On connaissait Vanille Fiaux pour ses créations avec le projet du C(h)œur des femmes qui se poursuivra à Djibouti dans les mois à venir. Vanille Fiaux signe un nouveau chef d’œuvre à l’IFD. Cette fois-ci l’artiste revient sous le nom Gill Ann avec le musicien Benoît Prisset pour un « concert-comédie pop déjanté » devant un public ravi. Comédienne, metteuse en scène, auteure, on la découvre compositrice et chanteuse.
Des voix enchantées s’élèvent dans les travées de la salle de spectacle. Gill Ann vogue sur des airs électro pop, dans un décor lunaire. La musique est suave et le déhanché lascif… la langue soignée précise, le verbe ciselé : « Écart type », « Kill the cow boy », « Je suis venue te voir », « Mary me », « Chasse peur », « Lucides beaux songes », etc. Les chansons sont ponctuées d’échanges piquants, parfois même trashs, qui racontent en creux les heures capricieuses vécues entre un homme et une femme qui se tournent autour, se mettent à l’épreuve des tendresses oubliées, de l’incommunicabilité et du désir qui revient.
L’ascenseur émotionnel est très fortement sollicité dans cette relation amoureuse par moment très vache. « Belle et brillante » à un instant, la dulcinée devient à un autre « stupide et conne ». Le duo s’encre dans un décor épuré aux lumières « rose-idylle » qui tranchent avec des images noir et blanc, où se fondent une forêt, une mer de sel, les roches, la terre aride. Des espaces vierges pour rebâtir, retisser le lien « étendre ses rayons et inventer la nouvelle saison », lieu pour déposer les mélodies et les poèmes. L’amour est un absolu, c’est un bonheur lorsqu’il ne tourne pas au cauchemar. Une sensibilisation, un appel à l’amour sain ? Allez savoir !
Gill Ann délivre une partie de la réponse et laisse aussi la place à chacun d’en poursuivre l’écriture. La sortie du premier album de Gill Ann, Mnémosyne, est prévue en début d’année, alors suivons l’artiste !
Propos recueillis par Mohamed Ahmed Saleh , photo François Fougère
Ce dont on ne peut pas parler, il faut l’écrire.
Jacques Derrida.
Il y a les mots et ceux qui les portent : les dire, les chanter, il le faut. Certaines pensées ne peuvent qu’être chantées pour se faire entendre. Je suis poursuivie par cette idée et ce désir de musique. En écrivant des chansons, je sors du théâtre. Je sors du théâtre par le théâtre, où très souvent j’ai chanté dans des mises en scène. « Si tu veux me connaitre, viens vivre avec moi ».
Judith Malina
J’ai, depuis sept ans, écrit et composé des chansons en français. Je suis aujourd’hui prête à les partager, à les porter en défiant ces histoires qui sont un prolongement de moi. Des fragments de moi-même qui aujourd’hui mis en voix et confiés aux mélodies, peuvent faire poème, vivant librement de l’histoire qu’ils racontent. Tout le monde a eu une histoire d’amour déchue et des bleus à l’âme… mais ça ne fait pas une chanson, ni un roman. Il faut travailler pour quitter « la petite histoire privée », dont parle Gilles Deleuze. Voir hors de nous ce qui est en nous.
Tout cela ne me trouble pas autant que ma voix quand elle vibre hors de moi et que je pense que je ne l’ai pas créée tout en la portant comme une chose à moi. Plus que de me voir du dehors ce que les miroirs permettent tout de même, je voudrais m’écouter du dehors.
Fernando Pessoa, Le privilège des Chemins
La musique live a toujours eu une grande place dans mes créations théâtrales ainsi que le chant.
Mes projets tendent de plus en plus vers cet endroit d’incarnation dans la voix chantée et le corps musical. Le rapport à la scène et à la représentation est assez différent : il y a une incandescence dans la musique. C’est se tenir debout sans filet. C’est un miroir immédiat, une mise à nue de l’âme. La voix, sa résonance, c’est un mystère. Le chant instinctif animal : c’est dans les pieds ! La musique déniche l’émotion naïve, primitive, la même émotion que celle qui peut nous saisir devant un tableau.
Quelques fragments de nous toucheront un jour les fragments d’autrui.
Marilyn Monroe.
Partager c’est aussi oser croire que sa propre solitude pourrait rencontrer la solitude d’un(e) autre. La rencontre se situe là. On rencontre les gens quand on rencontre leur charme et leur travail. On rencontre la musique de quelqu’un. Aujourd’hui je m’accompagne de Benoit Prisset musicien dont j’ai rencontré les deux : le charme et le travail, il y a quelques années et auprès de qui j’avance en complicité. « On ne désire jamais quelque chose tout seul ».
Un concert comme « une cérémonie ». Dans l’art de raconter il y a soi avec d’autres et soi pour les autres : cette cérémonie là s’occupe du regard et de la pensée.
Vanille Fiaux – Gill Ann instagram.com/vanillegill.ann/