaoundé ? En refusant d’aider le Cameroun dans sa lutte contre Boko Haram, Fillon avait prétexté l’option de la Russie… n’imaginant pas que les Russes donneraient bien plus.
Voyons ce qui va aboutir. 2023 fut une année exceptionnelle pour l’Afrique. Un tournant que le président Ismail Omar Guelleh pourrait confirmer pour le début de cette année 2024.
Que les Djiboutiens nous édifient. »

La presqu’ile du Héron, au premier plan la base française

Les exonérations fiscales françaises sont évaluées à près de 200 millions de dollars par an
Mohamed Ali Hassan, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, explique que le manque à gagner pour les finances de l’État justifie à ses yeux le versement d’une compensation financière. Cette perte est très élevée, de l’ordre annuellement de plusieurs centaines de millions de dollars pour l’ensemble de la communauté militaires installée à Djibouti.
« Je voudrais clarifier deux choses, la compensation financière ne peut pas être schématisée, elle ne peut être calculée sur le nombre de soldats présents. C’est important de parler du manque à gagner de Djibouti. Pourquoi des compensations financières ? Car il y a des manques à gagner pour le gouvernement ! Il y a des exonérations qui sont faites, sur les visas, les taxes. Il y a également des parcelles de terrains qui sont octroyées. Pour nous, les compensations financières ou les loyers, comme on peut les appeler, servent à remédier aux manques à gagner.
Je peux vous dire que les sommes qui sont payées par les forces présentes, sont de loin, de très loin, en deça de ce qui pourrait être considéré comme compensatoire par rapport au manque à gagner financier pour le gouvernement djiboutien. Mais bien évidemment il y a des intérêts politiques, des gains diplomatiques dans cette relation avec ces pays là. Ceux-là, ne sont peut être pas palpables pour tout le monde, mais pour le gouvernement, pour ses choix et ses stratégies, ils sont importants. ».
Et il ajoute pour dire les choses très clairement : « L’intérêt de Djibouti pour la Chine dans cette relation, je pense qu’il est important que tout le monde sache, comprenne, que les alliés traditionnels de Djibouti, et qui sont également présents ici à Djibouti, n’ont pas eu beaucoup de réalisations économiques… Vous avez beaucoup mentionné les Américains dans vos interventions, pourtant avec ce partenaire là, non plus, les résultats attendus n’ont pas été au rendez-vous ! Pour Djibouti, il est extrêmement important qu’il y ait des investissements privés, mais également des politiques de coopération ciblées dans la construction d’infrastructures de base pour la population, qui sont essentiels pour tout développement économique et social. C’est quelque chose que nous attendons beaucoup de nos partenaires, et la Chine, il faut le dire, fait beaucoup à Djibouti, mais aussi au niveau continental. ».

Les ministres des affaires étrangères de l’UE, le 11 décembre 2023

Une France plus accommodante que lors de la renégociation de 2011 ?
Lors d’une audition de Sébastien Lecornu devant la commission des affaires étrangères en octobre dernier, le sénateur Pascal Allizard, vice-président de cette commission, interrogeait le ministre sur l’état d’avancement de la renégociation du traité de défense avec Djibouti : « la contribution versée au gouvernement de Djibouti au titre de l’implantation de nos forces permanentes sur son territoire, est d’un montant de 26,5 millions d’euros, soit 0,4 million d’euros de plus qu’en 2023. Le traité de coopération avec Djibouti est en cours de renégociation. Il est essentiel, dans notre stratégie, de conserver ce partenariat de défense avec Djibouti. Pourriez-vous nous dire où en sont les discussions avec les autorités djiboutiennes ? » [4].
Le ministre Lecornu s’est montré plutôt optimiste, convenant que les prétentions de Djibouti étaient compréhensibles : « Les discussions se poursuivent avec Djibouti et se passent bien. Une équipe de négociation travaille, qui comprend un ambassadeur et un représentant du ministère des armées. Certaines demandes de la partie djiboutienne sont très claires et parfaitement légitimes, notamment en ce qui concerne la revalorisation du loyer. Il n’est pas injustifié que Djibouti demande que la France augmente sa participation, dans la mesure où la base a une vocation opérationnelle, destinée à accueillir le groupe aéronaval et un sous-marin nucléaire d’attaque, à faire décoller des chasseurs ou bien à mettre en œuvre des opérations comme l’opération Sagittaire, qui a eu lieu il y a quelques semaines au Soudan pour évacuer nos ressortissants. La nouvelle génération de traités doit être adoptée d’ici au début de l’année prochaine. »

Apparemment Djibouti a des arguments puissants à faire valoir, et de solides soutiens pour plaider en sa faveur si l’on se fie aux propos tenus mercredi 21 juin 2023, à l’Assemblée nationale, en commission de la défense nationale et des forces armées, par Yannick Favennec-Bécot, par ailleurs, vice-président du groupe d’amitié parlementaire France-Djibouti :
« Je salue l’engagement de nos forces armées sur place et de notre personnel diplomatique ainsi que la mobilisation inconditionnelle des autorités djiboutiennes et de l’ambassadeur de Djibouti en France dont la réactivité a contribué à la réussite de l’évacuation. Cela démontre une nouvelle fois que Djibouti est un véritable allié de la France. Nos deux pays ont tissé des liens solides que nous devons entretenir car rien n’est jamais acquis et que la nature a horreur du vide. Il faut chérir cette relation privilégiée, cette amitié réciproque, en pensant également à la montée en puissance de l’armée djiboutienne et à la hausse de l’aide publique au développement. La France et nos forces armées sur place s’en trouveront grandies. Le renouvellement du traité de coopération et de défense entre nos deux pays devrait nous permettre d’aller dans ce sens, à condition qu’il soit gagnant-gagnant et que l’action de Djibouti soit valorisée à son juste prix. La réussite de l’opération Sagittaire aidera-t-elle à faire évoluer notre coopération avec Djibouti dans le sens d’un équilibre véritable et d’une plus grande considération à l’égard d’un allié très fidèle ? » [5].

Pourquoi Djibouti attire tant la France, et plus largement l’Europe ?
Plusieurs raisons expliquent que la France veuille absolument rester accrocher à ce rivage, mais le mieux pour en parler est sans doute l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine nationale française qui évoque ces causes lors d’une audition à l’Assemblée nationale en juillet dernier :

« La dépendance européenne aux flux maritimes est aussi considérable pour les biens de consommation et, depuis peu, pour l’énergie. La mer n’est pas vide, de très nombreux bateaux de plus de quarante mètres participent à un trafic qui bouge en permanence. Chaque jour, quinze super porte-conteneurs, transportant 20 000 “boîtes” chacun, franchissent le canal de Suez en direction des ports européens. Débarqués, ces 300 000 containers représentent une file de camions ininterrompue de Brest à Berlin ! La voilà, notre dépendance. Ce que vous avez sur vos bureaux, dans votre frigidaire, vos costumes, tout cela transite en partie par le canal de Suez, qui voit passer chaque jour l’équivalent d’un Rungis annuel.
La marine et les marines alliées sont les acteurs de la sécurisation de ces flux. Tel est notamment le cas dans le détroit d’Ormuz, depuis que nous avons déployé la mission AGÉNOR en 2019, à la suite de vives tensions entre Américains et Iraniens, ces derniers menaçant le trafic commercial dans la zone. Le Surcouf, qui y participait, vient de rentrer de patrouille. Coordonnés par un état-major aux Émirats arabes unis, les Européens se relèvent pour assurer cette mission.
La route qui nous sépare des gisements de gaz du Golfe n’est pas simple. Les navires doivent franchir trois points resserrés, dont la maîtrise à moyen terme n’est pas garantie : le détroit d’Ormuz, sécurisé par la mission AGÉNOR ; le détroit de Bab-el-Mandeb, sur lequel donne Djibouti et où une base chinoise prend un essor assez inquiétant ; le canal de Suez, qui, dans l’histoire, n’a pas toujours été simple à utiliser et à la sortie duquel se trouve aujourd’hui la base russe de Tartous qui déploie une activité militaire loin d’être négligeable. Il suffit d’une montée en tension pour que les choses se compliquent et que ces flux soient rapidement menacés.
Nul ne peut nier les effets de ces ruptures sur le quotidien des Français, sur leur niveau de vie, sur la continuité de nos approvisionnements et sur notre économie, aujourd’hui et demain plus encore. Nous le constaterons probablement cet hiver lorsque nous devrons rationner l’énergie. » [6].

En tenant compte des arguments présentés par l’amiral Pierre Vandier, est-il possible de penser que les dernières annonces des Houtis du Yémen – donc à 29 kilomètres du rivage djiboutien – menaçant d’attaquer les navires israéliens ou se dirigeant vers un port de cet État et passant par le Bab El Manded, ce passage stratégique reliant la mer Rouge au golfe d’Aden, en représailles à la guerre menée par l’armée israélienne contre le Hamas palestinien à Gaza, puissent être considérés comme une menace directe pour le commerce international et la sécurité maritime ? Ce constat nécessiterait une réponse multilatérale ou du moins une vigilance accrue de la communauté internationale pour assurer la libre navigation dans une voie maritime essentielle au commerce mondial. Depuis le 7 octobre, plus d’une vingtaine de drones ont été abattus dans la région, ainsi que quelques missiles, par des navires américains. D’ailleurs la menace est prise très au sérieux depuis l’arraisonnement spectaculaire du navire marchand Galaxy Leader appartenant à une société britannique elle-même propriété d’un homme d’affaires israélien. Au point que, selon une information du quotidien français Le Figaro,« [l]’administration américaine qui tente depuis le 7 octobre d’empêcher une extension du conflit, cherche la parade. Elle planche sur un renforcement de la “Task Force 153” déployée depuis le printemps 2022 en mer Rouge et dans le golfe d’Aden. De hauts responsable de l’US Amy se sont récemment entretenus à ce sujet avec leurs homologues saoudiens et français. La piste privilégiée consisterait à combiner les moyens des opérations de l’OTAN dans la Corne de l’Afrique (Atalanta) et de l’UE dans le détroit d’Ormuz (Agenor) » [7].

Ces menaces Houties sur la navigation pourrait donner du grain à moudre à ceux qui, comme Laurence Trastour-Isnart, rapporteure de la commission de la défense et des forces armées, milite pour mobiliser l’Union européenne et ses États membres afin qu’ils s’impliquent plus fortement dans la région : « L’Union européenne ne peut se désintéresser de ce qui se passe en Indopacifique compte tenu de l’ampleur des liens économiques qui l’unissent aux principales puissances de cette région. C’est également là que les grands problèmes globaux, à commencer par le changement climatique, trouveront ou pas une solution. En Indopacifique comme ailleurs, l’Union européenne doit défendre ses valeurs et ses intérêts par l’ensemble des moyens à sa disposition. L’Union européenne doit mobiliser les moyens de ses États membres qui ne s’impliquent pas suffisamment dans la région, à l’exception de la France. Certes, l’opération Atalante contre la piraterie et les trafics dans la Corne de l’Afrique se poursuit depuis 2008, ainsi qu’une mission de formation militaire qui a été lancée au Mozambique en 2021. Il nous apparaît important de poursuivre ces deux opérations en leur donnant les moyens nécessaires. » [8]
Est-il possible que la France puisse faire de cette crise au Bad El Mandeb, une opportunité pour faire avancer son ambition affichée de devenir un acteur incontournable et indispensable de la puissance de défense européenne. Dans cet objectif, la position française à Djibouti est une des cartes maitresses de sa stratégie du “bouclier au loin” pour l’Europe. Catherine Colonna a-t-elle profité du Conseil des ministres des Affaires étrangères du 11 décembre dernier pour prendre le pouls de ses partenaires européens pour une présence navale européenne renforcée dans cette zone, de les sensibiliser sur l’urgence d’agir ensemble à l’instar de l’opération Atalanta pour sécuriser cette zone névralgique pour ses intérêts ? [9].

Dans le prolongement de cette même idée, la visite de Catherine Colonna et Sébastien Lecornu à Djibouti vise-t-elle à consolider l’offre de services de la France que mettra sur la table Emmanuel Macron à l’occasion du Conseil européen réunissant l’ensemble de ses homologues, les 14 et 15 décembre 2023 ? Le moins que l’on puisse dire, est que le contexte qui prévaut dans la région – sans oublier la crise au Soudan - n’aurait pas pu être meilleure pour obtenir l’adhésion des États de l’UE à la construction d’une culture stratégique navale commune en Indopacifique, et dans une première étape autour de la position stratégique française de l’ilot du Héron.

Djibouti a-t-elle mis la barre trop haut ? Qu’est-ce qu’un juste prix ? Le pays escompterait selon nos informations entre 100 et 150 millions d’euros de redevance annuelle en fonction des choix opérationnels adoptés par « ce partenaire a qui nous sommes habitués ». Rien d’exorbitant finalement, presque de la petite monnaie lorsque l’on connait le prix d’un seul avion Rafale de Dassault, et les espoirs de l’industrie militaire hexagonale de faire de la position des FFDJ une sorte de « plateforme Amazon » des armées pour vendre aux pays de la région et de l’Indopacifique armes, navires de guerre et formations militaires… « God knows where we’re heading » !

Mahdi A.


[1« Djibouti - Déplacement de Catherine Colonna (14 décembre 2023) », France Diplomatie, 11 décembre 2023.

[3Serge Edongo, vit à Tokyo depuis 28 ans. Partenaire chez Findex Japan, il apporte une expertise éclairée de l’Afrique pour les entreprises japonaises. Ayant exploré toute l’Afrique pour les médias japonais, son évolution vers le conseil aux entreprises lui offre une vision unique des négociations et la possibilité de révéler une révolution silencieuse dans les partenariats internationaux, empreinte d’adaptation asiatique. Fort de sept ans chez un géant logistique mondial à Tokyo, il conseille également les gouvernements africains, apportant une perspective stratégique et innovante.

[4Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, Compte rendu du 09/10/2023 (Commission des affaires etrangeres), Sénat, 11 octobre 2023.

[6« Audition du chef d’état-major de la Marine », Assemblée nationale, 27 juillet 2022

[7Nicolas Barotte, « La menace des drones en mer contraint les marines à repenser leurs défenses », Le Figaro, 11 décembre 2023.

[8« Examen, ouvert à la presse, des conclusions de la mission d’information sur les enjeux de défense en Indopacifique », Assemblée nationale, 16 février 2022, télécharger le pdf.

[9Conseil des affaires étrangères, Conseil européen, 11 décembre 2023.

 
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