Human Village - information autrement
 
Vers un report des élections régionales et communales ?
par Mahdi A., janvier 2022 (Human Village 44).
 

Après le reste du monde, le développement du Covid à Djibouti devrait aussi bouleverser le calendrier électoral.
Selon nos informations, Ismail Omar Guelleh étudie depuis plusieurs mois la possibilité d’organiser les quatrième élections régionales et communales, qui devraient se tenir le 25 février 2022, en même temps que les élections législatives en février 2023. Cette décision – si elle était confirmée – serait motivée principalement par deux raisons : endiguer la propagation du Covid-19 afin de protéger la population du variant Omicron, et des finances de l’État au plus bas. Bref, les caisses seraient vides et se porteraient mieux si les élections étaient regroupées… D’une pierre deux coups donc !

Ismail Omar Guelleh est-il légalement autorisé à décaler la date du scrutin des élections locales ?
Oui, il en a la pleine autorité. La décision politique de reporter le scrutin ne demande même pas à être soumise à l’autorisation des élus nationaux. Elle s’inscrit dans les prorogatives du chef de l’État, autorisé à initier le report des élections locales par la promulgation d’un décret dans l’intention de les faire coïncider avec la tenue des élections législatives conformément aux dispositions de l’article 9 de la loi portant sur le statut de la ville de Djibouti :
« Article 9 : Les Conseillers communaux sont élus pour cinq (5) ans. Les élus sortant sont rééligibles. Sauf cas de dissolution, les élections locales ont lieu dans les trente (30) jours qui précèdent l’expiration de la cinquième année après la date du dernier scrutin de renouvellement général des Conseillers.
Toutefois, un décret présidentiel peut faire coïncider le renouvellement des conseillers communaux avec les élections législatives
 » [1].

Les candidats de l’opposition qui trépignent d’impatience de se confronter au gouvernement a l’occasion de ce scrutin qui devrait se tenir fin février, devront probablement patienter encore douze mois pour ce duel électoral. Ils restent tributaires des arbitrages de l’exécutif, qui doit déclarer officiellement d’ici peu le report ou le maintien des élections régionales et communales.
Les atermoiements du gouvernement sur le sort des régionales et communales seraient suspendus à la trajectoire des courbes épidémiques, celles-ci doivent s’envoler si le gouvernement entend se saisir de cet argument pour convaincre de la nécessite de reporter de douze mois pour protéger la population des risques de la maladie.

Comme le gouvernement ne tient particulièrement à donner l’impression d’utiliser les difficultés financières actuelles ou la pandémie comme prétextes pour limiter les libertés fondamentales, et opportunément déplacer les élections pour des raisons électoralistes, on ne manquera pas de noter les éléments de langage distillés par Jeune Afrique, sous la belle plume du duettiste du gouvernement djiboutien, Olivier Caslin, qui rappelle dans la parution du 17 janvier 2022 [2], qu’« on ne change pas une formule qui gagne, et, pour s’assurer un cinquième quinquennat d’affilée, le président djiboutien a simplement proposé à ses compatriotes de “continuer ensemble” » [3]. Ismail Omar Guelleh a été réélu en avril 2021 avec 97,30% des suffrages exprimés au premier tour, plébiscité par sa population dans un contexte « [d]’absence de véritables adversaires lors de ce scrutin, l’opposition officielle ayant décidé cette fois de passer son tour ». La description du panorama de la situation politique sous la plume complaisante de Jeune Afrique a le mérite d’apporter du grain à moudre pour décrédibiliser le cas échéant les éventuels cris d’orfraie de citoyens engagés qui s’insurgeraient, voire dénonceraient dans les médias internationaux ou sur les réseaux des tripatouillages électoraux visant à légitimer la désertion du combat dans les urnes.

Il n’est pas irrationnel de penser que ce serait aussi un choix politique qui pourrait avantager les élus locaux de la majorité qui ambitionnent de se représenter. Une prolongation de leur mandat de douze mois leur permettrait de gonfler un bilan bien maigre pour l’heure, particulièrement à Djibouti-ville. Alors que les fonds alloués dans le cadre du projet ADIL de l’Union européenne (12 millions d’euros ciblés sur les cinq régions de l’intérieur) et le PROGOUV financé par l’AFD, doté de 8 millions d’euros pour appuyer la décentralisation et à la gouvernance publique de Djibouti-ville [4], viennent à peine de délier leurs bourses pour la mise en œuvre des activités arbitrées. A y regarder de plus près, quoi de surprenant ? Après avoir mené une importante campagne de mobilisation de ressources extérieures pour le développement des régions, appuyée efficacement par un plaidoyer gouvernemental de qualité, ces élus locaux espèrent que le chef de l’État leur concèdera un temps supplémentaire pour faire reluire leur bilan et se présenter devant les électeurs en février 2023 la tête un peu plus haute.

Pirouette ou pas, il faut dire que c’est une prérogative de l’exécutif de reporter les élections locales pour les faire coïncider avec les législatives. C’est son droit discrétionnaire que l’on le veuille ou non. Peu importe le motif invoqué, garantir la sécurité sanitaire, ou des raisons de bonne gestion des finances de l’État, le président de la République n’a à se justifier auprès de quiconque. Telle est du moins la loi que les élus nationaux ont adoptée.
Le gouvernement pourrait, si d’aventure cette décision se confirmait, l’adopter lors du conseil des ministres du mardi 25 janvier. Il ne faut plus tarder, l’aiguille de l’horloge tourne, il ne reste qu’une poignée de jours pour rétropédaler si nécessaire, puisque la loi portant sur la décentralisation et statut des régions de 2002, stipule que dans son article 22 « les déclarations de candidatures sont déposées au plus tard à midi le 5e samedi qui précède le scrutin. Il en est donné récépissé provisoire » [5]. Les délais légaux pour agir dans les clous se réduisent comme peau de chagrin, et correspondent au samedi 28 janvier 2022.
Ismail Omar Guelleh ne devrait pas à avoir en rougir le cas échéant, il ne sera pas le premier en temps de Covid à avoir pris ce chemin si l’on en croit les informations du rapport publié par l’Institut international pour la démocratie (IDEA), le 14 janvier dernier, qui signale qu’entre le 21 février 2020 au 31 décembre 2021, « au moins 80 pays et territoires à travers le monde ont décidé de reporter des élections nationales et supranationales en raison de la COVID-19, dont au moins 42 pays et territoires ont décidé de reporter des élections et référendums nationaux » [6]
En Afrique c’est le cas du Botswana, Tchad, Éthiopie, Gabon, Gambie, Kenya, Liberia, Libye, Niger, Nigeria, Rwanda, Somalie, Afrique du Sud, Tunisie, Ouganda, Zimbabwe, Saõ Tome et Principe

Pour le verdict, élections locales maintenues ou reportées, il faut patienter encore quelques jours.

Mahdi A.

Ajout du 24 janvier : par un décret du 23 janvier, le président de la République a prolongé le mandat des conseillers régionaux et communaux du 27 février au 11 avril 2022. Les élections auront lieu les 11 mars et 1er avril 2022.


[2Olivier Caslin,Djibouti : à l’abri des turbulences, IOG peut-il « finir le travail », Jeune Afrique, 17 janvier 2022

[3Slogan tiré de la campagne présidentielle de la série créée par David Guggenheim, avec Tom Kirkman, Designated Survivor, saison 3 épisode 4.

[6« Global Overview of Covid-19 impact on elections », IDEA, 14 janvier 2022.

 
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