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L’Éthiopie à fleur de peau ?
par Mahdi A., novembre 2021 (Human Village 43).
 

L’Éthiopie serait-elle à fleur de peau ! Que penser d’autre lorsque le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, porte-parole du gouvernement, Mahmoud Ali Youssouf, ressent le besoin de rappeler, par une série de messages postés sur Twitter ce matin - mercredi 10 novembre -, que les propos la veille sur la même messagerie du président de l’Autorité des ports et zones franches, Aboubaker Omar Hadi, n’engagent que sa personne et en aucune manière la République de Djibouti.
« Le gouvernement de Djibouti a toujours évité de s’immiscer dans les affaires intérieures des autres pays en particulier dans celles des pays voisins et frères. Quelle que soit l’opinion exprimée par le président de l’Autorité du port et de la zone franche, il s’agit d’une opinion personnelle qui ne reflète pas la position du gouvernement de Djibouti. Il appartient au gouvernement et au peuple éthiopiens de régler leurs affaires intérieures. »

La polémique n’en finit pas de s’amplifier sur les réseaux sociaux. Aux alentours de 14 heures, le président de l’Autorité des ports et zones franches, a posté sur Twitter un message, banal en apparence, dans lequel, il pose un constat : « Ethiopia can’t win against Ethiopia » [1].
Le message est perçu comme inapproprié, voire provocateur par certains qui y voient un parti pris, puisque le post n’aurait pas distingué les parties : le gouvernement élu d’Abiy et les Forces de défense du Tigré (dénoncé par le parlement éthiopien comme un mouvement terroriste). Suscitant l’indignation de plusieurs internautes, comme Bethelehem Denku qui n’hésite pas à l’interpeller : « Votre gouvernement vous a chargé de vous assurer que le port de Djibouti dessert efficacement et de manière fiable le #Ethiopian import, #Export marchandises. Pourtant, vous vous mêlez de questions assez sensibles et bien incompréhensible pour vous. Ça fait mal pour les Éthiopiens ». Un autre internaute a réagi dans le même sens en apostrophant Aboubaker Omar Hadi sur Twitter : « La mission de Hadi n’est pas de commenter les problèmes internes de l’Éthiopie ». Joseph Werihun pousse le bouchon encore plus loin puisqu’il estime que ce post est une ingérence, au point de demander la démission de son auteur : « Dire que TPLF est l’Éthiopie est très dommageable pour nos relations symboliques. Vous devriez démissionner. »
Les avis sont partagés dans cette polémique qui enflamme les réseaux, puisque d’autres internautes interviennent pour prendre la défense d’Aboubaker Omar Hadi. Comme un dénommé Sam qui tente de clarifier les propos, qui seraient mal interprétés. Il ne s’agirait que d’un appel au dialogue et à la réconciliation entre les Éthiopiens : « Gardez votre haine loin d’ici, le président vient d’appeler à la paix ». « Le président n’a fait que souligner le besoin de paix et de réconciliation entre tous les fils d’Éthiopie. Une déclaration tout à fait raisonnable. Je suis sûr que les relations entre Djibouti et l’Éthiopie survivront à votre incompréhension », assure un dénommé A son Of Djibouti qui dit ne pas comprendre les réactions outrées alors que le post partait selon lui d’un « bon sentiment ».
Comment l’Éthiopie comprend-elle le tweet de Hadi ? S’est-il aventuré en terrain dangereux en le lançant ? Apparemment, des internautes éthiopiens prennent mal ce qu’ils perçoivent comme une invitation au gouvernement d’Abiy à revoir sa position, à remiser les armes pour s’asseoir à la table de négociation de paix avec le TPLF sous médiation internationale.

En écrivant « Ethiopia can’t win against Ethiopia », Aboubaker Omar Hadi ne devait pas s’attendre à autant de critiques, ni à susciter des réactions politiques. D’autant plus que son message fait écho aux espoirs de la communauté internationale de voir se conclure un cessez le feu entre le gouvernement d’Abiy et le TPLF. C’est ainsi notamment que s’intensifient les efforts diplomatiques ces derniers jours, qui ont conduit Olusegun Obasanjo, envoyé de l’Union africaine, et Martin Griffiths, secrétaire adjoint pour les affaires humanitaires de l’ONU, à se rendre dimanche 7 novembre dans la capitale tigréenne Mekele pour rencontrer Debretsion Gebremichael, le président du TPLF. Des négociations seraient tellement en bonne voie que l’ancien président nigérian a évoqué une fenêtre d’opportunité pour faire taire les armes et ouvrir un dialogue politique. « Tous les leaders ici à Addis Abeba et dans le Nord sont individuellement d’accord sur le fait que les différences qui les opposent sont politiques et requièrent des solutions politiques à travers le dialogue ».
Cependant, en dépits des efforts des pays de l’IGAD et plus largement de la communauté internationale pour amener les belligérants à la négociation, la situation est tellement volatile chez notre grand voisin que les erreurs d’interprétation électrisent les réseaux et les populations. Dans de nombreux commentaires le tweet d’Aboubaker Omar Hadi est perçu comme une interférence. Ils interprétent son message comme une invitation à des pourparlers avec le TPLF pour ramener la paix dans la Corne. Bien que sa démarche soit louable, on ne peut que lui recommander de réfléchir à la portée de ses propos publics à une période où la région entière s’enflamme, et où certains seraient trop heureux de souffler sur les brindilles pour plonger Djibouti aussi dans la tourmente.

Avant de nous quitter, interrogeons-nous : que pouvons-nous dire de la position de Djibouti sur la crise politique en Éthiopie ? Interrogé par Olivier Caslin dans Jeune Afrique [2], Mahmoud Ali Youssouf donne la position officielle de notre pays. Questionné sur l’impact de ce conflit sur notre territoire, ainsi que sur le risque de voir le conflit dégénérer et l’Éthiopie imploser, il répond que « Djibouti est le premier à subir les dommages collatéraux du conflit éthiopien. Nos économies sont tellement interdépendantes que nos relations sont quasi organiques. Toute perturbation chez notre premier partenaire commercial a donc des répercussions immédiates chez nous et nous commençons à les ressentir ces dernières semaines. Les trafics portuaires à l’import ainsi que le transit ont fortement baissé, tandis que, dans l’autre sens, nos produits importés d’Éthiopie, comme les céréales, les fruits et légumes, peinent à être acheminés. L’impact est réel et nous ne maîtrisons pas le cours des événements. […]
Nous sommes persuadés que l’Éthiopie ne va pas se disloquer. C’est un pays complexe, habitué à traverser des crises profondes. La phase de transition entamée ces dernières années montre les limites du fédéralisme ethnique mis en place depuis trente ans. Et une succession de décisions malheureuses prises, tant par le gouvernement central que par le TPLF [3], ont conduit à cette situation dramatique sur le plan politique et humanitaire.
Il va falloir beaucoup de temps avant que cette crise trouve sa résolution. La solution ne peut être que de long terme et établie sur le dialogue. C’est ce que souhaite la communauté internationale et c’est, du point de vue de Djibouti, la seule issue souhaitable. Il est aujourd’hui très difficile de voir comment vont évoluer les choses, mais il y a urgence à ce qu’un cessez-le-feu puisse être instauré le plus tôt possible. La situation nous préoccupe beaucoup et nous espérons vraiment qu’Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, règle cette crise. Djibouti souhaite travailler avec une Éthiopie unie, pour voir nos économies continuer d’avancer vers une plus grande intégration. »
Bref, une tempête dans un verre d’eau ?
Effectivement le tweet de Hadi peut être considéré comme « malvenu », il n’en reste pas moins qu’il est conforme à la position de Djibouti, qui plaide officiellement pour la résolution du conflit en Éthiopie par le dialogue.

Mahdi A.

PS : sur Facebook, on trouve ce sage commentaire d’un dénommé Ali Omar : « Il apparaît que le tweet du président de l’APZFD ait déchaîné les passions de la Twittosphère dans un contexte que nous savons particulièrement sensible ! Ce message ne prétend à aucune analyse dudit contexte et ne vise pas à légitimer les propos d’Aboubaker mais se veut avant tout et surtout objectif ! Aboubaker incarne certes sa fonction tout en restant libre d’exprimer son individualité, comme vous, moi ou n’importe quel Djiboutiens, officiel ou non ! Il est vrai que ce tweet puisse prêter à diverses interprétations. Ceci étant, en y regardant de plus près… il ressort que l’interprétation prédominante que les internautes se sont faits de ce tweet n’est pas cohérente au regard des précédents tweets du président de l’APZFD, sur l’Éthiopie en général. Ce dernier semble avoir très tôt relevé les risques désastreux de cette guerre et ses conséquences irrémédiables sur les vies humaines ! Difficile donc de saisir les intentions qui ont pu lui être prêtées par ce seul tweet ! Au final, tout ceci peut se résumer selon que… comprenne qui pourra ou qui voudra ! #Restons curieux #Restons à l’écoute, yeux et oreilles grands ouverts ! Un Djiboutien qui vous veut du bien ! »


[1L’Éthiopie ne peut pas gagner contre l’Éthiopie, voir en ligne.

[2Jeune afrique du 26 septembre 2021.

[3Front de libération du peuple du Tigré.

 
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