La parole citoyenne se libère et a trouvé dans les réseaux des nouveaux canaux pour faire entendre ses difficultés. Bien loins des clivages politiques, ces individus mobilisés, issus de tous les horizons, ont pour dénominateur commun la volonté d’agir collectivement pour se donner les moyens de peser et obtenir du gouvernement une réduction drastique des tarifs de l’électricité qu’ils estiment insupportables, indécents. Ce sentiment est sans doute le plus partagé par la population djiboutienne.
C’est ainsi qu’un collectif d’une vingtaine de personnes s’est constitué sous le hashtag #OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère. L’idée a fait mouche, la page Facebook créée durant le confinement - le 15 mai - affiche 17 865 membres au moment où nous publions ces quelques lignes, jeudi 28 mai. Cette affluence record témoigne du soutien populaire à ce mouvement composé de citoyens qui en ont assez des fins de mois indignes. Accablés par la cherté de la vie en générale, ils se disent décidés à ne plus supporter en silence une situation qui les contraints tous les mois à devoir arbitrer entre les besoins alimentaires de première nécessité, les frais de scolarité, auxquels s’ajoutent dorénavant les tenues scolaires obligatoires, les soins médicaux, les factures d’énergies, d’eau, de combustible de cuisine, tous également exorbitants… Le plus souvent, comme il faut faire des choix, la santé est souvent la première à en pâtir, avec le report de la visite nécessaire chez le médecin… La vie est très chère à Djibouti, cependant il faut convenir que le pompon revient sans conteste au coût du kilowatt facturé par l’Électricité de Djibouti (EDD). C’est sur ce point que le collectif #OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère veut mobiliser. Qui pourrait leur en vouloir, le tarif pratiqué étant l’un des plus chers au monde ?
Depuis cette étincelle, les réseaux sociaux bruissent sur le même sujet de mécontentement : la tarification d’EDD. Dans tous les messages des internautes sur les réseaux sociaux, on peut voir le ras-le-bol de la vie chère. La montée en puissance du mouvement se manifeste aussi par l’apparition de vidéos qui interpellent directement les autorités pour qu’elles fasse un geste afin d’alléger les difficultés de la population. Ces internautes disent ne plus en pouvoir de cette vie, ou la facture énergétique « capture » l’essentiel de leurs maigres ressources.
Florilèges de messages sur la page Facebook #OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère
Sabrina Mahe : « Tout ce que notre pays et nos dirigeants reconnaissent sont les actions !
Les Djiboutiens si vous êtes réellement déterminés à aller jusqu’au bout de cette histoire, vous devez être prêt à mettre de côté votre petit confort ! Résilions tous nos contrat EDD, montrons leur que nous pouvons supporter la chaleur ! De toute façon c’est un calvaire, waa duulinimo d’être ainsi dépravé !
Les prix sont exorbitants mais malgré tout nous avons accepté !
Nous avons continué parce que nous aimons la paix, nous évitons les problèmes et disant alhamdoulilah !
Mais jusqu’à quand ? 45 années de querelles ne leur suffisent pas, il est temps de réagir concrètement !
Nous ne voulons plus contribuer à payer leurs V8 et leurs villas, encore moins leurs voyages à l’étranger ! Nous voulons une électricité abordable ! Gratuite pour les plus démunis !
De L’ÉQUITÉ mes chers concitoyens, c’est ce qu’il nous faut ! »
Abousalman Ben Mohamed : « Quand tu veux réussir dans la vie, il existe des contraintes qui te freinent à réaliser tes rêves, comme des problèmes financiers,...
En Europe, parmi elles, la “peur d’échouer” ton projet prend une large place, ça peut même t’empêcher à atteindre ton but.
Tandis qu’à Djibouti, tu dois d’abord réfléchir pour l’EDD, tu dois choisir entre voler et payer une simple facture (d’ailleurs c’est ce que font de nombreux entrepreneurs qui n’ont pas eu le choix) ou arrêter de rêver, celle-ci est devenue l’un des 1ers facteurs qui a augmenté le chômage dans notre pays.
Combien ont voulu s’enrichir dans notre pays et ont été freiné par les sales factures de l’EDD ? Combien seront-ils ceux qui vont commencer à investir dans notre pays quand le prix du KWH va baisser grâce à ce mouvement ?
#OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère »
Roumayssa Ahmed : « Salam à tous ! J’aimerai vous faire part d’une histoire qui m’a beaucoup touché également due à la cherté de l’Edd. C’est une histoire d’un élève non voyant que je suis depuis deux ans, il est issu d’une famille très démunie. Malgré sa détermination, son assiduité et sa bonne volonté à suivre ses études, il souffre d’une pathologie cardiovasculaire et doit subir une opération à l’étranger. Il assistait au cours malgré sa souffrance, il était motivé et gardait la foi. Depuis quelques temps il ne pouvait plus suivre ses cours et s’absentait régulièrement. J’ai demandé de ses nouvelles auprès de ses camarades et c’est là que j’ai appris qu’il vivait une situation très difficile, ils n’avaient pas d’électricité chez eux . Vous ne pouvez pas imaginer ce que ce petit endure à cet instant encore, il souffre d’une maladie cardiaque et pire dans cette chaleur ??? Entre collègues on avait pensé à payer le branchement, mais vu la situation de la famille, on ne pouvait pas donner un grand espoir : qui prendra la charge de payer les factures mensuelles ? Personne ne peut aider lorsqu’il s’agit de la facture d’EDD, une triste réalité. Je souhaite encore prompt rétablissement à ce jeune garçon, que Dieu lui facilite cette épreuve difficile.
Aîd Moubarak à vous et espérant que nos vœux soient exaucés. »
Choukri Osman : « Mise au point. Chers militants de la cause “Pour une électricité moins chère à Djibouti” je vous salame.
Depuis une semaine que nous sommes ici ensemble pour discuter de nos douloureux rapports avec cette électricité trop chère, nous avons réalisé la première phase de l’opération qui est : la mobilisation sur le net.
Une personne a pris l’initiative d’écrire une lettre au président de la République. Cela n’engage que son nom personnel.
Le collectif de la cause “Pour une électricité moins chère à Djibouti” ne peut pas se permettre de précipiter les choses. ni mettre la charrue devant les bœufs. Nous travaillerons étape par étape. Et surtout main dans la main. Débattre, discuter, et décider ensemble est notre devise.
La mobilisation sur les réseaux sociaux est chose faite maintenant. La deuxième étape consiste à sensibiliser les gens sur le terrain.
Chers militants, tous les abonnés de l’EDD ne sont pas connectés. C’est à nous d’agir auprès de nos frères et sœurs, de nos parents, de nos compatriotes qui ne suivent pas les réseaux sociaux.
Dès maintenant, mettons nous au travail pour la sensibilisation sur le terrain.
Nous devons préparer les pères et mères de famille, abonnés à EDD à la revendication de notre droit à une électricité moins chère.
D’autres part, à partir de vos publications et de vos commentaires, nous avons fait le tri des doléances. Voilà les principales revendications :
1) Le tarif unique de 10 FD le kilowattheure pour tous les foyers et les commerces de proximité sans les différents paliers en vigueur actuellement.
Tous les abonnés djiboutiens doivent payer le même prix de 10 FD le kilowattheure peu importe leur lieu de résidence ou la quantité de leur consommation énergétique.
2) Abolition du coût de la pénalité en cas de coupure. Le peuple de la République de Djibouti trouve cette pénalité évolutive de 7000 FD non avenue. Couper l’électricité est déjà une pénalité dans un pays aussi chaud que le nôtre.
3) Abolition des frais de déplacement du compteur dans la même maison.
4) Un meilleur service : les délestage et les queues à faire pour payer sa facture endommagent la qualité du service rendu et la dignité du client.
Si d’autres revendications qui ne figurent pas ici vous paraissent primordiales, c’est le moment d’en discuter.
Chacun de nous doit apporter sa pierre à l’édifice. Jusqu’à la fin du week-end, chacun dans sa famille, dans son quartier, dans sa ville, dans sa région, nous devons préparer les gens.
Ensemble nous porterons cette cause jusqu’au bout. Bi idni Allah, nous obtiendrons gain de cause. »
En consultant les nombreux messages postés, on constate que les initiateurs de cet appel à la mobilisation au sein de la plateforme de revendication #OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère ne se réclament d’aucune mouvance politique. Il ne s’agit pas d’attaquer le gouvernement pour le renverser lors de la présidentielle d’avril 2021. Non ! Pour l’heure, ils n’ont qu’un seul objectif : alerter les pouvoirs publics sur leurs difficultés. Cela se résume à cette question. Il ne sert à rien de chercher si ces derniers sont manipulés par l’opposition, voire des intérêts étrangers. Ils se sont réunis pour mener un combat commun pour imposer une décision légitime au gouvernement : la réduction du kilowatt.
Peu habitué à ce type de mobilisation, le gouvernement sait qu’il devra faire des concessions rapidement pour éteindre ce mouvement, afin qu’il ne se développe pas et risque d’agrèger d’autres colères. Jusqu’à présent, pour justifier cette tarification hallucinante, le gouvernement a évoqué la nécessité de rembourser les prêts réalisés, tout en promettant, pour la Saint Glinglin, un prix abordable et accessible au plus grand nombre… Sauf que la population ne veut plus attendre ni payer pour ce qu’elle considère imputable à une mal gouvernance. On en arrive même à justifier les raccordements électriques illégaux réalisés par des consommateurs indélicats. Ces derniers seraient contraints d’agir ainsi, prenant le risque de potentiels incendies, étant dans l’incapacité de s’acquitter des tarifs prohibitifs de l’énergie. Cette fraude serait alors légitime, puisque l’accès de tous à l’énergie est un droit.
Les partis politiques de l’opposition ne sont pas à l’initiative de ce mouvement, cela traduit une perte de leur influence, et révèle leur difficulté à surfer sur la vague des mécontents en fédérant autour d’un contre-projet crédible et à même de répondre aux attentes de la population. C’est d’autant plus regrettable pour eux que le terreau a rarement été aussi fertile pour la contestation. Les motifs de récriminations ne manquent pas. Les élus nationaux sont dénoncés également par les internautes, car ils bénéficient d’une confortable indemnité énergétique annuelle de 600 000 FDJ. Ils sont accusés d’avoir vendu leur âme, d’avoir abandonné la cause du peuple et de ne pas relayer leur souffrance au sein de l’hémicycle.
Une autre question-clé qui mobilise les internautes qui se retrouvent autour du hashtag, #OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère, est l’installation en cours par EDD d’immenses tentes climatisées sur l’esplanade du Palais du peuple. Elles doivent servir de guichets, en respectant la distanciation physique, afin que les abonnés, qui n’ont pas pu régler leurs factures pour cause de confinement depuis la mi-mars, viennent s’en acquitter à compter du 1er juin pour ne pas subir de coupures pour impayées. Les consommateurs confinés à leur domicile sous la fournaise ambiante ont forcément fait un usage plus important de la climatisation, et donc d’électricité. C’est la cause principale d’une colère qui commence à poindre, contre les exigences d’EDD. Elles sont d’autant plus décriées, qu’elles vont à l’encontre des mesures édictées par le gouvernement pour panser les plaies économiques du confinement. C’est ainsi que dans le cadre du pacte national solidaire, il est annoncé 3,2 milliards d’effacement de factures EDD et ONEAD pour les deux mois de confinement : 1,2 milliard pour les particuliers et 2 milliards pour les entreprises. N’y a-t-il pas là une dichotomie entre les décisions gouvernementales et celles de la direction d’EDD ? Djama Ali Guelleh, directeur d’EDD, invité de l’émission Hanaqaadka horumarka sur la RTD le 29 mai à 17h30, aura tout le loisir de répondre à ces nombreux questionnements tout en tentant de faire remonter sa côte de popularité... Pour l’heure il caracole dans le peloton de-tête des personnalités les plus impopulaires de la République de Djibouti. Il n’est pas sûr que cette situation le tracasse le moins du monde !
Le gouvernement peut difficilement nier cette cherté de vie. L’enjeu pour lui est que cette contestation ne prenne pas une autre tournure. Il lui faudra circonscrire l’incendie rapidement, pour ne pas voir la défiance s’élargir à d’autres sujets… De nombreux posts circulent déjà, relayant des informations fausses ou tronquées afin de dépeindre une autre réalité et de fragiliser le gouvernement en incitant la population à la fronde.
Le phénomène contestataire inédit, #OuiPourUneÉlectricitéMoinsChère, devrait être considéré comme une aubaine par les autorités politiques. Ces causeries débridées et sans filtre qui animent le live sont de bons indicateurs du climat social. Il est en ébullition. Le gouvernement doit composer et s’adapter, être plus à l’écoute des doléances de ses administrés… Il a tout à gagner en épousant les demandes des siens à bout de souffle. Ce sont des revendications similaires, de nature sociale, qui ont conduit au printemps arabe ou, plus près de nous, à la chute de Omar Hassan El-Bachir !
Mahdi A.
Bonjour
Juste pour rajouter le tarif de 2FDJ pour les industriels. Croyez moi beaucoup d’entrepreneurs issus de la diaspora ou d’origine étrangère viendraient avec des projets industriels novateurs qui pourraient grandement développer notre pays et participer à son essor économique.
Je vous remercie pour votre contribution.
Wa bilahi tawfiq.
J’ai vous félicite pour votre courage et initiative, il est temps que cette injustice soit combattu parmis tant d’autres, que toutes les Djiboutiens,djiboutiennes, jeunes,vieilles ses mobilisent, par une manifestation pacifique dans chaque quartier ,commune, arrondissement, sortire et s’assoir pacifiquement par terre . Veuillez faire passé les messages. Merci