Nous vous proposons ci-dessous une traduction du document du 15 février 2023 dans un lequel un tribunal américain justifie sa décision de rejeter les positions djiboutiennes à la suite de l’arbitrage entre DCT et Djibouti. Nous en avons allégé l’appareil juridique pour rendre le texte plus lisible. Le texte complet en anglais est disponible en PDF.
La République de Djibouti a fait appel de la décision.
Tribunal du District de Columbia, États-Unis
Doraleh Container Terminal SA, requérant, contre la République de Djibouti, défendeur.
Action civile n° 20-02571 (TFH)
Avis pour mémoire
I. Introduction
Le requérant Doraleh Container Terminal SA (DCT) introduit cette action contre le défendeur, la République de Djibouti (Djibouti), afin d’obtenir la confirmation de deux sentences arbitrales rendues en 2019 par la Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA) en faveur de DCT. DCT cherche à confirmer les sentences en vertu de la loi fédérale sur l’arbitrage […] qui codifie la Convention de 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (la « Convention de New York »).
Djibouti s’oppose à la confirmation des sentences, arguant que cette Cour n’a pas de compétence matérielle sur la Requête et que la confirmation doit être refusée conformément à la Convention de New York.
Le 26 janvier 2023, la Cour a entendu les arguments des parties sur la requête et a rendu un arrêt confirmant les sentences arbitrales. Conformément à cette décision, le présent avis circonstancié fournit des explications supplémentaires sur la décision de la Cour.
II. Contexte
A. Contexte factuel
DCT est une joint venture entre l’autorité portuaire de Djibouti, Port de Djibouti SA (PDSA) et DP World Djibouti (DP World). […] Lors de la création de l’entreprise, DP World détenait une participation minoritaire de 33,34 % dans DCT, mais avait le droit de nommer la majorité des membres du conseil d’administration de DCT et exerçait un contrôle sur cette entité. […] DCT a été constituée par une loi adoptée par le Parlement de Djibouti. […] Djibouti est un état étranger […].
En octobre 2006, Djibouti et DCT ont conclu un accord de concession pour construire et développer un nouveau terminal à conteneurs international sur la mer Rouge à Doraleh, Djibouti. […] En échange de la construction du terminal, l’accord accordait à DCT le droit exclusif de gérer le transport de conteneurs à Djibouti, et exigeait de Djibouti qu’il paie des redevances pour tous les navires qui n’accostaient pas au terminal. […] L’article 20 du contrat prévoit l’arbitrage de tout litige entre les parties selon les règles de la LCIA s’il ne peut être réglé à l’amiable. […] La convention de concession a été ratifiée par le Parlement djiboutien le 18 décembre 2006. […] DCT a achevé le terminal dans les délais prévus, conformément à l’accord, en décembre 2008. […] Conformément à l’accord, DP World a géré les opérations quotidiennes du terminal. […] En 2014, Djibouti a entamé l’arbitrage de Londres, LCIA n° 142732, contre DCT, DP World et Dubaï International, affirmant, entre autres, que la convention de concession devait être annulée parce qu’elle avait été obtenue au moyen de pots-de-vin et de corruption. […] DCT et DP World ont introduit des demandes reconventionnelles contre Djibouti pour défaut de paiement de certaines redevances et pour violation de leurs droits d’exclusivité en vertu du contrat de concession. […] L’audience d’arbitrage a été menée selon les règles de la LCIA devant un tribunal d’arbitres à l’automne 2016. […] Le 20 février 2017, le tribunal a rendu la première des quatre sentences, rejetant les demandes d’invalidation de la convention de concession présentées par Djibouti dans leur intégralité, et concluant que Djibouti était tenu de payer les coûts et les frais de justice. Le tribunal a rendu la deuxième sentence finale partielle le 29 juin 2017, accordant à DCT des frais et honoraires pour un total de 7 millions de livres sterling. […] Cette sentence a été payée. […]
Les première et deuxième sentences n’ont pas abordé les deux demandes reconventionnelles de DCT, qui ont été suspendues à la fin de l’audience de 2016 pour permettre des discussions en vue d’un règlement commercial entre les parties. […] Les demandes reconventionnelles ont plutôt été traitées dans les troisième et quatrième sentences, qui sont les sentences en cause dans ce litige. […] Au cours de 2017 et en 2018, les parties ont tenté sans succès de résoudre les demandes reconventionnelles. […] Avant l’éventuelle audience d’arbitrage, en 2017, Djibouti a promulgué une loi permettant au gouvernement djiboutien d’exiger la renégociation des « contrats d’infrastructures stratégiques » et de les résilier unilatéralement en cas d’échec de cette négociation. […] En décembre 2017, le gouvernement djiboutien a invoqué cette loi pour renégocier le contrat de concession, mais DCT et DP World ont refusé de s’engager. […] En réponse aux demandes de Djibouti, en février 2018, DCT a émis un avis de différend à Djibouti, et a entamé une deuxième procédure d’arbitrage distincte pour confirmer le contrat de concession. […] Deux jours après que DCT a intenté le second arbitrage, « en représailles apparentes », le président de Djibouti a émis un décret prétendant mettre fin à la convention de concession, et Djibouti a pris le contrôle physique du terminal à conteneurs. […] Malgré la loi et les décrets exécutifs de Djibouti prétendant résilier la convention de concession, le tribunal dans le second arbitrage a estimé que celle-ci « reste valide et contraignante ». […]
En septembre 2018, Djibouti a demandé au tribunal de première instance de Djibouti, dans le cadre d’une procédure ex parte, la nomination d’un administrateur sur DCT en raison de « tensions » entre les actionnaires, DP World, et PDSA, une division du gouvernement djiboutien. […] Le tribunal djiboutien a nommé Chantal Tadoral comme administrateur provisoire de DCT. […] Le 9 novembre 2018, le tribunal initial de Londres a tenu une audience d’arbitrage sur les demandes reconventionnelles de DCT. […] Bien que Djibouti ait initié la procédure en 2016, il n’a pas comparu. […] Au lieu de cela, le 18 novembre 2018, Mme Tadoral, prétendant représenter DCT, a demandé la suspension de l’arbitrage. […] Le 3 janvier 2019, le tribunal a rejeté la demande de suspension parce qu’il était déjà passé à l’étape de l’audience sans aucune contestation de la part des demandeurs reconventionnels. […] Le 3 mai 2019, le tribunal arbitral a rendu sa troisième sentence finale partielle, accordant des déclarations selon lesquelles Djibouti a violé la convention de concession et accordant des dommages et intérêts totaux et des frais de justice à DCT pour un montant de 474 388 673 $US, sans compter les intérêts. […] Le 1er juillet 2019, le tribunal a rendu la quatrième sentence finale partielle accordant des intérêts sur les redevances et les frais de justice impayés à DCT. […] Le montant total des dommages et intérêts s’élève à 485 755 717,80 $US, à l’exclusion des intérêts sur les demandes d’exclusivité et les demandes de redevances depuis le 11 avril 2019.[…]
B. Historique de la procédure
Le 14 septembre 2020, DCT a déposé devant cette cour une requête en confirmation des sentences arbitrales contre la République de Djibouti. […] Après un long différend sur la signification de la procédure, Djibouti a conclu une stipulation dans laquelle il a accepté de répondre à la requête avant le 22 novembre 2021. […] Le 22 novembre 2021, Djibouti a déposé sa réponse, niant généralement les allégations de la pétition, et affirmant sept défenses affirmatives. […] Après que DCT ait objecté à diverses demandes de communication préalable de Djibouti, le 24 janvier 2022, DCT a déposé une lettre d’avis informant la cour que la réponse de Djibouti était « une réponse inappropriée à la pétition » en vertu de la Loi fédérale sur l’arbitrage (FAA), que ses demandes de communication préalable étaient « prématurées et inappropriées » et que la pétition était mûre pour une résolution sur le fond. […] Le 3 février 2022, Djibouti a déposé une requête pour obliger la découverte et une réponse à la lettre d’avis du requérant. […] La Cour a tenu une audience sur la motion le 14 novembre 2022, a rejeté la motion de contrainte, et a ordonné aux parties de soumettre un calendrier de briefing stipulé pour résoudre la pétition sur le fond. […] Le 3 janvier 2023, Djibouti a soumis sa réponse en opposition à la requête de DCT. […] Le 24 janvier 2023, DCT a soumis sa réponse à l’appui de la pétition. […]
La cour a entendu les arguments sur la requête le 26 janvier 2023 et a confirmé les sentences arbitrales. Le présent avis expose le raisonnement de la cour pour cette décision, conformément aux conclusions qu’elle a faites pendant l’audience.
III. Analyse
Djibouti soutient que la cour devrait rejeter la requête pour deux raisons : premièrement, que la Cour n’a pas la compétence matérielle pour entendre la requête en vertu du Federal Arbitration Act ; et deuxièmement, que deux motifs de refus de confirmation de la sentence en vertu de la Convention de New York s’appliquent.
A. Compétence matérielle
Selon la jurisprudence du circuit du D.C., « lorsque la compétence est demandée à un souverain étranger pour l’exécution d’une sentence arbitrale […] deux conditions doivent être remplies : premièrement, il doit y avoir une base sur laquelle un tribunal des États-Unis peut exécuter une sentence arbitrale étrangère ; et deuxièmement, [le souverain étranger] ne doit pas jouir d’une immunité souveraine contre une telle action d’exécution ». […] Conformément à la décision du circuit, la présente cour examinera ces conditions dans l’ordre inverse. […] Les deux sont satisfaits ici, et cette cour a la compétence matérielle sur la requête.
1. L’immunité souveraine
Premièrement, Djibouti a renoncé à l’immunité souveraine en vertu de la loi sur l’immunité des États étrangers (FSIA). La FSIA est « la seule base pour obtenir la compétence sur un État étranger devant les tribunaux des États-Unis ». […] En vertu de la loi, « un État étranger bénéficie d’une immunité présumée contre la juridiction des tribunaux des États-Unis ; à moins qu’une exception spécifiée ne s’applique, un tribunal fédéral n’a pas de compétence matérielle… » […]. Et parce que « la compétence matérielle dans une telle action dépend de l’existence de l’une des exceptions spécifiées... au seuil de toute action devant un tribunal de district contre un État étranger... le tribunal doit s’assurer que l’une des exceptions s’applique... ». […]
C’est ce dont la cour est convaincue ici. La section 1605(a)(1) de la FSIA dispose qu’« un État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction des tribunaux des États-Unis [...] dans toute affaire [...] dans laquelle l’État étranger a renoncé à son immunité [...] de manière implicite. » […] Le circuit du D.C. a estimé qu’il y a renonciation implicite à l’immunité souveraine lorsqu’« un État étranger a déposé un acte de procédure en réponse à une action sans soulever la défense de l’immunité souveraine », pour autant qu’il « manifeste une décision consciente de prendre part au litige ». […] Djibouti ne conteste pas la compétence de la cour pour des raisons d’immunité souveraine et a déposé de nombreuses pièces de procédure, notamment sa réponse à la requête, une motion de communication préalable et sa réponse. […] Sa claire, « décision consciente de participer au litige » est plus que suffisante pour démontrer une renonciation implicite à son immunité souveraine. […]
2. Fondement de l’exécution des sentences
Deuxièmement, la cour est compétente pour faire appliquer les sentences en vertu de la FAA. La Convention de New York […] est un traité multilatéral qui s’applique à « la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un État autre que l’État où la reconnaissance et l’exécution de ces sentences sont demandées ». […] La FAA déclare qu’une action ou une procédure relevant de la Convention sera considérée comme relevant des lois et traités des États-Unis. Les tribunaux de district des États-Unis [...] ont compétence initiale sur une telle action ou procédure, quel que soit le montant du litige. […]
En l’espèce, les parties ne contestent pas que les sentences arbitrales relèvent de la compétence accordée par le § 203. Djibouti soutient au contraire que la cour n’est pas compétente en la matière parce que l’article 207 du 9 U.S.C. permet à un tribunal de « confirmer une sentence arbitrale étrangère uniquement si la demande est faite par une “partie à l’arbitrage” à un “tribunal compétent” ». […] Cet argument repose sur l’affirmation de Djibouti selon laquelle le DCT n’a pas le pouvoir d’intenter une action en justice parce que son administrateur provisoire présumé n’a pas approuvé la requête. […]. Djibouti affirme que cette absence d’autorité signifie que le DCT n’était pas une « partie à l’arbitrage » et que la compétence matérielle de la Cour ne s’étend donc pas à cette action. […] Djibouti soutient également que pour des raisons similaires, DCT n’a pas qualité pour agir. […]
Cependant, cet argument n’est pas fondé pour au moins trois raisons :
(1) aucun autre tribunal n’a rejeté une demande pour défaut de compétence matérielle au titre de l’article 207 du 9 U.S.C. ;
(2) même si l’article 207 est un obstacle à la compétence, DCT remplit les conditions légales pour intenter une action et a qualité pour agir ;
et (3) l’argument de l’autorité de Djibouti n’a aucune incidence sur la compétence matérielle du tribunal. Premièrement, il n’est pas évident que l’article 207 constitue un obstacle à l’exercice par la cour de sa compétence matérielle. L’article 207 du titre 9 du Code des États-Unis dispose, dans son intégralité, que dans les trois ans qui suivent le prononcé d’une sentence arbitrale relevant de la Convention, toute partie à l’arbitrage peut demander à tout tribunal compétent en vertu du présent chapitre de rendre une ordonnance confirmant la sentence à l’encontre de toute autre partie à l’arbitrage. Le tribunal confirme la sentence à moins qu’il ne trouve l’un des motifs de refus ou d’ajournement de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence spécifiés dans ladite convention.
Djibouti ne fournit pas, et la cour n’a pas pu trouver, de cas où un tribunal a rejeté une requête pour défaut de compétence matérielle […]. Les tribunaux ont plutôt interprété l’article 207 comme exigeant principalement qu’un tribunal exécute une sentence arbitrale étrangère à moins qu’il ne trouve l’un des motifs spécifiques de refus d’exécution en vertu de la Convention de New York. [1]. Alors que le § 207 fournit certainement la base par laquelle un tribunal peut rejeter une requête, cette cour ne voit rien qui suggère que ce serait sur des bases juridictionnelles.
Deuxièmement, même en acceptant le § 207 comme une limitation de l’exercice de la compétence de la cour, la demande de DCT relève toujours de la base de la Convention de New York pour l’exécution d’une sentence arbitrale. DCT est nommé dans le dossier à la fois dans l’arbitrage de Londres et dans ce procès. Dans les deux procédures, DCT est représenté par Quinn Emanuel. […] Et comme indiqué dans le mémoire de DCT, « le même conseil qui a autorisé l’arbitrage a autorisé cette procédure auxiliaire visant à faire appliquer les sentences… ». Selon toute interprétation raisonnable de la loi, DCT était une partie à l’arbitrage sous-jacent, et est donc en mesure d’intenter une action en vertu du § 207.
L’argument connexe de Djibouti selon lequel DCT n’a pas la qualité pour intenter l’action échoue pour des raisons similaires. Le Restatement (Third) on the U.S. Law of International Commercial Arbitration stipule qu’une « personne qui participe à une procédure arbitrale en tant que partie sans objection de la part d’une autre partie a la qualité pour intenter une action après sentence » […]. Non seulement DCT a participé à l’arbitrage comme décrit ci-dessus, mais Djibouti a eu la possibilité de s’opposer à son statut de partie à cet arbitrage et ne l’a pas fait.
Par conséquent, la Convention de New York fournit à cette cour une base pour l’exécution des sentences. En conséquence, la Convention de New York fournit à la cour une base pour l’exécution des sentences. Avec la renonciation de Djibouti à son immunité souveraine, cela suffit pour que la cour estime qu’elle a la compétence matérielle pour exécuter les sentences.
Troisièmement et enfin, l’argument d’autorité de Djibouti n’a aucune incidence sur la compétence matérielle de la cour. Il apparaît à la cour comme une tentative déguisée de contester la sentence pour des motifs qui auraient pu être portés devant l’arbitre, plutôt que comme une contestation authentique de la compétence matérielle de la cour. Malgré une invitation du tribunal arbitral à commenter l’autorité de DCT, Djibouti a refusé de répondre, et soulève ici son argument pour la première fois. […] Mais il n’appartient pas à cette cour de s’engager sur des questions qui auraient pu être traitées devant l’arbitre. La portée de l’examen par un tribunal d’une sentence arbitrale est « extrêmement limitée ». […] Et comme d’autres tribunaux l’ont jugé, « si une partie ne soulève pas une question... aux arbitres, cette question est abandonnée ». […] Si Djibouti souhaitait contester l’autorité de DCT, Chantal Tadoral, la prétendue administratrice provisoire de DCT et une non partie à l’arbitrage, a écrit au tribunal et a demandé une suspension de la procédure pour que les tribunaux djiboutiens puissent résoudre toute question d’autorité, mais Djibouti ne l’a pas fait. […] Comme nous le verrons plus loin, Djibouti a été informé de l’arbitrage et a eu la possibilité d’y participer, mais ne l’a pas fait. « Toute perte d’opportunité d’être entendu a donc été auto-infligée ». […] Pour que Djibouti ait le pouvoir d’introduire une demande, il devait le faire devant l’arbitre, et non pour contester la compétence matérielle de cette cour.
De plus, après avoir conclu qu’elle a la compétence matérielle pour entendre la requête, cette cour ne peut pas considérer l’argument de l’autorité de Djibouti comme un motif indépendant pour rejeter la requête. L’absence d’autorité d’une partie pour intenter une action n’est pas l’un des motifs explicites sur lesquels une cour peut refuser une sentence arbitrale en vertu de la Convention de New York. […] Le pouvoir du DCT d’intenter une action n’a aucune incidence sur la décision de la cour de confirmer les sentences, que ce soit pour des raisons de compétence ou autres. En conséquence, la cour conclut qu’elle a compétence matérielle sur la requête de DCT.
B. Les défenses de Djibouti en vertu de la Convention de New York
La cour se tourne ensuite vers les arguments de Djibouti pour refuser les sentences en vertu de la Convention de New York. Un tribunal de district « ne peut refuser l’exécution de la sentence que pour les motifs explicitement énoncés à l’article V de la convention ». […] [2] Djibouti avance deux motifs pour rejeter les sentences en vertu de l’article V de la Convention de New York : (1) il n’a pas été suffisamment informé de la reprise de la procédure d’arbitrage ; et (2) la confirmation de la sentence violerait l’ordre public des États-Unis. La cour aborde ces deux points ci-dessous.
1. Article V(1)(b)-Information insuffisante
La Cour rejette l’argument de Djibouti selon lequel la requête devrait être rejetée en vertu de la Convention de New York pour notification insuffisante. En vertu de l’article V(1)(b), un tribunal peut refuser d’exécuter une sentence si « la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment avisée de la nomination de l’arbitre ou de la procédure d’arbitrage ou n’a pas été en mesure de faire valoir ses arguments ». […]. Cette disposition « sanctionne essentiellement l’application des normes de l’État du for en matière d’application régulière de la loi ». […] En vertu du droit des États-Unis, « une procédure régulière exige une notification raisonnablement calculée, dans toutes les circonstances, pour informer les parties intéressées de l’existence de l’action et leur donner l’occasion de présenter leurs objections. » […]
Djibouti soutient que la requête devrait être rejetée parce que « le tribunal a violé ces normes d’application régulière de la loi lorsqu’il a levé la suspension de ses procédures sur les demandes reconventionnelles contre la République sans notifier à la République la reprise de ces procédures ». […] Mais le dossier soumis à cette cour démontre que Djibouti a été effectivement informé de la procédure et a refusé de participer à l’arbitrage lorsque l’occasion lui en a été donnée.
Le 9 novembre 2018, le tribunal a tenu une audience sur les demandes reconventionnelles de DCT sans la participation de Djibouti. […] Cinq jours plus tard, cependant, l’avocat de Djibouti, le cabinet Ghaleb, a mis en copie du panel arbitral un courriel adressé à Chantal Tadoral, l’invitant à demander au panel de suspendre la procédure pour résoudre la question de l’autorité. […] Comme le souligne DCT dans sa réponse, « étant donné la nature confidentielle de l’arbitrage, il est tout simplement impossible pour le Cabinet Ghaleb d’avoir eu connaissance de l’audience et de l’état de l’affaire… si la République n’a pas été effectivement informée de la procédure d’arbitrage. » […] D’autres tribunaux ont également conclu que le fait de contacter le tribunal prouve une notification adéquate en vertu de la Convention de New York. […]
En outre, le Tribunal a clairement donné à Djibouti « la possibilité d’être entendu » comme l’exige la norme de l’application régulière de la loi. Après le 14 novembre 2018, M. Ghaleb a été mis en copie de nombreuses communications entre les parties et le tribunal, mais au-delà de l’accusé de réception, lui et son client ont choisi de garder le silence. […] Le Groupe a même demandé à Djibouti, par l’intermédiaire de son avocat, de commenter la question de l’autorité, mais il a encore refusé de répondre. […] Par conséquent, l’article V(1)(b) ne constitue pas un motif de rejet de la requête.
2. Article V(2)(b)-Contraire à l’ordre public américain
L’argument de Djibouti selon lequel l’exécution de la sentence serait contraire à l’ordre public américain est également rejeté. L’article V(2)(b) permet à un tribunal de refuser la confirmation d’une sentence lorsque « la reconnaissance et l’exécution de la sentence seraient contraires à l’ordre public du pays [du forum] ». […] Selon le précédent de ce circuit, « la défense d’ordre public doit être interprétée de manière étroite pour n’être appliquée que lorsque l’exécution violerait les notions les plus fondamentales de moralité et de justice de l’État du forum ». […]
S’appuyant sur l’article V(2)(b), Djibouti soutient que l’exécution de la sentence « porterait atteinte à la capacité du Public de contrôler le Port - son territoire souverain ». […] Son seul soutien pour cette affirmation est Hardy Expl. & Prod. (India), Inc. v. Gov’t of India, Ministry of Petroleum & Nat. Gas, qui a seulement jugé que « l’exécution de la partie de la sentence arbitrale relative à l’exécution spécifique violerait l’ordre public des États-Unis ». […] Il n’y a pas d’élément d’exécution spécifique dans la sentence ici, et aucune menace ultérieure à la souveraineté de Djibouti. Une sentence purement compensatoire ne viole pas l’ordre public des États-Unis. […] Les dommages-intérêts monétaires compensent ici DCT pour la violation d’un contrat par Djibouti, et ne menacent pas la souveraineté ou ne violent pas autrement l’ordre public des États-Unis. Par conséquent, l’article V(2)(b) ne constitue pas un motif de rejet de la requête.
IV . Conclusion
Pour les raisons qui précèdent, ainsi que pour les raisons énoncées dans le dossier lors de l’audience du 26 janvier 2023, la cour fait droit à la Requête de DCT visant à confirmer les sentences arbitrales. Une ordonnance appropriée accompagne cette opinion de principe.
Thomas F. Hogan, Senior United State Distritct Judge
[1] Djibouti n’a pas non plus pu citer de cas où un tribunal a rejeté une demande de confirmation au motif plus général que la partie n’avait pas le pouvoir d’intenter une action
[2] « En vertu de la Convention de New York : (1) une sentence arbitrale peut être refusée à la demande de la partie contre laquelle elle est invoquée lorsque (a) les parties à la convention étaient frappées d’une incapacité quelconque ; (b) la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de la procédure d’arbitrage ; (c) la sentence porte sur une question qui ne relève pas des termes de la soumission des parties à l’arbitrage ; (d) la composition du tribunal arbitral n’était pas conforme à la convention des parties ; (e) la sentence n’est pas encore devenue obligatoire ; ou (2) la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale peuvent être refusées dans le pays où elles sont demandées si (a) la question arbitrée n’est pas susceptible d’être arbitrée en vertu de la loi ou (b) si elles sont contraires à l’ordre public de ce pays ». […] « La charge d’établir le fondement factuel requis pour refuser la confirmation d’une sentence arbitrale incombe à la partie qui résiste à la confirmation et la démonstration requise pour éviter une confirmation sommaire est élevée. » […]