Alors que l’on a l’impression, vu du grand large, que le monde s’écroule sous les pieds de la Chine millénaire, nous nous sommes demandé comment notre pays pourrait être impacté par l’ouragan boursier qui sévit actuellement en Chine. Cette crise se répandra-t-elle au reste du monde, et donc à Djibouti ? Si oui, quelle sera l’ampleur des dégâts ? Les grands chantiers en cours de réalisation vont-ils s’arrêter du jour au lendemain ? Les investisseurs privés attendus en masse sur nos côtes vont-ils mettre un frein à leurs ambitions ? Djibouti a-t-elle eu raison de mettre tous ses œufs dans le même panier ?
Ce grand pays, qui est devenu ces dernières années la force motrice qui tire notre économie vers le haut, traverse l’une des crises économiques les plus graves de son histoire. La chute de la bourse de Shanghai est stupéfiante : alors qu’en un an sa valeur boursière était passée de 500 milliards de dollars à 6500 milliards, elle a dévissé de près de 38 % depuis juin, brûlant au passage près de 3000 milliards de dollars… Le pays est sous le choc, les soixante-quinze millions de boursicoteurs chinois de la classe moyenne qui avaient mis toutes les économies d’une vie en bourse, se retrouvent sur le carreau dans un pays où n’existe aucun filet social.
La valeur des entreprises était surévaluée, sans cohérence entre leurs performances réelles et les niveaux de cotation qui avaient atteint des sommets délirants. Des analystes financiers avaient bien tiré la sonnette d’alarme en amont sur le risque latent de voir ces cours, montés en flèche de manière inconsidéré, redescendre aussi vite... ils n’ont pas été entendus à temps ! Tel un château de sable, la bulle boursière s’est effondrée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Pour l’heure, malgré les efforts du gouvernement chinois et de sa banque centrale, les nombreuses mesures prises pour endiguer ce fléau sont restées sans effets. La barre n’arrive pas à être redressée et, les milieux boursiers sont désemparés, une peur qui commence à gagner le reste du monde.
Le grand danger qui guette la Chine est de voir cette crise boursière se propager par ricochet au reste de son économie, entrainant une spirale baissière, avec des usines qui ne recruteraient plus et un exode rural qui s’amoindrirait ; mécaniquement le secteur de l’immobilier serait impacté, sans doute le secteur qui serait le plus touché en cas d’effet domino. Ce secteur, qui représente pas moins de 15% du PIB chinois, est déjà très fragile, pour ne pas dire au bord du précipice. 20% des logements et bureaux construits ces dernières années ne trouvent pas preneur. Un scénario à l’espagnol n’est plus à écarter. Pourtant, en dépit de ce signe plus qu’annonciateur, les autorités n’ont pas su - ou voulu – agir, de peur sans doute de toucher à ce qui reste fondamentalement le moteur de la demande interne, et donc le nerf de la croissance chinoise.
Djibouti sera l’un des pays du continent africain le moins impacté par la crise chinoise
Djibouti, contrairement au reste du continent, ne sera pas réellement affectée par un atterrissage brutal de l’économie Chinoise. Les importations de matières premières en Chine ont chuté de 8,1% sur un an, entrainant d’importantes répercutions sur les prix des matières premières - qui baissent de 30% en moyenne, à l’exception du pétrole, qui a connu une baisse encore plus importante, de près de 60%. Les pays exportateurs de matière première peuvent commencer à s’inquièter, l’atterrissage sera sans doute brutal et durable. Djibouti n’exporte pas de matières premières, ni en Chine ni ailleurs - en tout cas pas pour le moment – elle devrait juste sentir passer la brise, et n’a donc pas de raison de s’inquiéter sur ce point dans l’immédiat.
Le niveau des exportations de juillet, publié par la douane chinoise en début de ce mois d’août, fait mention d’un net recul de l’ordre de 8,3% par rapport à juillet 2014. Cela peut laisser penser que la belle machine chinoise à faire du cash commence à se gripper, que son économie n’est pas au mieux de sa forme et rien n’assure qu’elle rebondira après les dernières manipulations du taux de change entreprises par la banque centrale pour doper le secteur de l’exportation. Rien n’empêche les autres pays d’utiliser la même parade, ce qui rendrait la manœuvre vaine.
Mais il est encore trop tôt pour s’alarmer, l’économie chinoise a des fondamentaux solides : une classe moyenne qui est la plus importante du monde (200 millions de personnes), une balance commerciale en baisse certes, mais toujours excédentaire, des réserves de changes immenses, fortes de 3 650 milliards de dollars, et un projet follement ambitieux qui devrait créer de la richesse et de l’emploi en Chine, « les nouvelles routes de la soie ».
Nous avons longuement interrogé M. Sha Hailin, membre de la direction du Parti communiste chinois de Shanghai, responsable de sa direction sociale et du travail, de passage dans notre pays, sur les évènements boursiers récents en Chine et leurs conséquences sur le niveau des investissements directs étrangers (IDE) à Djibouti. Il a tenu à dédramatiser la situation. Pour lui, cette crise est passagère, les choses reviendront à la normale très prochainement : « je voudrais vous rassurer sur la situation économique de la Chine. Les mesures et les actions entreprises par le gouvernement ne vont pas tarder à agir, notamment en ramenant la confiance. Il faut juste laisser du temps au temps et vous verrez que la situation d’affolement va cesser. Les médias ont sans aucun doute contribué à amplifier plus que de raison la soudaine baisse, cela a eu pour effet notamment d’affoler les boursicoteurs. Je pense que l’économie devrait être évaluée sur le long terme et non sur le court terme puisque les variations sont monnaie courante dans ce secteur, ce qui compte c’est le résultat en bout de course. La croissance économique chinoise sera proche des 7%, conformément à nos objectifs. C’est la raison pour laquelle je pense que l’économie chinoise ne fléchit pas, au contraire elle se renforce. Il n’y qu’à voir les chiffres du commerce extérieur, du commerce intérieur, ou des investissements chinois à l’étranger, ils sont tous en hausse. Croyez-moi, le gouvernement chinois continuera à encourager nos entreprises à développer des projets gagnant-gagnants à l’étranger, et notamment en Afrique afin qu’ils puissent continuer à profiter autant aux entreprises chinoises qu’aux économies locales. J’ai eu l’honneur de m’entretenir près d’une heure ce matin avec le président Guelleh, nos échanges ont été très constructifs. C’est un homme qui a une vision claire pour son pays, une grande ambition pour son peuple, je partage ses vues et ses opinions sur l’évolution économique future de votre pays. Votre pays va jouer un rôle considérable comme véritable porte d’entrée des pays du COMESA. Les milieux d’affaires chinois en sont convaincus et, comme j’ai pu l’indiquer à votre chef de l’État, la Chambre de commerce de Shanghai souhaite inviter les hommes et femmes d’affaires de votre pays à Shanghai du 15 au 18 novembre 2015, afin de renforcer encore d’avantage les liens d’affaires entre nos deux pays. Les investissements chinois seront encore plus présents à l’avenir à Djibouti. À ce propos le président du groupe Touchroad, M. He Lieuhui, a pu longuement exposer, durant notre rencontre avec le chef de l’État, le nouveau projet de son groupe en République de Djibouti, la réalisation d’une nouvelle infrastructure hôtelière sur la route de Venise, mitoyenne au futur grand mall de Djibouti, pour un investissement de 65 millions de dollars. La Chine considère Djibouti comme un partenaire fiable, une terre d’opportunités, un pays avec un potentiel certain. C’est la raison pour laquelle nous soutenons et nous continuerons à encourager l’ambition du groupe Touchroad à Djibouti ainsi que tous les autres investisseurs chinois qui souhaiteraient s’implanter dans votre pays ».
Ce dirigeant du Parti communiste de Shanghai est donc très optimiste, estimant que les répercutions de la crise boursière et ses effets directs sur l’économie réelle chinoise, seront faibles. Concernant plus spécifiquement l’extraordinaire croissance économique de Djibouti, son diagnostic est sans doute le bon : les IDE chinois continueront à se déverser à Djibouti. Les infrastructures en cours de réalisation sur l’ensemble du pays ont été financées par des prêts contractés auprès de la Chine, aussi qu’elle que soit l’étendue de la crise chinoise, les travaux engagés se poursuivront jusqu’à leur terme. Il en sera, semble-t-il de même pour les projets du groupe Touchroad en République de Djibouti, aussi bien à ras Syan, à Moucha, à Venise avec le grand mall de Djibouti, que pour le dernier projet sorti du chapeau de M. He, le futur Grand Hôtel de Venise. « Les financements ont été tous mobilisés et les évènements en Chine devraient aucunement remettre en cause les projets en cours », selon M. He Lieuhui.
Les investissements chinois à Djibouti ciblent des secteurs stratégiques
Les investissements chinois à Djibouti ne sont pas le fait du hasard, ils s’articulent tous autour de la chaine logistique, à savoir les routes, les chemins de fer, les ports en eaux profondes, les zones franches, les zones économiques spéciales et les aéroports. Ils servent donc, à soutenir la croissance chinoise, puisqu’ils vont permettre une meilleure pénétration des produits manufacturés chinois dans la zone économique du COMESA, ainsi qu’à fluidifier et à sécuriser les importations de matières premières dont la Chine a tant besoin... tout en servant nos intérêts.
Seuls les projets d’infrastructures touristiques du groupe Touchroad sortent de ce schéma, même si l’on peut considérer que, comme la clientèle cible est également chinoise [1], le retour sur investissement est assuré, puisque les Chinois ne partent en vacances que dans les destinations autorisées (Approved Destination Statut de la China National Tourism Administration). Djibouti, en fera évidemment partie. Enfin, le fait que la Chine a l’intention d’installer une base militaire à Djibouti, la première à l’étranger depuis 1945, devrait nous rassurer sur le fait que les investissements chinois, même s’ils devaient sensiblement fléchir ailleurs, seront épargnés pour la plus grande partie en République de Djibouti. Que l’on ne s’y trompe pas : que la Chine est jetée son dévolu sur notre pays est une opportunité formidable pour Djibouti. Ce grand pays millénaire pourvoyeur de croissance va donner un coup d’accélérateur à notre économique, cela en fait donc, un allié de choix, un partenaire privilégié, et un ami de notre pays.
Ceci dit, et quoi qu’en dise M. Sha Hailin, c’est une période d’incertitude qui s’ouvre pour les IDE chinois. La croissance économique de ce grand pays tournera plus près des 2 ou 3% selon de nombreux experts que des 7% avancés par le gouvernement chinois. Les derniers évènements en Chine doivent être considérés pour ce qu’ils sont : un signal d’alerte. L’ouragan boursier que traverse la Chine finira par s’éloigner, par perdre en intensité.
Pour autant, cette crise doit nous « réveiller », nous encourager à être plus vigilant, plus regardant dans les choix politiques et économiques qui sont les nôtres. En faisant de la Chine notre seul et unique grand partenaire dans la réalisation des grands projets de développement, n’y a t-il pas un danger ? Est-il prudent de mettre tous ses œufs dans le même panier ? Ces questionnements doivent nous amener à nous interroger sur les chances, même infimes, qui peuvent encore exister de rétablir la confiance et les liens d’amitié avec les Émiratis. N’existe-t-il pas un moyen de régler le différend qui nous oppose à notre « ancien meilleur ami » ailleurs que devant les prétoires, de trouver un accord où les deux parties feraient un pas l’un vers l’autre afin de tourner la page du passé, et d’en écrire une nouvelle, une encore plus belle, avec les Émiratis, les Chinois, et tous ceux qui voudront se joindre à notre marche vers le développement et la lutte contre la pauvreté… Cela demandera un courage politique, de l’audace, mais également du panache pour enterrer la hache de guerre et mettre son égo de côté, mais au final cette démarche pourrait s’avérer extrêmement payante pour notre petite nation et au pire, comme on dit, « cela ne mange pas de pain d’essayer ».
Mahdi A.
[1] « L’Afrique lorgne les touristes chinois », sur le site du Monde.
Très bonne analyse mon cher Mahdi
Excellent article bien détaillé avec beaucoup de clarté cher mahdi continuez sur ce chemin, bonne continuation.
J’ai toujours apprécié la façon de rédaction de M.Mahdi. A tel est la rédaction d’un vrai professionnel. Continuer sur cette voie M.Mahdi car y a un publique qui aimerais toujours lire vos analyses votre neutralité et l’idée exacte que vous donnez sur la situation économique et politique de notre. Vraiment rien à dire bravo ! Juste continuer