Demain, dimanche 14 juin, s’ouvre à Djibouti une importante rencontre pour la paix dans la Corne. L’hôte de l’évènement, Ismail Omar Guelleh, réunira sur le sol djiboutien le président de la République fédérale de Somalie, Mohamed Abdullahi Farmajo, le président autoproclamé du Somaliland, Muse Bihi Abdi et le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed.
L’objectif inavoué de la tenue de ce sommet est de négocier les compensations susceptibles de faire accepter la réintégration de la région renégate dans le giron de la Somalie. Les concessions arrachées à Farmajo doivent être spectaculaires pour permettre un changement de position au Somaliland, et à Muse Bihi Abdi de peser auprès des siens. Il s’agit de reprendre les négociations là où elles sont restées après la réunion d’Addis Abeba en février dernier, qui avait réuni pour la première fois, en tête à tête, Mohamed Abdullahi Farmajo et Muse Bihi Abdi. Les deux parties semblent prêtes à démarrer une nouvelle page et oublier les tensions nées du projet de visite du président Mohamed Abdullahi Farmajo à Hargueisa, annulée aussitôt qu’annoncée sous la pression de la population somalilandaise.
Les excuses solennelles formulée par le président Farmajo, le 15 février - à quelques jours de sa visite finalement annulée – visaient non seulement à panser les plaies, mais surtout à reconnaitre officiellement les torts de l’État fédéral somalien sous le mandat du président Zyad Barreh à l’endroit des habitants du Somaliland. Notamment les atrocités survenues lors de la guerre civile et les bombardements aériens de 1988. Malheureusement, malgré la force des mots prononcés à cette occasion, l’effet cicatrisant n’a pas opéré. Mohamed Abdullahi Farmajo a été déclaré persona no grata au Somaliland par la population, qui avait manifesté indiquer son refus d’accueillir le représentant officiel de l’État somalien honni. Mogadiscio étant par ailleurs considérée comme l’entrave principale à l’émancipation et la reconnaissance internationale de cette région frondeuse.
La visite avortée de Mohamed Abdullahi Farmajo, accompagné d’Abiy Ahmed, avait été à l’origine d’une grave crise politique à Hargueisa, obligeant le président Muse Bihi Abdi à s’expliquer devant la représentation nationale. Il avait adopté une posture défensive, niant avoir orchestré une rencontre officielle, la présentant plutôt comme impromptue, sous les auspices du Premier ministre éthiopien. Il revendiquait de n’avoir rien cédé sur les ambitions indépendantistes du Somaliland.
Dans ce contexte quel est le sens de la venue de Muse Bihi Abdi ? Cette deuxième rencontre est-elle le préalable au démarrage d’un processus de réintégration de la région frondeuse ? Déjà, on peut se féliciter de la reprise du dialogue, c’est un succès diplomatique pour Djibouti.
La pression ne fait que croitre sur les épaules de Muse Bihi. La résolution du 29 mai du conseil de sécurité, sur la Somalie, rappelle son attachement à l’unité de la Somalie et laisse peu d’espoir d’une reconnaissance internationale au Somaliland. La fenêtre de négociation à l’amiable se rétrécie, puisqu’elle prend fin en septembre, avec l’accélération du déroulement du plan de transition et l’objectif d’organiser des élections générales sur l’ensemble du territoire – Somaliland compris - avec le principe « un homme, une voix », d’ici la fin 2020, ou au plus tard début de 2021.
« Engage le Gouvernement fédéral somalien et les États membres de la fédération à progresser davantage et de façon urgente sur la transition et se félicite de l’engagement du Gouvernement fédéral somalien à réviser le Plan de transition dirigé par les Somaliens d’ici à la fin du mois de septembre 2020, de façon à réajuster les tâches avec les partenaires et à convenir de rôles clairement définis pour les principales parties prenantes concernées ; […] Accélérer les activités de préparation technique et de sécurité des élections en coordination avec l’AMISOM, le BANUS et la MANUSOM afin de permettre la tenue d’élections suivant le principe « une personne, une voix » qui soient libres, régulières, pacifiques, transparentes, crédibles et inclusives et se tiennent dans les délais prévus, en permettant au plus grand nombre possible de citoyens de voter à la fin de 2020 ou au début de 2021 ; »
Mohamed Abdullahi Farmajo ne vient pas les mains vides. Il mettrait sur la table une offre que les Somalilandais pourraient difficilement refuser : faire d’un territoire à définir au Somaliland la future capitale fédérale et diplomatique de l’union. Elle accueillerait toutes les institutions fédérales, les représentations, les chancelleries des pays alliés, et ferait de cette contrée la vitrine de la nouvelle Somalie. Comme symbole de réconciliation, Farmajo ne pouvait pas être mieux inspiré. Concrètement, Mogadiscio serait sacrifiée sur l’autel de la réconciliation, en déplaçant le centre névralgique de la Somalie de 848 kilomètres à vol d’oiseau. Cette métamorphose nécessitera des dizaines de milliards de dollars d’investissements pour créer un nouveau pôle politique, économique, et administratif. Il s’agit de rééquilibrer le développement, mais aussi et surtout de donner des gages aux Somalilandais. Les infrastructures régionales et internationales projetées devraient sortir de son sommeil cette province oubliée du reste du monde. Cette proposition de transfert peut être actée rapidement par une loi votée par le Parlement, dans laquelle le calendrier des travaux et les modalités pourraient être précisément fixés. L’autre option en cas de refus est moins réjouissante. Ce seraient des mesures restrictives qui pourraient rendre le quotidien de la population extrêmement pénible et entraverait sérieusement tout développement économique. Pis, un refus catégorique conduirait la Somalie à l’escalade.
Le président Muse Bihi en venant à Djibouti accepte - sous pression maximale américaine - l’ouverture d’un dialogue sur les conditions d’un maintien du Somaliland dans l’État fédéral de Somalie. Faire de Hargueisa la capitale fédérale revient à planifier une reconfiguration régionale inattendue… Le jeu en vaut la chandelle pour le Somaliland. L’honneur serait sauf, transformant l’ex-région rebelle en cœur de la Somalie, tout en donnant un coup de fouet à son décollage économique. Il ne reste qu’une incertitude : Muse Bihi, a-t-il les épaules suffisamment large pour vendre l’idée aux siens ? Il joue dans cette opération son va-tout. A peine annoncée, les acteurs politiques de premiers plans somalilandais veulent croire à une avancée sur le dossier de l’autodétermination, tout en redoutant une supercherie. C’est la raison pour laquelle cette rencontre suscite une grande méfiance dans les rangs de l’opposition, et ces derniers n’hésitent pas à fixer des lignes rouges pour Muse Bihi. Djibouti de son côté compte profiter des retombées de cette réconciliation pour démontrer la légitimité de sa candidature au Conseil de sécurité des Nations-Unies, dont l’élection est attendue le 17 juin !
Mahdi A.