En Éthiopie, les convulsions se suivent mais ne se ressemblent pas ! A peine le gouvernement a-t-il levé l’état d’urgence, il y a moins de deux mois, qu’un nouveau feu s’embrasse dans deux régions du sud du pays. Les affrontements opposent Somalis et Oromos. Ils ont déjà causé la mort de plusieurs dizaines de personnes de part et d’autre des deux régions, et entrainé le déplacement de cinquante mille personnes fuyant les violences sanglantes. Cela avait au départ l’apparence d’un banal conflit pour l’accès aux ressources, probablement exacerbé par la calamité climatique qui a durement frappé les deux régions. C’est désormais une poudrière que devra gérer le gouvernement fédéral éthiopien, d’autant plus que ces deux régions se situent sur la principale voie d’approvisionnement du deuxième pays le plus peuplé du continent.
La panique a gagné une partie du pays mais particulièrement les hommes d’affaires. Les sociétés de transport acheminant matériels et marchandises, ont prudemment mis la pédale douce. Les véhicules, pourtant chargés, sont restés plusieurs jours stationnés à Djibouti, craignant de reprendre la route vers l’Éthiopie alors que l’ordre et la sécurité n’étaient plus assurés sur le corridor, paralysant du même coup l’économie nationale éthiopienne, si dépendante des importations pour maintenir un niveau de croissance élevée.
De nombreuses victimes de part et d’autre
Addis Standard dans un article du 14 septembre [1], nous rappelle que ces affrontements ne sont pas nouveaux entre ces deux communautés ; ils remontent à la création de l’État fédéral en Éthiopie en 1995 [2], et à la consultation opérée auprès des régions limitrophes quant à savoir s’ils souhaitaient être administrés et donc intégrer les régions oromo ou somalis. 80% des localités consultées ont opté pour l’intégration à l’Oromia. Sauf que ce résultat n’a jamais été accepté par la population ni les autorités somalis. Elles considèrent qu’il a été affecté d’illégalités, d’irrégularités et de manipulations. L’organisation de ces élections censées permettre de pacifier la situation semble l’avoir qu’envenimée. Depuis, le vers est dans la pomme !
Soucieux de la stabilité régionale, dont dépend celle de l’Éthiopie, le Premier ministre avait convoqué en avril de cette année les deux présidents de régions afin de les engager à entamer un dialogue politique sous ses auspices à Addis Abeba. Il devait permettre de mettre définitivement fin à ces résurgences sporadiques de violence dans les zones frontalières des deux régions. Il a débouché sur un succès puisqu’un accord prévoyant que, sur les 68 villes/localités disputées, 48 reviendraient à la région oromo et 20 à celle somalie. Au vu des résultats sur le terrain, on constate qu’il n’aura pas vécu longtemps.
Selon un rapport récent du département de protection et de sécurité du personnel des Nations-unies [3], les brindilles de la discorde se seraient enflammées à la suite des événements survenus dans le district Salahad, situé en région Somali, le 7 septembre dernier. Une douzaine de personnes auraient été tuées lors d’affrontements opposant Oromos et Somalis qui auraient aussi causés une trentaine de blessés parmi les deux communautés.
La suite est connue et rappelle de tristes souvenirs : les deux régions sont plongées dans une violence quotidienne avec des assassinat, des blessés graves et de nombreuses arrestations .
L’organisme onusien fait état de graves violences dans de nombreuses localités des deux côtés de la frontière séparant ces régions tourmentées. Le pic de ces atrocités se serait déroulé le 11 septembre, à Awaday en région Oromo, où 38 personnes auraient trouvé la mort, dont certaines attaquées à l’intérieur même de leur domiciles en raison de leur appartenance à la communauté somalie. Propulsée par une macabre dynamique « d’œil pour œil », ces tueries se poursuivent durant plusieurs jours des deux côtés de la frontière. Il est fait état de cibles sélectionnées en fonction de leur ethnie puis brutalisées dans la rue ou les transports publics, de maisons brûlées, d’enfants attaqués à l’école, de blessés poursuivis jusque dans leur lit d’hôpital… L’insécurité et les tueries, aggravées par les rumeurs/témoignages – vrais ou faux - circulant dans les réseaux sociaux, ont contribué à provoquer un vaste chassé croisé des populations, qui cherchent à se réfugier auprès des leurs pour retrouver protection et quiétude. Le succès, de ce qui à tout l’air d’une sorte de « nettoyage ethnique » des populations dans les zones contestées pourrait malheureusement motiver davantage ceux qui croient à la violence plutôt qu’au dialogue politique pour atteindre ses objectifs. Ces régions sont devenues désormais une poudrière.
Polémiques et surenchères
La surenchère dans la victimisation et dans les incriminations que se livre les principaux responsables politiques régionaux des deux bords – par média interposé - n’est pas pour apaiser la situation.
Ce vendredi 15 septembre, le site d’information Puntlandi [4], relate une cérémonie religieuse où, en présence des plus hautes autorités de la région somalie mais également d’une foule immense, quarante victimes de la tuerie perpétrée à Awaday ont été inhumées à Jijiga, loin des lieux du drame. Les photos sont poignantes, l’émotion vive peut se lire dans les visages des participants à ces funérailles. Les corps sont posés à même la terre et recouverts de linceuls blancs, comme le veut la tradition.
Le discours vindicatif mais aussi empreint de douleur prononcé par le président de la région somalie, Abdi Mahamoud Omar, lors de la cérémonie funéraire, ne présage en rien d’une accalmie à venir. La tuerie a suscité l’indignation.
D’ailleurs, il ajoute une nouvelle flèche à son arc : un blocus économique [5]. L’exportation de khat est la première source de revenus de la région Oromia, qui tire d’importantes recettes de ces transactions commerciales avec Djibouti et le Somaliland. En fermant l’accès à ces deux pays, puisqu’il interdit aux véhicules transportant cette précieuse marchandise de traverser la cinquième région d’Ethiopie, Abdi Mahamoud, prend à la gorge l’économie de la région oromo. Loin de faire baisser la tension, cette décision laisse craindre une exploitation des antagonismes encore plus exacerbée pour alimenter le conflit identitaire. La région Oromia n’est pas en reste sur ce registre, en dénonçant la participation des forces spéciales de police, dénommé Liyu [6], elle sème une panique incontrôlable, puisque ce qui est sous entendu indirectement, c’est que ces violences auraient été orchestrées, voire manigancées, par les autorités somaliennes pour conquérir les territoires disputés. Justifiant par là même, sa dissolution réclamée, avec véhémence, par les autorités de l’Oromia.
Une touche d’espoir tardive
La situation inquiète Addis Abeba qui s’est décidé à envoyer des troupes fédérales afin de protéger les populations civiles dans le sud du pays.
Il faut dire que la situation s’est envenimée. Elle n’a plus seulement à gérer des conflits intercommunautaires, mais devra faire face à une recrudescence des attaques de l’Ogaden national libération front (ONLF), qui a profité de la confusion générale pour intensifier ses opérations contre les troupes fédérales stationnées notamment à Sibbi, ou bien encore à Bukudawa [7].
Comme si cela n’était pas suffisant, voilà que la communauté internationale s’en mêle et dénonce le déplacement interne de plusieurs dizaines de milliers d’habitants provoqué par ces atrocités. Le communiqué en date du 19 septembre des États-unis d’Amérique témoigne de la crainte que le conflit s’enfonce dans une crise identitaire et qu’il débouche sur une crise humanitaire, aggravant la situation créée par la sécheresse. Ils demandent aussi au gouvernement fédéral de lancer dans les meilleurs délais une enquête pour déterminer qui sont les auteurs de ces massacres. Ils considèrent que seule une enquête indépendante pourrait mettre fin à une polémique qui risque de déboucher sur de nouvelles violences. Ils ne font probablement pas fausse route sur ce point.
« Les Etats-unis appelent le gouvernement éthiopien à enquêter sur des violences meurtrières qui ont éclaté ces dernières semaines dans le sud de l’Ethiopie entre deux principales ethnies du pays, poussant des dizaines de milliers de personnes à fuir leurs foyers » [8].
Dans l’imbroglio éthiopien, les problèmes ne semblent pas près d’être résolus. Le régime éthiopien va devoir se montrer inventif pour résoudre le différend territorial opposant les deux régions. Il ne pourra pas sortir le bâton trop fermement, comme à l’accoutumée [9], pour ramener le calme. La communauté internationale réunit à New York, à la grande messe des Nations-unies, l’a dans sa ligne de mire, et ce d’autant plus, que le pays préside depuis le 1er septembre le Conseil de sécurité de l’ONU. Enfin cette situation suscite également l’inquiétude des partenaires commerciaux ; ces convulsions à répétition font craindre que la stabilité politique tant vantée ne soit finalement qu’un mirage…
Mahdi A.
[1] « Analysis : Rising Death Toll, Displacement and Protests in East, South and South East Ethiopia. What Lies Beneath ? », Addis Standard, 14 septembre 2017.
[2] « Uneasy peace and simmering conflict : the Ethiopian town where three flags fly », The Guardian.
[3] UNDSS, rapport du 8 septembre au 14 septembre 2017, télécharger.
[4] « Aas qaran oo Jigjiga loogu sameeyay dadkii Oromadu xasuusqday », puntlandi.com, 15 septembre 2017.
[5] Ce blocus n’a duré que deux jours à cause de la pression des autorités djiboutiennes sur le gouvernement fédéral (samedi 16 et dimanche 17 septembre).
[6] Force créée en 2008, en réponse à l’attaque en 2007 par l’Ogaden national libération front (ONLF) d’une exploitation énergétique qui avait entrainé la mort de 74 ingénieurs chinois et militaires éthiopiens.
[7] Rapport UNDSS.
[9] « Fuel on the Fire », rapport de Human Right Watch, septembre 2017.