Après le burkini, le foulard, le hijab de course, les accompagnatrices scolaires… une énième polémique liée au voile, considéré comme une manifestation islamique, attise les réseaux sociaux en France. La mèche a été allumée par un militant identitaire, Damien Rieu, qui dénonce dans un tweet une « promotion du voile islamique sur un calendrier du ministère des Armées » [1]. Il y joint la photo d’un calendrier portant le logo du ministère des Armées.
Un communiqué publié rapidement sur le compte Facebook des Forces françaises positionnées à Djibouti (FFDJ) [2], accompagné d’une photo du général Boïté à côté de Nadine Ahmed Mohamed, explique que « Nadine travaille depuis 22 ans comme comptable pour les Forces françaises à Djibouti en tant que personnel civil de recrutement local. Ses compétences et sa loyauté ont été félicitées à de nombreuses reprises. Merci à l’ensemble du personnel civil de recrutement local qui, aux côtés des armées françaises, contribue au partenariat de la France avec Djibouti ».
De son côté, le ministère français des Armées, après avoir d’abord dénoncé un « montage photo », explique ensuite que « l’idée derrière ce choix de photo visait à valoriser le personnel civil de recrutement local qui contribue de manière essentielle aux missions de nos armées sur le terrain » [3].
Une personnalité djiboutienne réagit sur cette affaire franco-française, indigné de ce double langage : « On doit être respecté chez nous sur nos valeurs et coutumes. Je voudrais dire au général Laurent Boïté chapeau bas pour avoir republié une nouvelle photo de l’employée locale figurant sur le calendrier 2023, mais cette fois-ci à ses côtés. Le message est limpide et assumé ».
La photo a été prise lors d’une cérémonie de remise de médaille à des personnes travaillant pour les FFDJ depuis de longues années, comme « Mme Neima Moumin Robleh, cuisinière civile dans les forces françaises stationnées à Djibouti, […] pour son dévouement, sa ténacité et sa rigueur au travail en présence du général de l’armée française, des officiers supérieurs ainsi que des membres du personnel civil. A cet égard, la Marseillaise a été exécutée. Lors de cette cérémonie de distinction, Mme Neima Moumin, totalisant 30 ans d’expérience à reçu la médaille Grand Or.
Le général français l’a félicitée pour sa contribution au rayonnement des FFDJ. Il a ajouté que cette distinction marque la qualité du savoir faire, de l’abnégation et de la fidélité dans son travail. Il a demandé au personnel de prendre son exemple et à persévérer dans le travail. Bravo et bonne continuation », précise un communiqué des FFDJ.
Ce message est d’autant plus bienvenue que l’incompréhension grandit entre la France et l’Afrique. Un dernier marqueur a été l’apostrophe le jeudi 3 novembre, au parlement français, du député LFI Carlos Martens Bilongo par un élu RN, Grégoire de Fournas. Le premier interpelait le gouvernement à propos d’un bateau transportant des migrants en Méditerranée. Le second a alors lancé à l’emporte-pièce : « Qu’il retourne en Afrique ! » [4]. Comment s’étonner alors que le sentiment anti-français progresse dans le continent, comme le décrit par exemple le chercheur Pascal Boniface : « La France est parmi les moins populaires dans le monde. Parce que nos débats sur notre volonté de s’enfermer, notre refus des autres, sur une vision de l’Islam caricaturée et associée trop facilement au terrorisme et à la criminalité, tout ceci est perçu par le reste du monde, et nous sommes vus comme un pays qui se replie sur lui-même et moins accueillants. Il n’est pas question de dire que la France doit être ouverte à tous les vents. Mais dans tous les cas affirmer aussi fortement le refus de l’autre, ce qui ne correspond pas à la tradition française, ce qui ne correspond pas à son histoire, à la façon dont elle s’est bâtie, et dont l’a bâti sa popularité et son prestige. Ceci nous coûte des points, on ne peut pas à la fois s’étonner du fait qu’il y a des discours de plus en plus critiques sur la France, nous sommes finalement de plus en plus rejetés. Que les gens des pays latino-américains, les africains, asiatiques, vont plutôt vers d’autres pays occidentaux que nous, et avoir ouvertement ce type de discours, et en quoi cette interpellation est digne d’un débat, ce n’est pas débat […]. Bien sûr on peut se dire que l’on s’en fout du prestige de la France, de la place de la France dans le reste du monde, mais je ne pense pas que cela soit le discours que quiconque tient à l’intérieur de l’Assemblée nationale. Et si l’on veut que la France soit toujours un pays qui soit puissant dans le monde, si l’on veut que la France soit toujours une diplomatie active et qu’elle puisse avoir un effet d’attraction, d’entrainement sur les autres pays, il faut éviter ce type de discours. Il faut éviter ces interpellations rageuses, éviter d’afficher son refus de l’autre. On ne peut pas s’étonner que tous les pays non occidentaux et particulièrement les africains, veulent se tenir loin du conflit Russie-Ukraine, n’adoptent pas notre position sur ce conflit, en voulant sanctionner la Russie, et solidaire avec l’Ukraine, si l’on dit bienvenue aux réfugiés ukrainiens, mais que l’on dit que nous ne voulons pas des refugies des autres pays. Cela se voit trop. Cela se voit trop ! On participe au déclin relatif de la place de la France. » [5].
Le moins que l’on puisse dire c’est que cette polémique sur le voile aux Forces Françaises stationnées à Djibouti tombe au plus mauvais moment. Cette communication des FFDJ visait à accompagner la venue à Djibouti du chef d’état-major des Armées, le général Thierry Burkhard. [6]. Elle est d’autant gênante, que le ministère ne l’a pas assumé de prime abord, avant de rétropédaler. Rien d’honorable dans ce procédé, sans compter qu’il intervient dans le contexte des discussions autour du renouvellement du traité de défense entre les deux pays - qui prend fin en décembre 2022. La visite du général Burkhard fait suite à celle du ministre Sébastien Lecornu le 15 septembre dernier. Le Monde explique les enjeux de ces visites : « Lors de cette visite en solo sur cette emprise stratégique – la plus grande base militaire française à l’étranger avec quelque 1 500 hommes – située dans le golfe d’Aden, non loin de l’accès à la mer Rouge, Sébastien Lecornu dit avoir fait plusieurs propositions aux autorités djiboutiennes. Un nouveau traité de défense – l’actuel date de 2011 – pourrait voir le jour début 2024 avec une révision de la clause de sécurité entre Paris et Djibouti, qui engage la France à fournir de l’assistance militaire en cas “d’agression armée”. Un projet de création d’“académie militaire interarmées” susciterait aussi l’intérêt du gouvernement djiboutien. […] Ces nouvelles académies auraient vocation à créer “l’interopérabilité de demain” entre militaires africains et français, aussi bien en termes relationnels qu’opérationnels. Les discussions avec Abidjan et Djibouti pourraient préfigurer une “nouvelle génération d’accords de défense”, estime M. Lecornu, alors que la dernière vague d’accords entre Paris et plusieurs pays d’Afrique remonte au début des années 2010.Tous ces projets sont censés s’inscrire dans une vaste refonte de la coopération militaire à la française [7]. ».
La France veut repenser sa présence en Afrique au moment où un sentiment anti-français prend de l’ampleur sur le continent. Cela demande sans doute de se défaire de l’image qui lui colle à la peau d’un « empire qui ne veut pas mourir », et c’est loin d’être gagné. Pour cela elle devra changer de paradigme, c’est-à-dire combattre les « préjugés et les idées reçues qui ont la vie dure en France » comme l’affirme Michaëlle Jean [8]. Probablement pas une mince affaire dans un pays qui vient d’élire 89 députés d’extrême droite. En tout cas, dans cette politique de séduction à l’égard de Djibouti, le général Laurent Boïté est sans doute un des atouts les plus remarquables de la France à Djibouti pour son rayonnement. Son professionnalisme, et sa courtoisie semblent faire mouche auprès des Djiboutiens qui l’ont rencontré, officiels comme citoyens.
Mahdi A.
[2] Voir en ligne sur Facobook.
[3] « Femme voilée dans un calendrier des Armées : un général français répond à l’extrême droite », Libération, 10 novembre 2022.
[5] « Qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ! ». Quel impact sur l’image de la France ? », You Tube, 5 novembre 2022.
[6] Reçu hier, lundi 14, par le chef de l’État.
[7] Elise Vincent, « La France face au défi de redéfinir ses ambitions militaires en Afrique », Le Monde, 5 octobre 2022.
[8] Michaëlle Jean, « Entre la France et la francophonie, le malentendu », Le Monde Diplomatique, novembre 2022