La dernière interview du chef de l’État djiboutien, Ismaël Omar Guelle accordée à l’incontournable François Soudan, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique, publiée [1] cette semaine en plein mois sacré du ramadan 2023, est objectivement… et de loin la meilleure interview du président de la République.
J’y ai vu d’abord l’image d’un père qui lance un cri d’amour à son fils. Ce message me touche. Je le respecte et je m’y associe car tous les enfants de ce pays doivent être protégés de la vindicte et de l’ostracisme indépendamment de leurs différences. Tout père et toute mère dont l’enfant est différent (folie, handicap, orientation...) devrait agir comme le président de la République et dire tout d’abord qu’il s’agit d’un enfant d’Allah. Ces enfants ne choisissent ni leur couleur, ni leur tribu, ni leur religion, ni leur handicap.
Mesdames et messieurs, la seule chose qui doit objectivement nous différencier c’est le mérite. Ce père, c’est aussi celui qui laisse la liberté à ses deux filles de ne pas être voilées alors que l’ensemble des femmes en responsabilité dans ce pays se couvrent la tête subitement après leur nomination. L’auto-censure est plus redoutable que la censure. Par contre, j’aime beaucoup moins l’ami et le président. Je n’ai aucune inimitié personnelle contre son épouse et lui. Mais j’ai le droit de penser autrement et de ne pas aimer leurs méthodes que je juge pour le moins discriminantes, anti-productives et dépassées (Vous voyez, je peux rester poli). Issu du milieu de la police et du renseignement, l’information, l’amitié et la loyauté sont trois éléments importants. C’est d’autant plus vrai au plus haut niveau de l’État lorsque l’on a régné en maître absolu avec les pleins pouvoirs et soumis les autres contre-pouvoirs de la République. J’aime la lucidité du président en matière d’intérêts nationaux stratégiques (notamment la mise en concurrence des forces étrangères ou le développement portuaire ) ou en matière d’intérêts énergétiques (la diversification des sources)....Allez, je vais lui accorder un autre domaine auquel il tient, le social et la santé. Mais ça s’arrête là, Monsieur le président de la République. Dans votre interview, vous évoquez la dette nationale qui est grevée principalement par deux secteurs : l’eau et le train. Parlons-en Monsieur le président de la République. Qui sont les deux promoteurs de ces deux secteurs en difficulté dans votre gouvernement ? le Premier ministre et le ministre de l’économie. Ils sont peut-être utiles en politique mais ce sont de piètres gestionnaires indépendamment de leurs qualités humaines.
Regardez le projet de ce jeune entrepreneur et transitaire djiboutien qui a réalisé un formidable complexe résidentiel et hôtelier à Tadjourah avec ses propres moyens en si peu de temps et regardez le projet du complexe hôtelier de Ras Syan que vous avez confié à votre Premier ministre. Le jour et la nuit.
Monsieur le président de la République, il faut que les errements s’arrêtent un moment (excusez l’expression). Soit vous souhaitez perpétuer votre pouvoir à travers un autre cousin et vous conservez l’actuel Premier ministre. Soit vous nommez ce jeune homme entrepreneur comme Premier ministre et vous faites la promotion des jeunes qui savent mener un projet de bout en bout. Et non pas des charcharis de la fonction publique qui n’ont jamais travaillé dans le privé et qui ne savent rien de l’entreprenariat. Il faut dorénavant des gens exemplaires et intègres. Pour l’amour du ciel, arrêtez ça ! Le monde a changé. Le monde est connecté.
Monsieur le président de la République, vous êtes un fin connaisseur de la région de la Corne de l’Afrique. Je voudrais vous faire une proposition de travail puisque, dans cette interview, vous réitérez la volonté de ne pas vous représenter et de ne pas changer la Constitution. Je n’ai jamais travaillé pour vous ou sous vos ordres car je suis absent du pays depuis fin 1997 et je sais parfaitement que vous ne me nommerez jamais Premier ministre, ministre, serveur, gardien ou planton. Vous vous êtes même opposé à ma simple réintégration dans la fonction publique ou le libre exercice, dans le privé, de la profession d’avocat ou de notaire. Je ne vous en veux pas. Comme je l’ai déjà écrit vous n’aurez pas ma haine.
Alors, moi je vous propose un poste de conseiller spécial après 2026, auprès du futur président de la République que je serai inshallah. Il ne vous sera fait aucun mal et vous bénéficierez d’un statut spécial protecteur pour les anciens Premiers ministres et chefs d’État. Il sera élargi à votre famille sur le plan pénal et non civil.
Mon seul regret dans cette interview évoquant beaucoup de sujets et notamment des conflits dans la région, c’est qu’aucune allusion n’est faite sur le conflit opposant les Afars et les Issas. Je regrette fortement votre silence et votre non implication dans la paix entre ces deux communautés sœurs qui constituent les deux piliers de notre nation au moment où les extrémistes des deux bords cherchent à importer le conflit dans notre pays.
Alors, Monsieur le président de la République, je vous le dis sans ambages et sans retenue. Avec moi, il n’y aura plus de conflit entre les Afars et les Issas. Ils vivront heureux ou malheureux, de gré ou de force, ensemble et paisiblement. Ils partageront le pouvoir et la terre. Nous continuerons à fêter les naissances et à enterrer les morts ensemble. Je pense être la seule alternative au chaos qui nous menace et je ne serai jamais tribaliste ou sectaire. Par contre, je serai un peu dictateur, comme vous mais au service d’une seule et même règle : la même loi pour tous. Je demande à mes concitoyens, frères et sœurs de ce pays, quelles que soient votre communauté, votre religion, vos idées politiques, que vous m’aimiez ou pas. Il faut sortir notre pays de l’impasse, faire perdurer les acquis en imposant la justice et l’égalité entre les membres de notre communauté. Je vous demande de vous mettre en marche. Plus que trois ans pour changer l’histoire. Le système des partis et le système électif n’ont pas fonctionné. Soit les choses changent radicalement et vite. Soit c’est business as usual et alors je vous demande de vous préparer à toute éventualité. Vous connaissez mon expérience, ma connaissance des dossiers, ma modération et mon intégrité. Je n’ai aucun parti politique, je vous demande de me porter au cours de ces trois prochaines années et de vous rassembler autour de ma personne et de ce que je représente. Nidam Djibouti, c’est un mot d’ordre de rassemblement.
Je suis déterminé à changer le rendez-vous de 2026, soit par les urnes soit par les armes. Wallahi wa bilahi wa Allahou tawfiq. Ce ne sera pas le scénario qui est déjà imaginé et qui est déjà dans la rotative (imprimante) de Jeune Afrique. A bon entendeur... Jumaa mubarak.
Vive la République de Djibouti.
Allahu Akbar. Nidam Djibouti.
Abdo Block Abdou, ancien ministre des Affaires étrangères et de la coopération
[1] François Soudan, Ismaïl Omar Guelleh : « Contrairement à d’autres, Djibouti a su tourner la page de la colonisation », Jeune Afrique, 29 mars 2023.