Human Village - information autrement
 
Association des femmes d’Ali Sabieh
par David Octor, novembre 2007 (Human Village 1).
 

Certaines initiatives viennent comme les pluies, de manière imprévue et l’on peut rarement en prévoir les conséquences. Car, à une bonne idée lumineuse on ne trouve pas toujours la bonne application.
Aussi, quand dans le monde, les bonnes intentions prennent le générique d’« ONG », on ne peut être que circonspect sur ce qui préside à l’action de telle ou telle association d’aide. Pourtant, parfois, la surprise est de taille, et l’on s’étonne que d’un postulat simple ne soient pas sortis plus tôt de grandes réalisations.
En me rendant à Ali Sabieh, j’en étais là de mes réflexions sur le bien du monde et sur ses bienfaiteurs.

Ali Sabieh n’est pas de ces villes qui s’apprivoisent facilement. Sèche, enclavée, lunaire, voilà une ville qui dispose de bien des adjectifs pour décrire sa situation tant il est vrai que c’est, visuellement, un autre monde que l’on découvre. Un monde a priori hostile où l’âpreté du travail va de pair avec des conditions sociales difficiles.
A ce stade du voyage, nous devions nous rendre au centre de renutrition de l’hôpital local pour y rencontrer Madame Amina Idriss, présidente de l’Association des femmes d’Ali Sabieh (AFAS) en charge de l’application d’une partie du dispositif d’appui social accéléré aux personnes (DASAP) [1] vivant avec le VIH/sida.
Le premier contact fut une déception, Amina Idriss ne pouvait nous recevoir. Qu’à cela ne tienne, son adjointe nous accompagnera lors de notre visite. Fatouma Hirsi nous rejoint donc pour nous conduire au sein des réalisations de l’AFAS. Nous partîmes donc, Fatouma consciencieument, et moi déçu de ne pas pouvoir rencontrer la présidente de l’association.

Pour qui pense écrire un récit de rencontre, c’est toujours une surprise de se voir amener d’abord au cœur des problèmes plus qu’au cœur des responsabilités. Car le premier lieu que nous visitâmes n’était autre que le centre de traitement pour les tuberculeux. Fatouma nous y emmena d’un pas qui ne supportait pas le doute et ce fut l’un des nombreux coups de boutoir à mes certitudes pessimistes ; il ne semblait pas question de tergiverser et de se cantonner à un simple entretien : cette visite était l’occasion de faire un constat brut des activités de l’association. Cette association semblait préférer les actes aux déclarations, voilà une incongruité qui ne laisse pas d’étonner à l’heure où la vanité prend souvent le pas sur la charité.
Les chambres étaient propres, les réserves bien contrôlées, les repas étaient strictement établis et le programme de nutrition paraissait d’une rigueur exemplaire.
Fatouma nous expliqua alors l’apport de l’AFAS. En tant que relai du DASAP, l’AFAS dispose de fonds alloués par le secrétariat exécutif de la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, afin de permettre l’accompagnement de malades indigents. Car, c’est là un des points essentiels de l’action de cette association djiboutienne, il s’agit avant tout de suppléer aux carences sociales liées à la maladie. En effet, les membres de l’AFAS comme les promoteurs du DASAP se sont aperçus très tôt que les maladies comme le sida et la tuberculose étaient, par ignorance, des vecteurs de rejet au sein des familles. Les malades, privés alors de ressources comme de soutiens, se retrouvaient dans une détresse aggravante. L’association dispose donc d’un budget suffisant pour l’entretien d’une cinquantaine de personnes atteintes par la tuberculose, sans considération de leur provenance ou de leur passé. Cet égalitarisme militant est d’autant plus apprécié que la bienfaisance de l’association s’est répandue et l’on assiste, aujourd’hui, à l’arrivée de personnes indigentes qui se serait montrées, au départ, plutôt rétives à un encadrement. Actuellement, l’association prend en charge 60 patients dont quatre enfants et l’initiative se trouve confronté à son succès : la possible prise en charge de 10 nouveaux arrivants pour l’exercice 2008 ne sera possible qu’avec une augmentation budgétaire conséquente (le budget actuel ne couvre réellement les frais que de 50 malades).
Dans le cadre de cet accompagnement, l’association poursuit son action malgré les nouveaux nuages qui risquent d’obscurcir l’horizon. Si le Programme alimentaire mondial (PAM) fournit une aide non négligeable (23 sacs de riz, 1 sac de sucre, 7 sacs de lentilles, 4 cartons d’huile), les finances risquent d’être asséchées par des prix en augmentation. Fatouma nous explique qu’avec l’augmentation du prix de lait (le carton est passé de 12 000 à 20 000 Fdj en quelques mois), l’approvisionnement devient plus difficile et il reste impossible de se passer de cette denrée, capitale, pour la nutrition des tuberculeux.
La visite s’achève là. Nous laissons derrière nous ce centre avec une respectueuse admiration pour cette association qui ignorait de nombreux tabous sociaux afin d’apporter des soins, un encadrement et, dans le fond, du réconfort.
Conscient de l’ampleur de l’objectif que cette association s’était donnée, j’entretins alors Fatouma de ma surprise devant la volonté de l’AFAS. Que ne fut ma surprise lorsque, tour à tour, Fatouma, candide, me parla des « autres » projets : une cantine scolaire, l’extension de l’encadrement aux malades du sida, un projet d’internat scolaire, la réalisation d’un réseau internet coopératif, etc.
Piqué de curiosité, il me vint l’envie d’approfondir la conversation. Car enfin, toutes ces initiatives ne pouvaient pas reposer entièrement sur de la bonne volonté. Fatouma m’expliqua que tous ces projets d’accompagnement, de formation, de scolarisation étaient liés à une autre grande idée : l’implantation d’un système de micro-crédit à Ali Sabieh. Tout à ma discussion, je ne vis pas que parvenions au siège de l’AFAS. Nous fûmes alors invités à patienter quelques instants dans une salle informatique à l’entrée du siège.

« Agir pour les exclus ! »
C’est par ce credo qu’Amina Idriss nous reçut, laissant de côté l’audit de son association, prenant un peu de son temps pour nous répondre et faire connaître son action. Amina Idriss est une femme dont on distingue immédiatement la détermination. Les mots sont posés, choisis avec la volonté de l’engagement. Pas de doutes, il s’agit là d’une femme de conviction, tout en elle le laisse entendre. Ses mots ne viennent que confirmer une impression forte, alors que nous nous installons dans le petit bureau qui sert de salle de réunion aux six membres administratifs de l’association.

« Ce qui me motive le plus au début, c’est le souci de la femme dans notre district. J’ai donc décidé de faire du bénévolat dans cette association. Je n’étais donc qu’une seul bénévole au début, membre de l’association. Ensuite, la présidente de cette association est tombée malade. Elle est partie en Europe pour se faire soigner et c’est là que j’ai pris le relais, en 2000. Alors, j’ai décidé de travailler avec les couches sociales les plus démunies, défavorisées. Je voulais agir pour les exclus, pour les gens qui se retrouvent exclus à cause de la pauvreté ».
On sent montrer un vent de révolte dans la voie d’Amina Idriss. « C’est ça qui m’a amené à travailler pour les malades de la tuberculose et du VIH. Ces gens sont particulièrement exclus. Lorsqu’ils tombent malade, la société ne les soutient plus. Surtout le VIH, ici, c’est un tabou. Une personne qui a le sida a un autre problème : comment vivre avec la société ? Ca c’est la première chose. Car il a besoin d’un accompagnement physique mais aussi psychologique ».
Après une pause, elle rajoute comme un verdict : « Nous sommes dans une société, où les femmes travaillent plus que les hommes ». La phrase est simple et le constat définitif. Elle renchérit alors sur sa révolte simple et toute légitime : « Par exemple, dans une famille, si la mère a le sida, les enfants risquent de perdre l’école, leur maison et c’est la délinquance qui les attend. Nous, on a pensé qu’il fallait aider les malades : leur donner à manger, leur faire des gestes financiers mais aussi, et surtout, des gestes moraux. Visiter les malades, discuter avec eux, se rendre proche, c’est ça agir pour les exclus ! ».
Cette fois, Amina Idriss se révèle avec un caractère déterminé. « Je vais vous donner un exemple. Il y avait une fille, malheureusement décédée récemment. Quand elle a contracté le VIH, sa famille l’a exclue de la maison. On lui a dit qu’elle ne faisait plus partie de la famille. La famille avait peur d’être contaminée. Alors la fille est venue nous voir à l’association en nous disant « je suis malade qu’est ce que je peux faire ? » Je l’ai gardée chez moi pendant deux mois. J’ai discuté avec la famille, je leur ai dit “moi je garde votre fille chez moi et vous verrez ! Je vais vous montrer que je ne serai pas contaminée ! VIH ne veut pas dire ‘contamination’ ! VIH veut dire ‘aide et appui au malade’ ! La malade va rester chez moi avec mes filles et vous verrez !” A la fin, les parents sont venus chercher leur fille ! On a donc un rôle de médiateur chez les familles ».
Sur ce témoignage en forme de conclusion, Amina Idriss nous montre l’étendue de son engagement. Sans jamais insister sur l’énorme travail d’aide à la nutrition que prend en charge l’association, elle préfère systématiquement insister sur ce qui reste à faire. Car il lui semble que l’aide financière aux soixante tuberculeux n’est que la partie immergée de l’iceberg, il n’est pas question d’ignorer le travail sur le terrain préalable.
Amina Idriss nous entretient alors du travail de fourmis entrepris par l’association bien en amont de l’encadrement des malades, afin de prévenir les maladies, favoriser les dépistages et changer les esprits. Elle nous précise que les adhérents sont des gens qui aident toujours sur le terrain !
Puis elle nous fait part des difficultés liées à l’accueil des malades. Car non seulement, l’acquisition ou la location d’une maison pour les malades reste onéreuse mais la nécessité de renforts se fait de plus en plus pressante. Les besoins sont nombreux : renforts administratifs (personnels de gestion), besoins de formation, ainsi que l’importance des rencontres pour donner un second souffle au développement de l’association.
Bref, Amina Idriss, lucide, nous fait part de ses victoires comme de ses difficultés. « On est fatigués et frustrés par l’ignorance quand on voit des familles qui rejettent les malades. Ces gens-là ne font pas exprès d’éloigner les malades, c’est l’ignorance ! On est fatigué mais on continue pour aider les femmes ! ».
La gestion d’un système de micro-crédit à destination des femmes d’Ali Sabieh constitue un horizon encourageant pour cette association : le taux de recouvrement des prêts y est exemplairement haut (98%) et, déjà des initiatives coopératives témoignent de la vitalité de l’expérience (« café internet associatif »). Un nouveau projet, donc, défendu dans cette association tenue par des femmes au caractère trempé.

En quittant cette aimable dame si décidée, on vient à réfléchir sur la femme djiboutienne, celle qui nous disait, avant de nous donner congé : « Chez nous, dans le district c’est maintenant qu’on se met au travail. Avant, on disait “l’État va donner du travail”. Maintenant, on va créer du travail ! ».
Et de conclure notre entretien dans un éclat de rire : « Maintenant, on prend nos responsabilités un peu, pas beaucoup… mais on les prend ! ». En partant d’Ali Sabieh, la ville avait l’air moins sèche, moins enclavée, moins lunaire.

David Octor


[1La DASAP est un dispositif issu du système sanitaire djiboutien. Ce « paquet » de réforme vise à prendre en charge les malades du sida sans se limiter aux soins et à l’encadrement médical mais en tenant compte, en plus, de la dimension psychologique et sociale de la maladie.

 
Commentaires
Association des femmes d’Ali Sabieh
Le 24 février 2017, par kadra omar kamil.

je peux temoigner du caractere formidale et devoue de mme Amina Idriss, presidente de l’association AFAS.
J’ai travaillee avec elle dans le cadre du programme de microcredit qui fut un succes dont on voit les fruits aujourd’hui.

 
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