Déborah Grivillers, chargée de mission presse & communication à l’ambassade de France, a proposé à notre rédaction d’accueillir dans nos colonnes l’entretien de rentrée politique de l’ambassadeur Arnaud Guillois. Nous avons évidemment accueilli très favorablement cette proposition. La communicante présente tout le long de l’entretien s’est montrée discrète, se contentant de légers acquiescements du menton, pour confirmer chiffres et dates cités, noms de localité, bon ajustement de la cravate, ou encore du pliage de la pochette de costume.
Arnaud Guillois est très courtois, charmeur et habile diplomate. Il est indéniablement doté d’une grande agilité intellectuelle et sa capacité de répartie force le respect. Qualifié de fin communicant après l’entretien, il a répondu un peu sur la défensive, « peut-être mais, tous les propos tenus sont sincères, reposent sur des convictions fortes, des faits réels et vérifiables » : francophonie, Covid, étudiants, coopération universitaire, coopération économique, relations militaires, visas… Le plaidoyer est de qualité, il s’emploie à démontrer tout l’amour que la France porte à Djibouti et à son peuple.
Cet entretien vise aussi à rappeler au président Ismaïl Omar Guelleh qu’Emmanuel Macron attend de le recevoir à l’Élysée, et que pour l’occasion les petits plats seront dans les grands. Rien à voir donc avec la visite de rattrapage de François Hollande à la toute fin de son mandat. Conscient des desseins de cette invitation à Paris, Ismaïl Omar Guelleh ne compte certainement pas se précipiter. Afin de capitaliser un maximum sur l’événement et la couverture médiatique afférente, le plus plausible est une visite en décembre, à quelques semaines de l’échéance électorale d’avril 2021.
Arnaud Guillois a une feuille de route. Sans doute est-elle liée à l’ambition affichée de la France de devenir un acteur incontournable et indispensable de la puissance de défense européenne. Dans cet objectif, la position française à Djibouti est une des cartes maitresses de sa stratégie du « bouclier au loin ».
Rencontre avec un diplomate très fin, doté d’un rare sens de l’humour et d’une courtoisie bien française.
Tout d’abord, monsieur l’Ambassadeur, que pouvez-vous nous dire sur la gestion du Covid-19 à Djibouti ?
Concernant la pandémie du Covid, je disais encore ce matin a des amis qu’il valait mieux être à Djibouti en ce moment qu’en Europe, où ailleurs dans le monde, pour affronter cette maladie. La situation est aujourd’hui maitrisée à Djibouti, cela ne veut pas dire que le virus a disparu, mais il est sous contrôle. Et c’est dans ce contexte que les mesures barrière, les mesures de protection, et le respect de tout le protocole sanitaire sont mis en place de la manière aussi rigoureuse que possible. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec plusieurs membres du gouvernement djiboutien et, pour ce qui me concerne, ici, s’agissant du protocole sanitaire, aussi bien pour les locaux dont j’ai la charge, à l’Ambassade même — au moment où nous faisons cette interview, nous portons tous des masques, nous appliquons la distanciation physique, nous avons du gel hydro alcoolique à proximité — que pour les établissements français, qui sont liés à l’Agence française pour l’enseignement du français à l’étranger, donc aussi bien la Nativité que le lycée français Kessel, 2500 élèves quand même, des protocoles sanitaires en lien avec le ministère de l’éducation nationale ont été mis en place. L’Institut français de Djibouti qui a rouvert le 5 septembre dernier, ça c’était essentiel de le faire. Ce matin je rencontrais la communauté française, la communauté militaire, qui vient d’arriver au mois de septembre, je leur ai dit de continuer à rester extrêmement rigoureux, sur un plan professionnel et sur un plan personnel, s’agissant de la lutte contre la pandémie. Maintenant, ce que l’on attend tous c’est la découverte d’un vaccin, ce que l’on attend tous c’est sa certification, puis sa commercialisation, et c’est à partir de ce moment-là que l’on pourra retrouver un semblant de vie normale. Mais très franchement, à l’échelle du continent, je l’ai dit déjà publiquement ce n’est pas nouveau, Djibouti tire son épingle du jeu sur un plan sanitaire.
La francophonie est en perte de vitesse à Djibouti si l’on se fie aux propos tenus dans nos colonnes par notre éminent « caravanier des mots », Chehem Watta. La langue des affaires, ici, est devenue l’anglais. Comment la France compte-t-elle retrouver son rayonnement linguistique ?
Oui je connais bien Chehem Watta, et qui était à l’Institut français il y a trois jours. Mais est-on vraiment sûr de ce diagnostic : moi je me pose la question. Vous savez les francophones sont spécialistes pour se couvrir de cendres. Pour se dire que c’était mieux avant, qu’il y a de moins en moins de francophones, etc. Je suis présent depuis un an, je n’ai pas vocation à donner des leçons ou à tirer des conclusions sur des décennies d’observation. Cependant, lorsque je vais à Tadjourah, et que je me balade dans les rues de la localité et que les gens m’abordent parce qu’ils m’ont reconnu et qu’ils savent que je suis l’ambassadeur : j’échange avec de parfaits francophones. Lorsque je vais à Ali Sabieh, je rencontre de parfaits francophones. Quand je me rends à l’université, la dynamique de la francophonie, y est extraordinaire. Vous parlez de l’anglais, mais moi je suis un multi linguiste, je n’ai pas une vision étriqué et fermée du français. J’en ai une vision ouverte. J’en ai une vison d’échange, et qu’un Djiboutien parle l’anglais, ou bien l’arabe, ou le somali, ou encore l’afar je trouve que c’est formidable, c’est même ce qui fait la richesse de Djibouti.
La première chose que m’a dit le président de la République quand il m’a reçu en audience à mon arrivée – et c’est un message très fort - que le français, la francophonie, c’est l’ADN de Djibouti. Il ne parlait pas au passé, il parlait au présent. Après, que dans l’enseignement, dans le domaine des affaires, il y ait un petit moins de francophonie, qu’il y a dix ou vingt ans, ce n’est pas du tout impossible. Personnellement je suis là, pour regarder l’avenir et pas me vautrer sur une vision nostalgique du passé. Qu’est-ce que je vois ? Je vois d’abord que la francophonie, c’est une langue de business. Quand un Congolais veut faire des affaires avec un Québécois, un Français, ou un Djiboutien : dans quelle langue vont-ils parler ? Évidemment en français. La francophonie, cela sera d’ici, vingt à trente ans, 500 millions de locuteurs dans le monde entier. Aujourd’hui la première ville francophone au monde, ce n’est pas Paris, pas même Montréal, c’est Kinshasa. Et ça, c’est une source de richesse extraordinaire. Cela n’empêche pas qu’il faille aiguiller, renouveler, être en permanence en dynamique, et c’est ce que j’essaye modestement de faire avec mes partenaires djiboutiens dans tous les domaines.
Voilà ce que l’on fait durant le Covid - c’est un exemple parmi d’autres – on a signé avec le ministre de l’Éducation nationale un accord de partenariat pour des cours en ligne en français permettant de former des formateurs et permettant de donner accès aux élèves djiboutiens à des cours en ligne ou via la télévision ou la radio en français. Premier exemple ! Deuxièmement les cours à l’Institut français en français refusent du monde, il y a énormément de monde, Djiboutiens ou internationaux, qui veulent apprendre le français. C’est quelque chose d’extrêmement encourageant. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, on va créer une filière dans quelques mois en matière de formation numérique, elle sera en français. La francophonie pour moi, ce n’est pas un sujet, c’est un fil directeur, c’est-à-dire que tout projet de coopération doit comporter une dimension d’approfondissement de la maitrise de la langue française, qui est une demande des Djiboutiens et qui, pour eux-mêmes, constitue une extraordinaire richesse. Elle est un des éléments, il y en a d’autres, qui font que Djibouti est Djibouti aujourd’hui, dans un milieu complètement anglophone, ou dans un milieu arabophone, ou qui parle le somali ou l’afar. Et, c’est ce qui offre des possibilités d’emplois ou de coopération que l’on n’a pas avec d’autres voisins de la région. Moi je porte vraiment cette image d’une francophonie, langue de la jeunesse, langue de la culture, et l’on évoquait tout à l’heure l’Institut français ; il a rouvert après une fermeture de six mois, depuis la période du confinement, qui a été extrême pénible pour tout le monde, et dans le cadre d’un café littéraire avec notamment notre ami Chehem Watta, devant cent cinquante invités, Djiboutiens, Européens, étrangers, pour une table ronde en langue française. La présence en outre de beaucoup de jeunes est aussi un élément supplémentaire de satisfaction et un signe d’encouragement.
Vous auriez pu ajouter ce que vous annonciez dans votre déclaration du 14 juillet, l’ouverture prochaine d’un bureau régional de la francophonie à Djibouti ?
Oui tout à fait, mais je suis un peu en situation délicate, puisque c’est une question entre l’Organisation Internationale de la Francophonie, et la République de Djibouti. J’en profite pour saluer la nomination d’une Djiboutienne [1] comme représentante de la Francophonie auprès de l’Union africaine. C’est très positif, et je crois que c’est un signe d’un très grand engagement de Djibouti dans la famille francophone. La secrétaire générale de la Francophonie, Mme Louise Mushikiwabo, avait indiqué au président Guelleh dans le courrier qu’elle lui avait adressé qu’elle souhaitait effectivement ouvrir un bureau régional de la Francophonie, à Djibouti. Et bien la France, comme membre, j’allais dire influent de la Francophonie, appuie sans réserve l’ouverture de ce bureau à Djibouti. J’espère que cela deviendra rapidement une réalité concrète.
Il y a bien d’autres signes, comme par exemple l’Agence universitaire francophone que l’on est en train d’établir avec de nouveaux partenariats avec l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Vous voyez c’est vraiment une approche tangible, avec des vrais projets, et une approche globale que nous soutenons comme tout ce qui peut renforcer la francophonie à Djibouti.
Il semble que la coopération universitaire entre les deux pays reprenne des couleurs, que pourriez-vous nous dire à ce sujet ?
Cela tombe bien, car je sors d’une réunion avec le ministre de l’Enseignement supérieur, Dr Nabil pour lequel j’ai la plus grande estime, qui est un homme tout à fait remarquable.
Décoré de la légion d’honneur par votre prédécesseur.
Il le mérite cela va de soi !
On a effectivement plusieurs partenariats extrêmement importants avec l’enseignement supérieur. Il y en a qui datent et qui sont structurantes, comme avec les universités de Poitier, de Montpellier ou de Lyon. Avec l’envoie d’étudiants djiboutiens en France, de doctorants. Mais malgré cela, on me dit encore aujourd’hui que la France est moins bien présente… Il faut savoir que c’est pourtant en France qu’il y a le plus grand nombre d’étudiants djiboutiens. C’est très important de le rappeler, et une réalité à laquelle je suis très attaché. Il y a en gros, même après le Covid, un millier d’étudiants qui se forment en France, et c’est là, que l’on crée des liens et des passerelles pour l’avenir. Moi, ce que j’essaie de faire, notamment depuis la visite du président Macron, est de monter en gamme, et on essaie de le faire à travers plusieurs canaux. D’une part j’ai signé il y a quelques mois, c’était juste avant le 14 juillet, un gros projet de coopération entre l’Agence française de développement, l’Agence universitaire de la francophonie et le ministère de l’Enseignement supérieur, en matière de professionnalisation et en matière de numérisation, ce qui veut dire que l’on va aider à créer une chaire numérique en quelque sorte à l’Université. C’est un projet de 10 millions d’euros sous forme de don sur les quatre prochaines années. C’est un projet structurant, qui crée de la richesse, qui va créer des échanges entre les Français et les Djiboutiens, et c’est une très bonne chose. C’est un projet extrêmement prometteur.
Qu’est-ce que l’on fait d’autre ? En janvier dernier, j’ai inauguré, en compagnie des autorités djiboutiennes, un bureau Campus France à l’Institut français, qui accueille et accompagne tous les Djiboutiens qui souhaitent avoir une information sur comment étudier en France. On a des centaines et centaines de Djiboutiens qui souhaitent pouvoir poursuivre leurs études supérieures en France. On ne peut pas donner suite à tout le monde, il y a un volet sélection c’est tout à fait normal, mais l’affluence est très encourageante. Qu’est-ce que l’on a voulu aussi pendant le Covid pour l’enseignement supérieur qui est toujours un casse tête extrêmement compliqué ? C’est que la population étudiante reste prioritaire dans la délivrance de visa et la délivrance de laissez-passer. Et aujourd’hui, c’est vrai que l’espace Schengen reste fermé à des centaines de nationalités, dont les Djiboutiens. Je le déplore à titre personnel, mais il y a la possibilité, pour les étudiants qui veulent poursuivre leurs études en France d’obtenir un visa et d’être traité en priorité. Et c’est le cas. On est à près de 150 nouvelles inscriptions de Djiboutiens dans l’ensemble de la France. Ils sont en train d’arriver, et ça c’est très profitable. Cette coopération universitaire, j’y crois. D’ailleurs il y a plein de choses qui se passent, sans que cela se réalise à travers l’ambassade, ce n’est pas deus ex machina. Il y a des contacts qui datent depuis fort longtemps entre telle université et l’université de Djibouti. Il faut que cela se poursuive, que ça, se développe, se déploie encore davantage.
C’est le message que j’ai adressé lorsque je me suis rendu à l’Université de Djibouti, au mois de février dernier, où j’ai fait une intervention devant près de deux cents étudiants djiboutiens. Je leur ai donné un seul message : vous êtes les bienvenus en France pour les études. N’hésitez pas, n’ayez pas peur, le système est parfois un peu compliqué, j’en conviens. Mais en termes d’accompagnement pédagogique, en termes de bourse, en termes de délivrance de visa, on fait vraiment le maximum afin que votre séjour en France ait lieu et que surtout qu’il soit fructueux. Moi je suis toujours content lorsque je vois un étudiant qui vient me voir et me poser une question, quelque fois un peu me titiller, un peu me tester, notamment à propos de visa, et ça c’est normal. Je suis représentant d’un État, et j’accepte cette confrontation. Je considère qu’un échange avec un étudiant est toujours un moment d’oxygénation, intellectuelle et personnelle.
Comment expliquer que les Djiboutiens puissent avoir l’impression que la France a posé une sorte de plafond de verre dans la délivrance des visas aux Djiboutiens ? Les chiffres indiquent qu’en près de dix ans, le nombre de délivrances reste identique. Comment l’expliquez-vous ? Y a- t-il un système de quota qui ne dit pas son nom ? Vous semblez sceptique n’avons-nous pas les mêmes chiffres ?
Non, on n’a pas les mêmes chiffres, c’est dommage pour vous !
Alors, je n’ai pas les chiffres sur dix ans, mais je vais vous dire qu’il y a de plus en plus de visas. Je suis très heureux dans une interview de clarifier les choses, car il y a beaucoup de fantasmes sur le sujet. J’ai demandé les chiffres précis à mes services avant notre entretien, je connais les tendances mais pas les données exactement. En 2019 on a donné suite et délivré 78% de visa. C’est-à-dire que pour 100 demandes, 78 visas ont été accordés ; alors que l’année antérieure [2018], pour 100 demandes 72% seulement avaient été accordés. De 72 à 78% donc premièrement. Les types de visa changent. C’est-à-dire que nous délivrons de plus en plus de visas de circulation, qui sont des visas plus longs, plutôt que des visas courts séjours. Cela veut dire quoi ? Que lorsque vous êtes Djiboutien vous avez à venir moins souvent au consulat parce que le visa est plus long. Et donc très concrètement, en 2018 on a eu 3843 demandes, 2368 délivrés ; et 2019, il y a eu une centaine demandes de moins, et il y a deux cents visas en plus accordés. Donc voyez, l’image, la perception - mais cela veut peut-être aussi dire que l’on ne fait pas notre job de communication/d’information - que Schengen est fermée est une fausse perception, car on délivre pour toute l’Europe, et on est content d’avoir cette responsabilité. Et comme je le dis très souvent à mes amis djiboutiens, quelqu’un qui vient avec un dossier complet sera par définition le bienvenu. Il arrive que l’on attire mon attention sur telle ou telle demande, et je les regarde toujours avec le souci de la bienveillance et la promotion des intérêts entre la France et Djibouti. L’année 2020 sera un peu une année blanche si j’ose le dire, du fait notamment de la fermeture de Schengen.
Une commission sénatoriale l’an dernier estimait que la véritable raison de la hausse des frais universitaires pour les ressortissants non européens avait pour principal objectif de restreindre une importante voie d’accès légal à la France pour les étudiants étrangers, dont un certain nombre, pour des raisons diverses, souhaiteraient demeurer en France à la fin de leur études. Partagez-vous cette analyse ?
Je ne vais pas faire de commentaire sur ce point, je n’ai pas connaissance de ce rapport que vous évoquez. De ce que je sais, Emmanuel Macron a fait de l’accueil des étudiants étrangers une priorité. Il souhaite que l’attractivité de la France dans le monde, son ouverture, ses partenariats avec les pays francophones notamment, s’accélèrent. On a eu l’instruction – mais bon c’était dans le monde pré Covid – d’obtenir en cinq ans un doublement, je dis bien un doublement, du nombre d’élèves étrangers en France, premièrement. Deuxièmement le fait que ces étudiants restent en Europe pour leur travail, pardon, mais, ce n’est pas la France que cela est censé gêner mais les pays d’origines… Vous envoyez des étudiants se former à l’étranger, c’est pour qu’ils puissent revenir et créer chez vous de la richesse. C’est un problème j’allais dire bilatéral. Et c’est ça qu’il est important de souligner. Troisièmement, on mit en place des politiques de bourses extrêmement pro actifs. La France finance des dizaines et des dizaines d’étudiants, cela peut être à travers le logement, l’aide sociale, ou tout simplement la scolarité, justement pour faciliter cette venue des étudiants étrangers.
Ce qui est tout à fait vrai, c’est qu’il y a eu effectivement une hausse assez significative des frais d’inscription, mais ce que l’on oublie de dire, c’est que c’est un petit rattrapage par rapport à la situation antérieure. C’est-à-dire que par rapport aux autres offres d’enseignement supérieur d’autres pays — il ne s’agit pas de comparer forcement avec des systèmes anglo-saxon — mais en gros le prix qui était demandé aux étudiants étrangers était deux ou trois fois moins cher que ce qu’ils pouvaient trouver ailleurs, à offre éducative comparable. Il y a eu il y a quelques années un petit effet rattrapage tout simplement. Je ne dis pas qu’elle était gratuite pour les étrangers mais du moins extrêmement favorable.
Pourquoi la France est-elle absente du monde des affaires à Djibouti. La visite du président Macron n’a pas inversé la tendance. Les premiers pas du GAFD sont timides : comment expliquer une-t-elle discrétion ? Quelles sont les contraintes pour créer un engouement et un effet d’entrainement ?
Le GAFD, c’est un groupe d’affaires, c’est un lieu de rassemblement, ce n’est pas le ministère des Finances ou la Chambre de commerce. C’est un groupe d’affaires qui se réunit, et qui suscite l’intérêt puisque de nombreuses personnes veulent en faire partie. C’est un signe plutôt d’attractivité, je trouve. Ce GAFD est encore très jeune, il a tout juste trois ans. Il réunit une trentaine d’entrepreneurs français et djiboutiens, qui sont des acteurs majeurs de la place de Djibouti, qui représentent plusieurs milliers d’emplois et un chiffre d’affaires de près d’un demi-milliard d’euro. C’est donc vraiment colossal !
Ce groupe n’a évidemment pas pu se réunir par la force des choses durant la période de confinement. Il est très respectueux des instructions des autorités sanitaires. Mais ce GAFD, c’est avant tout un lieu d’échange. Il accueille très régulièrement des décideurs djiboutiens ou des visiteurs français ou djiboutiens pour échanger sur la situation économique, la situation sociale, les opportunités d’investissements. On a eu des échanges très fructueux avec les ministères des Finances et de l’Emploi, avec la mise en place du chômage partiel notamment pour répondre à la crise du Covid. Ces choses ne sont pas de nature publiques, parce que cela n’a pas à paraître, mais il y a eu de nombreux échanges, et je peux d’autant plus en parler que je suis président d’honneur du GAFD.
Vous me parliez d’éléments concrets, j’en ai plusieurs à l’esprit, et je suis heureux de les partager avec Human Village. Le GAFD a vu sa présence physique au sein de l’Institut français de Djibouti pérennisé. C’est-à-dire que le GAFD y sera présent pour les trois prochaines années, et j’espère plus naturellement. Il s’est doté d’un agent permanent, une dame très précisément, qui va pouvoir assurer son secrétariat et l’interaction entre les entrepreneurs, le monde du business djiboutien et les acteurs économiques ainsi qu’institutionnels, tels que l’ambassade. Autre élément concret, des entreprises membres du GAFD — qui en ont fait peut-être moins la promotion que d’autres — ont contribué à l’effort de guerre contre le Covid-19 — passez-moi l’expression — en faisant des dons, des actes de solidarité à l’égard des Djiboutiens. Je trouve que c’est très bien ainsi. Cette sorte d’action de solidarité n’a pas nécessairement besoin de promotion excessive. Ces entreprises l’ont fait et ont été auprès des Djiboutiens. Les Djiboutiens le savent. Un autre point que je voulais rappeler : il y a quelques mois, presque un an maintenant, le GAFD a parrainé et financé une jeune étudiante djiboutienne dénommée Samirah qui poursuit ses études à l’heure actuelle en France.
Vous voulez un autre exemple ? Je vais vous en donner. Dans le cadre du sommet Afrique–France qui aurait dû avoir lieu en juin à Bordeaux, j’ai souhaité qu’un certain nombre d’entrepreneurs djiboutiens puissent être parrainés, appuyés, accompagnés dans leur volonté de créer de la richesse à Djibouti. Il y a un écosystème djiboutien d’entreprenariat que nous jugeons extrêmement favorablement, avec des jeunes qui ont des idées, qui ont de l’enthousiasme, et qui ne savent pas trop comment faire fructifier tout cela. Ils sont été identifiés par l’ambassade de France avec l’Agence française de développement, et le GAFD va les appuyer très concrètement. On les a réunis au mois de juillet, occasion pour laquelle nous avions fait une petite publication sur les réseaux sociaux. Une dizaine de jeunes entrepreneurs, avec les membres du GAFD, se retrouvaient ensemble autour d’une table. Pourquoi ? Pour se faire connaitre. Pour les appuyer dans leur formation. Pour leur apprendre à pitcher, capter l’attention d’un banquier pour lui demander un financement. Comment convaincre une entreprise de s’associer à une idée, un projet que l’on veut développer ? Le GAFD veut les accompagner, veut partager son expérience pour former la future élite entrepreneuriale du pays. Le GAFD est, comme vous le voyez, un acteur institutionnel de premier ordre et qui va reprendre ses activités à la rentrée. On fera d’ailleurs un évènement à l’Institut français. A titre personnel, c’est l’institution sur laquelle je m’appuie le plus à Djibouti car j’y crois beaucoup et, encore une fois, lorsque je vois qu’il y a beaucoup de Djiboutiens et de Français qui veulent en faire partie, je me dis que c’est un lieu où il faut être.
Les FFDJ avaient l’habitude d’effectuer des activités civilo-militaires en faveur des populations de l’intérieur, ces dernières années ce type de coopération a disparu. Comment expliquez-vous ce repli du contingent français dans ses murs et ses propres préoccupations ?
Là aussi, il faut s’interroger sur notre communication. Les Français sont toujours soucieux de faire preuve de modestie. Nous ne sommes pas en permanence dans l’emphase, contrairement à d’autres peut être, je ne sais pas. Moi en tant qu’ambassadeur, j’estime que le savoir-faire et le faire savoir vont de pair. Vous pouvez faire des choses formidables mais si personne ne le sait, c’est un petit peu regrettable. S’agissant des actions des FFDJ, il faut savoir aussi que ces actions ont lieu à la demande et en lien avec les autorités djiboutiennes. Ce n’est pas les FFDJ qui, du jour au lendemain, se disent : « tient en va construire quelque chose là ». Non ! Il faut que cela soit en accord et à la demande des autorités djiboutiennes. Mais il y a un certain nombre de choses qui sont faites. Un exemple qui me vient à l’esprit : dans le village de Dougoum, au nord de Tadjourah, pas plus tard qu’en janvier, avec le COMFOR de l’époque, la ministre de la Femme et des députés du crus, nous avons inauguré un puits construit par l’armée française. Dans la région d’Arta, les FFDJ sont en train de réhabiliter la bibliothèque du collège Omar Jagaa. Quand je me suis rendu à l’Union nationale des femmes djiboutiennes au mois d’avril dernier pour procéder à un don alimentaire de 10 tonnes au début de la crise Covid, une partie du site de l’orphelinat avait été construite et réhabilité grâce au 5e régiment d’infanterie de marine. Ce n’est pas quelque chose pour lequel nous faisons un communiqué de presse, mais ce sont des actions qui ont beaucoup d’importance et sur lesquelles, je suis d’accord avec vous, on devrait communiquer un peu plus. Elles se font toujours à la demande des autorités djiboutiennes, et surtout changent la vie des Djiboutiens.
Très franchement je pourrais continuer encore un certain temps à vous énumérer ces actions. J’y accorde beaucoup d’attention et d’importance. Ce sont des témoignages de l’interaction entre les FFDJ et le tissu économique, social et humain djiboutien. Et les Djiboutiens savent bien que lorsque les conditions l’exigent, les FFDJ répondent présents. On le voit avec les pompiers, qui viennent aider leurs partenaires djiboutiens. Quelques semaines après le début de la pandémie, on a pu faire bénéficier le ministère de la Santé et les forces armées djiboutiennes de l’expérience d’une équipe de décontamination, venue de France partager un savoir, pas du tout un modèle plaqué, pour coopérer avec les partenaires djiboutiens, pour montrer comment on faisait pour décontaminer un lieu où quelqu’un a eu le Covid. C’est essentiel pour la reprise d’une activité, que cela soit d’un régiment, ou d’une entreprise, d’une école, etc. Voilà, vous avez eu à Djibouti pendant plusieurs semaines une équipe de décontamineurs français d’une demi-dizaine de personnes qui sont venus faire le job. Je crois que c’est un geste d’appui qui sort de la relation de défense stricto sensu.
Dans votre allocution du 14 juillet dernier, vous appeliez à regarder vers l’avenir pour consolider les relations stratégiques entre Paris et Djibouti. N’est-il pas regrettable que ces relations stratégiques dont vous faites l’éloge soient cantonnées aux aspects militaires ? Cette approche « bac à sable » n’a pas évolué, on a plutôt l’impression que la visite de Macron à Djibouti n’a fait que l’accentuer avec les espoirs de l’industrie militaro-hexagonales de faire de la position des FFDJ une plateforme et un effet levier pour vendre aux pays de la région armes, navires de guerre, et formations militaires.
De quoi parle-t-on depuis une demi-heure… De tout sauf de relation défense ! C’est bien la preuve que la relation est multidimensionnelle. Depuis une demi-heure on parle de l’enseignement supérieur, du business, de la francophonie, des visas, à aucun moment on n’a parlé de militaire. Bien sûr, que l’on comprenne bien, la relation de défense est l’épine dorsale, vraiment : humainement, politiquement, militairement. C’est l’épine dorsale parce que, encore, aujourd’hui, les FFDJ représentent la plus importante base militaire française permanente à l’étranger. Et encore aujourd’hui, nous avons au regard de la sécurité et de l’indépendance de la souveraineté de Djibouti des responsabilités particulières au titre du traité de coopération en matière de défense auquel nous sommes beaucoup attachés dans toutes ces composantes.
De ce que je sais les Djiboutiens aussi.
Je m’en réjouis, c’est ce qu’ils me disent et je n’ai aucune raison d’en douter. Et cette relation là, elle est une donnée, elle est un fait, elle est essentielle. Et encore aujourd’hui, à peu près la moitié de la communauté française de Djibouti appartient à la communauté militaire. Mais c’est un élément. C’est sans doute le primus inter pares, mais un élément d’une relation qui est tous azimuts. Depuis une demi-heure que nous sommes ensemble on a parlé de nombreux sujets, mais il y en a plusieurs que l’on a pas évoqué. Nos lycées, agence pour l’enseignement du français à l’étranger. Entre l’école de la Nativité et le lycée français de Djibouti, vous avez tous les jours près de 2500 petits Djiboutiens et petits Français qui sont sur le banc de l’école, qui apprennent à se connaitre, qui parlent la même langue, qui apprennent le même programme, qui demain je l’espère seront des petits ambassadeurs de la relation entre la France et Djibouti.
Moi je souhaite que l’on élargisse le champ des coopérations entre la France et Djibouti. Ma feuille de route, et la feuille de route que j’ai donnée à toutes mes équipes, est coopération tous azimuts. Depuis plusieurs mois, c’est que l’on fait sur le terrain, on ouvre des champs de coopérations que l’on n’avait pas par le passé. Je pourrais vous parler de la CNSS, de la Cour des comptes, de nouvelles structures avec lesquelles on essaye de créer une synergie. Parfois cela marche bien, d’autres fois on ne parvient à nouer un lien, on échoue, mais, c’est pas grave, l’important c’est d’être pro actif et d’essayer des formes de coopérations. Vous voulez un autre exemple ? La coopération décentralisée. C’est une priorité de la République de Djibouti, c’est une priorité du président Guelleh. Je crois beaucoup à cette politique de décentralisation, tout d’abord parce que c’est sain, mais aussi, parce les décisions prises au plus près de l’individu ont plus de chance de l’être en fonction de ses souhaits. On disait il y a quarante ans, « Paris et le désert français ». Les processus de décentralisation qu’a menée la France depuis trente ans ont permis de faire en sorte que les décisions soient prises au plus proche du citoyen. C’est ce que veut faire Djibouti, et c’est que l’on appuie. Regardez sur la décentralisation, qu’est-ce que l’on a ? Le programme d’appui à la décentralisation de l’Union européenne, avec des programmes à Arta, Ali Sabieh, Dikhil, Tadjourah, Obock. C’est Expertise France, un acteur français, qui a été désigné pour le conduire. Un projet de 12 millions d’euros. Deuxièmement, avec un appui de l’Agence française de développement à la mairie de Djibouti, un programme de 8 millions d’euros sur quatre ans. C’est un nouveau programme qui a été validé il y a quelques mois. Troisièmement, je m’attache à me déplacer dans le pays, car un ambassadeur dans son bureau, c’est pour donner des interviews à la presse… Un ambassadeur dans son bureau ne fait pas son job. Son rôle c’est d’aller voir les gens, s’enquérir de la situation, et je me suis déplacé durant les six mois utiles que j’ai eu (en gros, je suis arrivé en septembre l’année dernière et on a eu le Covid au mois de mars). Dans ces six mois je me suis rendu partout : je suis allé à Arta, Tadjourah, Ali Sabieh, Dikhil, localité où je retourne d’ailleurs très bientôt. Il y a une région que je n’ai malheureusement pas vue, je devais y aller fin mars et évidemment c’était le Covid, c’est à Obock. Et ça, je vous l’annonce, mon prochain déplacement en province, c’est Obock. Mais qu’est-ce que je vais faire moi, dans ces régions ? Pas simplement serrer les mains et dire bonjour. Je vais rencontrer du monde, je vais voir ce qui attendu de la France.
Ayez conscience que nous sommes en train de lancer des partenariats avec des collectivités françaises. J’ai été très surpris lorsque je suis arrivé qu’il n’y ait pas de jumelage entre les collectivités locales et des collectivités françaises. Et bien il y a un projet de jumelage qui est en train de devenir réalité, avec la région Sud, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), qui va élaborer un projet de partenariat avec la République de Djibouti pour coopérer dans des domaines qui sont en cours de discussion. Il y a déjà eu plusieurs vidéo-conférences. C’est en train de prendre de la consistance et j’espère que l’on pourra annoncer des choses dans les prochaines semaines. D’ors et déjà je veux signaler la venue prochaine d’une mission technique de la région Paca à Djibouti, pour écouter le partenaire djiboutien, parce que l’on n’est pas là pour plaquer ou imposer des modèles faits ailleurs. On est là, pour coopérer, partager nos expériences par exemple dans le domaine de l’eau, dans le domaine portuaire, du business, et que sais-je encore.
Tout ça, ce sont des formes de coopération qui n’existaient pas il y a encore un an. Et sous l’impulsion que nous ont donnée le président Macron et le président Guelleh, et un petit peu sous la mienne en fonction de la feuille de route établit par les autorités françaises, et la volonté djiboutienne de faire plus avec la France, je crois vraiment que l’on est dans une phase de redécouverte mutuelle. J’ai l’impression que, lorsque l’on me dit la France et Djibouti, c’est un peu passé : c’était peut être le cas il y a quelques années, parce que Djibouti s’est ouvert à d’autres partenaires, et qui peut lui en vouloir ? - Je suis là pour que les relations franco–djiboutienne passent un cap. Quand le président Macron parle de relation partenariale stratégique, je ne veux pas être politiquement incorrect, mais ce n’est pas un terme qu’il utilise avec tous les pays. Partenaire stratégique de la France, il n’y en a que quelques-uns dans le monde. Je crois que cela dit beaucoup de la place qu’a pris pour lui Djibouti, depuis sa prise de fonction, et sa visite ici évidemment en mars 2019. Il en garde un souvenir très fort en dépit de sa brièveté.
La France ambitionne-t-elle de transformer la base du Héron en une infrastructure navale indépendante sous pavillon européen comme notre rédaction l’a affirmé dans une de ses publications de mai 2019 ?
Je ne ferai pas de commentaire sur un sujet qui est relatif directement aux relations de défense entre la France et Djibouti.
Propos recueillis par Mahdi A., photos Hani Kihiary
[1] Zahra Kamil Ali nommée représentante de l’OIF auprès de l’Union africaine