Le gouvernement qui s’est engagé à maintes reprises à faire baisser drastiquement le nombre de demandeurs d’emploi, ainsi que le taux de chômage, en République de Djibouti, semble avoir enfin trouvé un début de commencement pour résoudre l’équation.
Pour l’heure le chômage impacte encore 48,5 % de la population active, dans le même temps, des milliers de nouveaux diplômés, grossissent chaque année le rang des laissés pour compte.
C’est dans cette situation intenable où les jeunes voient leur avenir assombri, leurs rêves brisés, que le gouvernement sort opportunément de sa boîte à outils un instrument qui a remarquablement fait ses preuves ailleurs : les contrats aidés !
De quoi s’agit-il ? Qu’en est-il de la performance de ce dispositif ? Quelle latitude donne- t-il au gouvernement ? Comment ce programme - qui reste tout de même coûteux - est-il financé ? A -t-il vocation à être démultiplié ?
Les contrats aidés… De quoi parle-t-on en fait ?
Quoi de plus logique pour répondre à ce questionnement que d’aller frapper à la porte de Hassan Idriss Samrieh, ministre du travail chargé de la réforme de l’administration. Notre interlocuteur nous dit sa satisfaction des premiers retours du terrain. Il rappelle que la lutte contre le chômage est en haut de la feuille de route que lui a confiée le chef de l’État, que de nombreuses mesures avaient été prises pour résorber le chômage notamment en créant des opportunités d’emplois. Lesquelles ? En améliorant le climat des affaires, la mise en place du guichet unique, l’accent mis sur la formation, l’apprentissage, les investissements dans des projets structurants et d’avenir, ou encore en encourageant une meilleure insertion professionnelle des jeunes diplômés, déclare-t-il.
Lorsque l’on en vient à la raison de notre visite, Hassan Idriss Samrieh ne boude pas son plaisir au moment où il évoque son grand espoir dans le dispositif d’accompagnement de longue durée des chômeurs : « Comment créer des emplois lorsque le service public n’est plus en mesure de servir de soupape de sécurité ? Comment expliquer que le secteur privé ne recrute pas davantage alors que le pays connaît pourtant un taux de croissance exceptionnel et continu ? C’est la raison pour laquelle, dès ma prise de fonction, j’ai rencontré les opérateurs du privé pour m’informer de leur situation mais également savoir comment le gouvernement pourrait mieux les accompagner dans leur développement. Ils ont fait état de leur difficulté à trouver sur le marché de l’emploi du personnel suffisamment formé et en mesure de répondre à leurs attentes. Ceci considéré, nous sommes revenus à la charge avec une proposition gagnant-gagnant, un partenariat public-privé !
Notre idée est simple : puisque les entreprises se plaignent que les jeunes diplômés ne correspondent pas aux profils recherchés par le privé, nous leur avons demandé qu’ils les prennent en stage, sans que cela ne leur coûte un franc puisque les stagiaires sont rémunérés par nous durant les huit mois du stage. Le stagiaire sera payé mais avec un objectif, c’est que le jeune intègre ensuite l’entreprise. Cette immersion en entreprise permettra aux bénéficiaires d’acquérir une première expérience professionnelle et à terme de pouvoir être recruté si les résultats du stage ont été satisfaisants. Gardons à l’esprit que, même s’il n’est pas recruté, le stagiaire gagnera en expérience, mais également en assurance, et pourra se prévaloir d’une première expérience professionnelle.
On va donner à travers ce projet pilote un coup de pouce, un coup de main, à tous ceux qui veulent trouver un emploi. On va faire le lien, le pont, entre les offres disponibles et les demandeurs. Aussi bizarre que cela puisse paraître, il y a de nombreux cas de diplômés âgées de 35 ans qui n’ont jamais exercé un emploi, tandis que d’autres, faute de mieux, deviennent taximen ou femme de ménage. Ces situations sont inacceptables », nous affirme Hassan Idriss Samrieh sur un ton ému.
Ali Mohamed Kamil, conseiller auprès du ministère du travail, ajoute : « Ce programme va permettre de sortir du cercle vicieux : pas d’expérience pas de travail, en offrant une véritable expérience, mais aussi à la clé une réelle opportunité d’emploi en fin de stage. C’est une idée assez novatrice à Djibouti. Si je puis dire, les patrons en ont rêvé, Hassan Idriss Samrieh l’a fait ! Il faut comprendre que les diplômés détenteurs de masters en génie civil ou électrique n’ont pas besoin de notre aide : les entreprises leur courent derrière. A contrario de ceux qui n’ont pas cette chance, aucune expérience : eux sont condamnés à tourner en rond. Il fallait casser ce cycle infernal, ce mur de verre. Le ministère du travail veut agir pour ces personnes en souffrance en priorité, en leur offrant la possibilité d’acquérir de l’expérience. Il me plaît de rappeler que, pour le recrutement des bénéficiaires, la parité entre les deux sexes a été parfaitement respectée. Le comité de sélection des jeunes était composé d’un représentant de la chambre de commerce, de l’ANEFIP, du ministère du travail et du PNUD. La sélection s’est déroulée de manière transparente, pour chaque poste on disposait de trois ou quatre dossiers issus de la base de données informatisée de l’ANEFIP. Les critères décisifs - en dehors des besoins des entreprises - ont été l’âge et la durée de chômage ».
Une nouveauté, une révolution pour Djibouti
« Lorsque les jeunes quittent l’école, ils sont livrés à eux-mêmes, ils ne connaissent pas le marché du travail, comment il est organisé. Ils sont un peu dans le flou, nombreux sont ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’Agence nationale de l’emploi, la formation et l’insertion professionnelle (ANEFIP), et donc ne s’y rendent pas pour s’enregistrer… Ce programme va les aider à surmonter ces obstacles. En outre il faut noter que ce programme aura permis de voir également la perspective des patrons : comment eux voient les choses ! Ils nous ont signalé par exemple un manque de professionnalisme, des problèmes liés au respect des horaires… Aussi il a semblé évident à la suite de ces échanges la nécessité de sensibiliser les jeunes sur l’éthique au travail, le respect des horaires, le respect de la hiérarchie, de la clientèle… C’est ainsi qu’il a été décidé, avant de les placer en stage au sein des entreprises, de leur dispenser une formation sur ces notions. La chambre de commerce s’est proposée pour dispenser ces enseignements aux cent quarante jeunes bénéficiaires du programme. Ce projet est entièrement financé par l’ambassade du Japon à Djibouti, et le programme des Nations-unis pour le développement (PNUD) en assure la gestion. Les jeunes sous contrat aidé sont rémunérés mensuellement entre 55000 et 65000 FDJ brut, selon qu’ils sont diplômés ou non. Ils bénéficieront des mêmes droits que les autres salariés, en cas d’accident ils sont couverts par l’assurance santé par la caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) », nous confie Artan Said, chargé de programme au PNUD,
Idylle Aden Robleh, responsable de la formation professionnelle à la chambre de commerce, nous livre le sentiment des patrons sur ce partenariat public-privé, ainsi que des précisions sur ce dispositif d’appui à l’emploi : « Notre institution, qui représente les entreprises, a fait savoir au gouvernement que les jeunes sur le marché de l’emploi manquent de professionnalisme. Ceci s’explique sans doute par le fait qu’ils ne connaissent pas le monde du travail. Les diplômes acquis ne les ont pas préparés au secteur privé. De ce constat, la nécessité a germé qu’il était indispensable d’agir pour changer les comportements puisque, lorsque l’on parle de professionnalisme, il y a un comportement à avoir. Apparemment c’est une chose qui manque à Djibouti.
La chambre de commerce a pris ses responsabilités, et c’est ainsi que nous avons mis sur pied un curricula d’études sous la forme de trois modules : le premier est relatif au coaching et développement de soi. Les jeunes intègrent le monde du travail, mais il y a une insatisfaction du secteur privé par rapport à leur comportement professionnel. Le premier module est axé sur ce point, comment se comporter dans le milieu professionnel. Le second est axé sur les techniques du monde professionnel, comme par exemple l’écrit, la présentation orale, etc. Enfin le dernier volet porte sur les méthodes de recherche d’un emploi, sur la rédaction de CV, ou sur l’entretien d’embauche… Il faut bien comprendre que ces jeunes ne savent pas comment s’y prendre pour postuler à une offre d’emploi. Aussi il était important pour que la greffe puisse prendre sans accrocs dans le cadre de ces contrats aidés, qu’en amont ces jeunes aient pu comprendre ce que l’on attendait d’eux. C’est ce que vise l’enseignement de quinze jours dispensés par la chambre de commerce aux 140 jeunes [1] dont les dossiers ont été retenus par les entreprises pour des stages de huit mois. Il est très important de souligner que, durant leur formation, ils seront rémunérés. C’est un partenariat gagnant-gagnant public-privé-partenaires au développement (PPP). Nous en sommes à la deuxième édition. Il n’est pas difficile de se rendre compte que c’est une avancée majeure à Djibouti dans le cadre des politiques de l’emploi : ces jeunes retenus vont bénéficier de salaires, d’assurance santé, mais également de formation durant toute la durée de l’accompagnement professionnel. La balle est dans leur camp pour la suite, il leur appartiendra de démontrer qu’ils sont professionnels, respectueux des horaires de travail, rigoureux dans les tâches qui leur auront été confiées, bref qu’ils répondent aux attentes des entreprises qui les ont pris en apprentissage, s’ils désirent décrocher, en fin du contrat aidé, un contrat à durée indéterminée. C’est là toute l’ambition du projet ».
De nouvelles dispositions pour ne pas aggraver le nombre de chômeurs
Sur le front du social, la lutte contre le travail illégal, non déclaré au CNSS, le ministre a rappelé les bons résultats de sa campagne de sensibilisation pour défendre les droits des employés. Il a estimé que son discours de fermeté [2] a porté ses fruits au-delà de ses attentes avec pour effet une augmentation considérable des recettes de la CNSS du fait de la peur des contrôles, il y aurait eu de nombreuses régularisations. D’autres dispositions, insiste-t-il, auraient été prises également afin de sévir contre les entreprises indélicates, et protéger les employés floués : « Prenons les sociétés d’intérim. Nous avons été amenés à constater que certaines d’entre elles ne déclaraient pas les employés pour lesquels, pourtant, elles avaient collecté les charges patronales, mais sans les reverser à la CNSS. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de remettre complètement à plat le système d’attribution de licence, de revoir les conditions d’exercice de cette activité. J’ai durci les conditions d’exercice des agences privées d’emplois. Dans le même temps mes services ont saisi les gros employeurs de ces agences, avec lesquels, ils ont passé en revue les nouvelles dispositions en vigueur en république de Djibouti, en leur rappelant notamment qu’il leur appartient de s’assurer que les agences qui les démarchent disposent bien d’un agrément valide. Il m’a semblé également que les cautions exigées pour exercer ce métier et garantir les droits des employés en intérim étaient insuffisantes, sans aucun rapport avec la réalité de l’activité. Rendez-vous compte, des entreprises ayant plus de mille employés placés, ne s’acquittaient d’à peine quatre millions de nos francs au titre de caution. Les correctifs nécessaires ont été apportées ».
Hassan Idriss Samrieh sur le volet des fraudes au permis de travail dont sont assujettis les travailleurs étrangers, nous indique avoir entrepris une réforme importante : « Nous avons fait le choix de travailler main dans la main avec le privé. Ces derniers nous ont expliqué qu’ils considéraient que le montant du permis de travail étranger comme trop élevé. Dans le même temps les patrons se sont engagés à ce que dès que la compétence existe sur place, de recruter un Djiboutien. Les travailleurs étrangers étaient soumis à une redevance de 200 000 FD par an sans distinction du poste occupé. [3]. Au même moment j’ai été alerté par mes services de la situation d’un coiffeur indien établi à Djibouti depuis de nombreuses années. Il employait quatre de ses compatriotes comme coiffeurs, aucun d’entre eux ne disposait de permis de travail en règle et n’était enregistré auprès de nos services. Le propriétaire du salon de coiffure a été pris dans les rouages des services de contrôle, et amené à verser 1 000 000 FD pour se mettre en conformité avec la loi. Quelques temps plus tard j’ai été informé qu’il s’apprêtait à baisser le rideau du fait de difficultés à pouvoir s’acquitter des droits pour la nouvelle année. Il faut comprendre que mon objectif est la création d’emplois et nullement de les acculer à la faillite. C’est la raison pour laquelle, j’ai décidé dans un premier temps d’exonérer provisoirement le salon de coiffure de frais liés aux permis, mais également de lui rembourser les sommes perçues l’année précédente. Dans un second temps j’ai engagé avec mes collaborateurs une réflexion sur le sujet. Lorsqu’un texte peut être amélioré il ne faut pas hésiter : il me paraît raisonnable de tenir compte de chaque situation, par exemple il existe des métiers que les Djiboutiens ne veulent pas exercer, comme le débit d’alcool, la coiffure pour homme, les boîtes de nuits…
On doit tenir compte de la réalité du marché du travail. J’ai défendu des propositions d’amendements à la loi qui ont été adoptés par nos parlementaires, dorénavant les droits correspondent aux postes occupés sur la base d’une nouvelle grille tarifaire : 50 000, 100 000, et 200 000 FD. Le texte a été adopté en mai dernier et promulgué par le chef de l’Etat donc appliqué dès à présent par mes services.
Enfin je voudrai ajouter que les Djiboutiens seront dorénavant mieux protégés, puisqu’en cas de licenciements pour des raisons économiques les employés ne pouvaient se retourner contre leur employeur. Il existait une faille, j’en avais conscience ayant été par le passé président du tribunal social. Cette injustice a été réparée par la loi. La première audience du tribunal du travail pour un conflit supérieur à deux personnes se tiendra à la rentrée. Il sera présidé par le responsable de la direction du travail et composé de représentants des employeurs et des salariés. Comme vous pouvez le voir le gouvernement ne reste pas inactif sur les questions sociales », estime le ministre.
Nous avons rencontré Said Ali Mohamed, recruté par une banque de la place dans le cadre du contrat aidé l’an passé. Il s’est montré enthousiaste, heureux d’avoir trouvé un métier qui correspond en tout point à ce qu’il avait tant espéré. A l’écouter on ne peut qu’être séduit par les opportunités offertes par ce programme, mais également impressionné par le dynamisme et l’envie de croquer la vie à pleines dents qui l’habite : « Je suis rentré fin 2015 avec en poche un master 2 en management des entreprises et banques, obtenu à Madagascar. J’étais très inquiet, je ne savais pas si, même diplômé, j’arriverais à trouver un emploi. Aussitôt après avoir mis les pieds à Djibouti, j’ai eu la bonne idée d’aller m’enregistrer auprès de l’ANEFIP en qualité de demandeur d’emploi. Trois mois plus tard, j’ai été contacté par un responsable du ministère de l’emploi, Ali Mohamed Kamil, qui m’informait que mon dossier avait été retenu pour intégrer un projet pilote de contrat aidé. Après qu’il m’a expliqué en quoi consistait ce programme, j’ai évidemment donné mon assentiment, et presque dans la foulée j’ai entamé une formation de quinze jours dispensée par la chambre de commerce. Puis, j’ai été placé pour huit mois à la CAC banque. Il m’a fallu peu de temps pour comprendre ce que l’on attendait de moi, puisque à la fin de la première semaine j’étais quasiment autonome : j’effectuais mes tâches auprès de la clientèle et ces derniers apparemment n’avaient rien à redire sur mon travail. Le vingt-cinquième jour de ma période de stage, j’ai été convoqué par le manager de la CAC, Ahmed Abdi. Pour ne rien vous cacher, je pensais avoir commis une grave faute professionnelle… À ma grande surprise, il m’a proposé un recrutement immédiat ! Il m’a expliqué que j’avais fait mes preuves et qu’il ne souhaitait pas attendre la fin du stage pour me voir intégrer le personnel de l’agence. Forcément j’étais heureux, jamais je n’aurais pu imaginer avoir une telle opportunité à partir d’un stage. Cerise sur le gâteau, le cadre de travail est idéal et ma rémunération très satisfaisante. Ce projet de contrat aidé est une formidable aubaine. Il faudrait augmenter le nombre de bénéficiaires. Il offre une chance inouïe aux jeunes en recherche d’emplois de faire leurs preuves et montrer leur savoir-faire ».
Il s’agit donc à travers ces contrats aidés que le privé laisse une chance aux jeunes pas suffisamment expérimentés, insuffisamment formés, d’apprendre sur le tas en immersion totale au sein de sociétés. Les entreprises participent à ce new deal pour l’emploi, en prenant en charge le temps perdu en formation durant le stage. L’État, avec l’appui de ses partenaires, verse aux bénéficiaires une allocation de formation mensuelle huit mois durant. Le concept ne peut que séduire, si ce n’est qu’il est révélateur d’une grave crise de notre système éducatif qui ne répond plus aux défis de l’emploi et donc aux attentes des employeurs…
Mahdi A. photos Hani Khiyari
[1] 100 diplômés et 40 sans qualification.
[3] « Djibouti : Tolérance zéro contre les embauches illégales des étrangers », sur AfricaTime.
je suppose que l’article est intéressant, mais il évoque une réalité autre que celle Djiboutienne. Les contrats aidés sont une bonne chose, mais la manière dont ils sont opérés ici est à Djibouti, est tout autre que ceci n’est que du pur amateurisme en soi...