Je suis tombé sur une interview publiée ce dimanche 7 mai dans le Le Parisien avec l’auteur d’un livre à paraitre : Espion. 44 ans à la DGSE, dont l’auteur est désigné sous le pseudonyme de Richard Volange [1].
Cet ancien employé de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) publie cet ouvrage qui relate sa carrière au sein de cette institution très discrète de la République française. Il y décrit notamment son expérience à Djibouti, dont les conditions qui ont permis l’interpellation du terroriste Peter Cherif et son extradition à Paris en décembre 2018. Cet épisode est intéressant, car il diffère du communiqué de presse de la présidence djiboutienne publié alors, en particulier sur les conditions de l’arrestation et surtout la durée de séjour du couple sur le territoire djiboutien… Mais bon ce n’est pas l’essentiel puisqu’il était connu dans le microcosme djiboutien que le communiqué ne reflétait pas tout à fait la réalité.
La date d’arrivée de l’auteur à Djibouti a retenu mon attention : l’été 2016. À la fin de cette même année, je me trouvais à Addis Abeba lorsque des amis français, installés sur place et avec lesquels je célébrais le nouvel an, m’ont demandé comment mon gouvernement avait pu accepter que l’ancien chef d’agence de la DGSE à Addis Abeba soit devenu proviseur - ou un des responsables de l’encadrement pédagogique - du Lycée Kessel de Djibouti ? Ils se disaient scandalisés que cette personne, qui n’a jamais rien eu à voir avec l’enseignement, ait pu être casée dans un lieu aussi sensible. D’ailleurs, se demandaient-ils, était-il en poste sous couverture pour nouer des liens forts avec les parents de la future élite djiboutienne et si possible soutirer des informations, ou était-ce une façon de le remercier avec un dernier poste avant sa mise à la retraite pour services rendus à la France ?
Je n’avais pas vraiment de réponse à ces questions, d’autant plus que l’histoire me semblait de prime abord fort de café. Pourtant, leur affirmation était assurée. Ils m’ont raconté avoir participé à son pot de départ à la magnifique résidence de l’ambassadeur de France à Addis Abeba où il se vantait de sa nouvelle affectation. Ils avaient eu par la suite la confirmation de sa prise de fonction.
Puis, après réflexion, l’information en soi ne paraissait pas invraisemblable. La France était alors en perte de vitesse à Djibouti. L’ambassadeur Serge Mucetti avait été rappelé, avant le terme de sa mission, en novembre 2015, à la demande du ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahmoud Ali Youssouf. Ismail Omar Guelleh confirmait cette demande dans les colonnes de Jeune Afrique en précisant que les relations entre les deux pays ne devraient pas s’en ressentir. « Absolument. TX était sous son influence, au point que cet ambassadeur était venu me voir pour me demander de le prendre dans mon gouvernement ! Le 21 décembre, M. Mucetti s’est permis d’évacuer lui-même, dans son propre véhicule, le député et l’ancien ministre, tous deux blessés, vers l’hôpital militaire français Bouffard, puis de nous interdire l’accès à ces deux personnes. Ces derniers temps, il ne cessait de s’ingérer dans nos affaires, allant jusqu’à reprocher à l’ambassadeur de Chine l’aide que nous accorde ce pays. Il a clairement outrepassé sa fonction. […] Non. L’ambassadeur a été très vite remplacé et si nous prenions ombrage de ce type d’incident, il y a longtemps que nous serions à couteaux tirés avec Paris. Ce n’est pas le cas. » [2].
Ensuite, la Chine avait commencé la construction de sa première base militaire à l’étranger sur le site de Doraleh, en République de Djibouti. L’arrivée des forces armées chinoises à Djibouti n’était pas du goût de la France, qui n’avait pas vu venir ce renforcement des liens entre les deux pays. Pour le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, Djibouti, en s’engageant avec la Chine, risquait d’être prise dans une sorte de toile d’araignée : « Nous avions évoqué ce point dans notre rapport de l’an dernier. Nous avions indiqué alors que Djibouti serait incapable de rembourser les prêts chinois en 2019 et risquerait alors de passer sous tutelle chinoise. Le moratoire obtenu jusqu’en 2020 renvoie le problème à l’année prochaine mais celui-ci se posera de la même façon. J’ai toujours considéré que les routes de la soie étaient en fait une toile d’araignée tissée par la Chine. En 2020, Djibouti sera incapable de rembourser la Chine et la Chine aura complètement “ficelé ” Djibouti » [3].
Enfin, à ce moment les autorités françaises entreprenaient de renforcer leurs réseaux à Djibouti, par exemple en relançant les rencontres et activités associatives entre les anciens étudiants djiboutiens en France (Alumni), ou en s’appuyant sur les familles de militaires français, considérées par le même rapport de la commission des affaires étrangères comme « un très bon moyen de savoir ce qui se passe réellement à Djibouti ». Nouer des liens amicaux avec l’élite djiboutienne, qui scolarise ses enfants à Kessel, est assez facile lorsque l’on dirige l’établissement et permet donc de mieux comprendre la situation politique locale.
La question est donc la suivante : se pourrait-il que l’un des responsables de l’encadrement de l’établissement de l’époque soit l’auteur de l’ouvrage Espion. 44 ans à la DGSE ?
Mahdi A.
[1] Thimothée Boutry et Séverine Cazes, « J’ai vécu la fin de la Françafrique, et c’est peut-être pas plus mal », Le Parisien, 7 mai 2023, p. 14.
[2] Francois Soudan et Olivier Caslin, « Ismaïl Omar Guelleh : “Les Djiboutiens m’ont interdit de partir” », Jeune Afrique, 29 mars 2016.
[3] Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapport sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation du protocole entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Djibouti relatif aux compétences de la prévôté sur le territoire de la République de Djibouti, voir en ligne sur le site du Sénat.