Au terme de sa mission de trois années et demi passées à intensifier la relation entre la France et Djibouti, Christophe Guilhou nous a livré ses souvenirs. L’ambassadeur s’est délesté des codes diplomatiques et des réserves d’usage pour nous parler à cœur ouvert de son expérience de diplomate mais aussi et surtout d’homme à Djibouti. Temps forts…
Durant les trois années et demi qu’a duré ma mission, j’ai œuvré tant bien que mal à raviver une relation un peu fatiguée entre la France et Djibouti. Et aujourd’hui, en jetant un regard rétrospectif, je peux affirmer que je suis arrivé au bon endroit et au bon moment. J’ai d’abord été marqué par ce pays unique où la tolérance et la cohésion entre les communautés, les confessions et les sensibilités humaines dans toutes leurs déclinaisons permettent à une cathédrale catholique et à une église orthodoxe de côtoyer une grande et belle mosquée dans un réduit de quelques kilomètres carrés. C’est la première chose qui m’a marqué au moment où j’ai pris mes fonctions à Djibouti.
Ma mission a été jalonnée de plusieurs temps forts. Je voudrais rappeler d’abord la visite du président de la République de Djibouti, Ismail Omar Guelleh, à Paris en février 2017. Visite officielle qui a été suivie par celle du président de la République française, Emmanuel Macron à Djibouti les 11 et 12 mars 2019. A un autre niveau, j’ai coordonné une série de visites de délégations ministérielles, parlementaires et sénatoriales françaises auprès des autorités djiboutiennes. Je me souviens de façon très particulière de la visite du chef d’état-major des Armées, le général François Lecointre auprès du chef d’état-major des Forces armées djiboutiennes.
Mais je voudrais me féliciter d’un projet que j’ai pu mener à bien avec quelques amis djiboutiens. C’est la création du Groupe d’affaires France-Djibouti (GAFD) qui a ouvert son premier bureau permanent dans les locaux de l’Institut français de Djibouti. Cette belle initiative m’a donné le courage et la détermination de mener à bien une série d’autres chantiers avec les autorités djiboutiennes.
Par ailleurs, l’assemblée générale extraordinaire du lycée français de Djibouti en novembre 2018 fut un autre temps fort puisqu’il fallait voter une réforme des statuts et un projet de construction d’un nouvel établissement. Je ne vous cache pas que j’ai dû mouiller la chemise pour convaincre les parents d’adhérer à ce projet de réforme des statuts et de restructuration de la gouvernance du lycée. Ce fut donc un engagement personnel devant plus de 500 personnes. J’ai été amené à convaincre tout cette assemblée en quelques minutes pour voter la réforme. J’ai donc endossé personnellement la responsabilité du succès ou de l’échec de ce projet qui a connu une fin heureuse.
Djibouti, c’est aussi une terre unique en son genre qui regorge de sites historiques et de paysages resplendissants. Je me souviendrais avec délectation de la projection de la finale de l’Euro 2016 au sein du Centre de développement communautaire du Quartier 7bis. Ce fut un temps fort qui m’a permis de vivre aux côtés de la jeunesse djiboutienne un moment d’enthousiasme et de convivialité où nous avons partagé de fortes émotions. Je garde également de mon séjour en cette terre de rencontres et d’échanges une flopée de souvenirs que j’ai vécus tout au long de mes pérégrinations du Nord au Sud du pays. Ce qui m’a vraiment fait le plus plaisir c’est de m’adonner librement et en toute sécurité à mon hobby et mon activité sportive préférée, c’est-à-dire du vélo de route. Ainsi, j’ai pu faire presque chaque weekend près de 100 Km de vélo sur de longs tronçons de route entre Djibouti et Loyada ou Djibouti-Arta et au-delà. Tôt le matin, ces sorties en vélo m’ont offert l’indispensable récréation et l’activité physique nécessaires pour m’entretenir et m’épanouir. Inutile de préciser que j’ai pratiquées cette activité tôt le matin pour éviter les fortes chaleurs.
Mais j’ai vécu à Djibouti une série d’aventures personnelles qui m’ont mené dans des sites fabuleux comme Abourma, lieu chargé d’histoire où l’on peut voir de vieilles gravures rupestres. Ces motifs et dessins sur la roche ont servi de moyen de communication aux hommes préhistoriques. Le site n’est accessible qu’après deux heures de voitures sur une piste cahotante suivie d’une longue heure de marche. Sur place, une population semi-nomade tente de survivre dans un milieu hostile, parsemé d’épineux et de cailloux dans une chaleur écrasante et un dénuement quasi absolu. J’y ai ressenti une vive émotion dans ce lieu où le temps semble être suspendu depuis toujours.
Mes parcours en voiture dans l’arrière pays de Djibouti m’ont fait découvrir de nombreux forts qui longent la frontière avec l’Éthiopie. J’ai eu l’occasion de visiter des localités comme Assamo ou As Eyla où le courage et la détermination des femmes qui travaillent à la force du poignet pour faire vivre leur foyer dans un climat extrêmement rigoureux forcent le respect. Malheureusement, j’ai aussi des souvenirs douloureux de déplacements à l’intérieur, et notamment sur la route de Tadjourah au niveau du lac Assal, où j’ai fait une expérience plutôt traumatisante. Un couple de jeunes migrants en détresse ont arrêté mon véhicule pour demander assistance. Après une longue marche sur le bitume par des températures très élevées, la jeune femme en détresse extrême nécessitait une évacuation d’urgence. Naturellement, nous l’avons transportée avec des gendarmes jusqu’au poste de PK51 avant de la remettre aux services de santé. Il faut dire que dans ces situations extrêmes, le pire n’est jamais loin. C’est ce que j’ai vécu lors d’une autre excursion dans l’Ardoukoba, où j’ai été vraiment choqué par la vue de restes humains en décomposition avancée voire des squelettes de ces mêmes migrants qui avaient succombé aux conditions de leur voyage de tous les dangers.
Dans un registre moins tragique et plutôt agréable, le contact avec les populations nomades qui vivent heureux malgré les conditions difficiles m’a fait beaucoup plaisir. J’ai été très touché et j’ai beaucoup aimé la facilité du contact, le franc parler et le langage souvent cash des Djiboutiens en général. Les gens sont assez directs et c’est plutôt sympathique. Il y a aussi cet autre trait de caractère déterminant chez les Djiboutiens qui est la confiance, l’optimisme et la résolution à aller de l’avant et réaliser les projets une fois décidés. C’est ce qui m’a souvent permis de trouver la détermination à réaliser de nombreux chantiers en partenariat avec mes amis djiboutiens. C’est aussi une voie plutôt express pour accéder à la culture complexe voire compliquée par moment des Djiboutiens. Cela m’a été d’autant plus facile avec ma participation à des évènements comme des mariages, ou des obsèques où j’ai pu partager les joies ou les peines de mes amis djiboutiens en leur présentant des félicitations ou des condoléances. Je n’oublierais jamais les fortes sensations de la plongée sous marine dans les Sept frères mais aussi et surtout la rencontre avec les requins baleines sous l’eau.
La solidarité des Djiboutiens m’aura également marqué lors des attentats de Nice où de manière très spontanée des jeunes, des femmes et des oulémas se sont présentés à la résidence de France pour dénoncer la barbarie des terroristes et réitérer le soutien et l’amitié de Djibouti à la France. Ce fut un moment d’extrême émotion que moi et mes compatriotes français à Djibouti avons vécu intensément.
Le dernier temps fort qui me revient à l’esprit est l’échange que j’ai pu avoir avec les étudiants de l’Université de Djibouti dans une salle pleine. La conférence que j’ai donné sur la place et le rôle de la France à Djibouti et dans la région a ouvert la voie à des débats qui ont été comme je les aime, c’est-à-dire francs, directs et sans filtre, typiquement djiboutiens.
Donc, au moment de quitter Djibouti j’ai le cœur serré. La République de Djibouti est un pays où la France est très sollicitée. Mais je pense tout de même avoir mené ma mission au-delà des objectifs visés. Je veux surtout souligner que c’est grâce à l’amitié et la confiance de nombreux amis djiboutiens avec qui j’ai pu tisser une relation fraternelle et je le pense profondément.
Vive l’amitié entre la France et Djibouti !
Témoignage recueilli par Mohamed Ahmed Saleh
Très bel et émouvant témoignage del’ambassadeur partant M. CHRISTOPHE GUILHOU, que Djibouti n’oubliera jamais.
Ce diplomate chevronné était envoyé en République de Djibouti à point nommé, puisqu’il a beaucoup intensifié les relations de Djibouti France qui étaient au point mort, il s’est affranchi de sa mission honorablement et avec succès puisqu’il a ravivé magistralement cette relation centenaire refroidi.
Djibouti est vraiment reconnaissante pour tous vos actes sincères et me permet de vous présenter mes excuses les plus conviviaux pour la bourde survenue lors de la cérémonie de remise de médailles, tout en sachant que vous méritez la plus haute médaille honorifique de la République de Djibouti. Nous savons que nous nous quittez le coeur serré et aimerions vous revoir bientôt à Djibouti, Excellence Monsieurl’ambassadeur GUILHOU. À bientôt.