Une proposition visant à rendre obligatoire le port d’une tenue uniforme au Lycée français à partir de janvier 2025 a été reçue avec inquiétude, par les élèves comme leurs parents. Qu’est ce qui explique cette suspicion ?
Le principe veut que la politique en matière d’uniforme soit déterminée librement par chaque école privée à Djibouti. Le Lycée français a ainsi présenté les uniformes qui seront obligatoires en 2025, notamment leurs couleurs et le style des pantalons, des jupes et des chemises [1].
« Nous poursuivons cette semaine les séances d’essayage dans l’ancienne salle de réunion, aménagée pour l’occasion. Je rappelle que vous trouverez sur notre site internet le descriptif visuel et les tarifs des uniformes et que le bon de commande (fichier excel protégé) sera activé dès que nous recevrons les dernières modalités de paiement du prestataire que nous vous communiquerons, dans les jours à venir. [2]. »
L’uniforme à l’école, qu’en pensez-vous ?
L’établissement invoque un sondage réalisé en ligne en 2023, auquel aurait participé un tiers des parents d’élèves, qui montre que la majorité des personnes ayant répondu soutiennent l’instauration d’un uniforme. Cette évolution demande une modification du règlement intérieur.
Nous avons interrogé deux membres du comité de gestion du Lycée. Le premier conteste la fiabilité et le sérieux de ce vote en ligne, mais plus encore sa gestion par la direction. Il pense que cette décision a été prise sans concertation avec le comité de gestion, comme pour d’autres actions de l’établissement, engageant parfois des millions d’euros, qui ne sont présentées au comité de gestion pour information qu’après leur mise en œuvre… Il estime cette situation invraisemblable car, selon lui, le comité n’aurait jamais donné son accord à la modification du règlement intérieur. De plus, l’AEFE aurait demandé, comme dans les autres établissement de l’organisation, le retour à une gestion associant pleinement les élus au comité de gestion. Enfin, il souligne que quatre membres du comité sur neuf, dont lui, avaient décidé de boycotter les réunions du comité de gestion tant que la direction de l’établissement ne respectait pas les statuts de l’AEFE.
Une autre membre du comité de gestion, rencontrée lundi 7 octobre, est beaucoup plus modérée. Elle précise cependant que ce sondage a été réalisé à l’initiative de la direction de l’établissement, sans concertation avec le comité de gestion, et qu’à sa suite la direction a annoncé la modification unilatérale du règlement intérieur. Concernant la crainte, exprimée par de nombreux parents, que l’instauration de l’uniforme soit une façon d’introduire l’interdiction du port du voile aux jeunes filles dans l’établissement, elle a été catégorique : « Il n’en est absolument pas question ! C’est d’ailleurs bizarre cette rumeur qui s’est propagée, beaucoup de parents sont angoissés et ne cessent de m’interpeller sur une éventuelle interdiction du voile envisagée par la direction de l’établissement à partir de janvier 2025. Je tiens à les rassurer, ce n’est pas à l’ordre du jour. »
Pourtant les parents pourraient avoir des raisons de s’inquiéter si l’on se fie à la lecture du nouveau règlement intérieur. Son chapitre V, alinéa 5.3, précise que les élèves devront se présenter au Lycée vêtus de l’uniforme scolaire dès qu’il sera officiellement déployé. Il impose aux élèves d’entrer en classe tête nue : casquette, chapeau ou tout autre type de couvre-chef sont interdits. Le foulard sera porté noué dans le cou, visage et cou découverts (type « fichu »). « Tout élève ne respectant pas ces consignes ne sera pas autorisé à pénétrer dans l’établissement ou en classe. »
Forte mobilisation des parents d’élèves
Il y a quatre ans, la direction de l’établissement avait déjà tenté d’interdire le port du voile, mais elle s’était heurtée à la forte résistance des familles qui n’avaient pas manqué de souligner ce qui pouvaient expliquer la différence de traitement entre le Lycée français de Djibouti et les établissements de l’AEFE en Arabie Saoudite ou dans les Émirats arabes unis… L’argument a semble-t-il porté puisque l’établissement avait rapidement fait marche arrière.
Les parents rencontrés ne comprennent pas pourquoi la direction de l’établissement revient sur ce sujet déjà tranché. Pour le président du Barreau de Djibouti, très remonté, « Cette décision est arbitraire, en contradiction avec les termes de la loi djiboutienne, puisque celle-ci, dans son préambule proclame que ‘’l’Islam est la religion de l’État’’ et qu’évidemment un tribunal djiboutien ne pourrait soutenir une directive d’établissement scolaire qui exige de jeunes filles musulmanes de se découvrir les cheveux pour pouvoir étudier ». Me Moktar Ghaleb ajoute qu’« au primaire, on enseigne à nos enfants les droits des enfants, le droit d’avoir des parents, le droit d’aller à l’école, de manger à sa faim, le droit d’avoir des amis, le droit d’aimer, le droit de choisir… C’est la notion de liberté que les enseignants s’évertuent à inculquer aux mômes. Au collège, on enseigne en histoire les religions, les grandes guerres, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la laïcité et donc la liberté de conscience, la liberté d’expression. La philosophie achève le cursus de l’élève sur la notion de liberté. Il suffirait de rechercher dans les armoires nos cahiers de philosophie, et l’on s’apercevra que nous parents avions pioché sur les œuvres de Descartes (liberté ou indifférence), Spinoza et l’illusion du libre arbitre, Kant, Sartre et la réalité humaine. Je ne comprends donc pas comment peut-on forcer un élève au port de l’uniforme s’il a choisi de ne pas ressembler à ses amis ? Elle est où la notion de liberté ? »
Rien n’empêche de demander aux tribunaux de juger la possibilité d’interdire le port du foulard aux jeunes filles musulmanes au sein de l’établissement. Dans une affaire récente au Maroc, relatée par 20 minutes, la justice locale a condamné le lycée français de Marrakech qui avait refusé de laisser entrer une élève voilée. « Le juge a estimé qu’il n’était pas compatible avec plusieurs conventions internationales ratifiées par le Maroc, à savoir la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, signée par le pays en 1970, et la Convention internationale des droits de l’enfant, signée en 1979. En outre, le fait de refuser l’accès à cette élève représente “une menace imminente pour son droit à l’éducation” d’après les propos des juges relayés par nos confrères. Il a donc donné tort au lycée français et lui a ordonné de laisser la jeune fille porter son voile si elle le souhaite. S’il ne respecte pas cette décision, l’établissement risque une amende de 500 dirhams (soit un peu plus de 47 euros) par jour [3].
Mahdi A.
Note : contacté à deux reprises par Human Village, le directeur - Bruno Lassaux - n’a pas souhaité réagir.
[1] « Uniforme scolaire », site du Lycée français de DJibouti, 6 octobre 2024.
[3] « Maroc : La justice condamne un lycée français qui avait refusé de laisser entrer une élève voilée », 20 minutes, 26 juin 2024.
Cet article met en avant le désaccord entre des parents d’élèves et la direction d’une école française à Djibouti, à propos de l’interdiction du port du voile. Les parents ne comprennent pas pourquoi ce sujet revient, alors qu’il avait déjà été tranché il y a quatre ans. Ils soulignent une incohérence, car dans d’autres pays comme l’Arabie Saoudite ou les Émirats, cette règle n’est pas appliquée de la même manière.
L’avocat, Me Moktar Ghaleb, dénonce cette décision en rappelant que la Constitution de Djibouti fait de l’Islam la religion d’État, ce qui rend difficile l’application d’une telle interdiction. Il met aussi en avant le droit des enfants à la liberté, notamment celui de porter le voile s’ils le souhaitent.
Un autre exemple est donné, celui du Maroc, où un tribunal a condamné un lycée français pour avoir refusé l’accès à une élève voilée. Ce jugement a mis en avant le droit à l’éducation et la lutte contre la discrimination.
En résumé, cet article montre les tensions autour des différences culturelles et religieuses dans les écoles françaises à l’étranger, et la difficulté de concilier ces différences avec des règles plus strictes sur la laïcité.