Le ministre de la Santé, Mohamed Warsama Dirieh, est un homme d’un abord facile. Il ne roule pas des mécaniques pour amuser la galerie ou satisfaire son ego. Il se dit passionné par sa mission, et compare l’engagement nécessaire à sa tâche à celui dévolu d’ordinaire au sacerdoce... C’est dire le poids des responsabilités et de la charge qui lui incombe. Sollicité pour revenir dans nos colonnes sur la pandémie de Covid-19, et plus particulièrement la gestion par le département ministériel qu’il dirige pour endiguer la propagation du virus, il a répondu spontanément par l’affirmative. C’est plutôt rare pour être souligné.
Son bilan parait plutôt flatteur si l’on se fie aux commentaires formulés par Ahmed Zouiten, représentant résident de l’OMS à Djibouti, qui a salué la qualité de la mobilisation nationale contre la pandémie, allant jusqu’à affirmer « qu’une des meilleures réponses au monde est faite sur cette terre ».
Les indicateurs parlent d’eux-mêmes : Djibouti « a le plus haut taux de tests par population de toute l’Afrique et on n’est pas loin d’être dans les trois ou quatre premiers au niveau mondial. Une des meilleures réponses au monde est faite sur cette terre. On a vu une nation qui est partie d’une capacité presque inexistante dans la riposte à un virus, à une nation qui a pu gérer ses patients, qui a pu gérer l’épidémie d’une façon vraiment exemplaire. On a vu un gouvernement qui a travaillé avec la communauté, pour essayer vraiment de limiter le nombre de cas. Et pour ceux qui sont contaminés, de les traiter autant que faire se peut. Franchement je suis fier de faire partie de cette réponse. Je suis fier de voir comme le gouvernement a été très réactif depuis le début », déclarait Ahmed Zouiten dans un entretien exclusif accordé en mai 2020 à Buuti.tv.
La réception de plusieurs centaines de milliers de vaccins ces derniers jours laisse penser que les indicateurs ne connaitront pas de dégradation. Le pari clairement affiché par le ministre de vacciner 70% de la population avant la fin de l’année pour atteindre l’immunité collective, est à portée de main. De là à lui valoir reconnaissance et donc renouvellement de la confiance du candidat à la présidentielle probablement réélu, Ismail Omar Guelleh, dans la foulée du scrutin du 9 avril, il n’y a qu’un pas… L’avenir nous dira ce qu’il en est, puisque, comme chacun le sait, les voies du seigneur sont impénétrables !
Que pouvez-vous nous dire sur la gestion de la pandémie en République de Djibouti ?
En décembre 2019, soit, il y a un peu plus d’un an, une nouvelle forme de coronavirus a fait son apparition en Chine. Immédiatement, le gouvernement de Djibouti, en particulier le ministère de la Santé, a pris en considération cette annonce. À cette époque, l’idée était d’éviter l’entrée du virus sur notre territoire. Nous avons tenu des réunions en ce sens avec l’ensemble des professionnels de la santé et les partenaires qui nous accompagnent dans la gestion des pathologies et tout ce qui concerne les nouvelles maladies. Le premier dispositif mis en place concernait l’aéroport de Djibouti, avec la vérification de la température de tous les passagers entrants. À ce moment-là, les connaissances sur le nouveau coronavirus étaient limitées. Très vite, le virus s’est propagé à l’échelle mondiale et l’OMS n’a pas tardé à qualifier la flambée d’urgence de santé publique internationale. Dès cet instant, nous avons mis en place un dispositif renforcé pour éviter autant que possible son introduction dans notre pays, et faire face à l’éventualité où un cas serait déclaré.
Avant même l’apparition du virus sur notre territoire, le ministère de la santé a entrepris de nombreuses démarches, notamment la création d’un comité scientifique et d’un comité de recherche sur la littérature et les informations relatives à cette maladie. En étroite collaboration avec nos partenaires, notamment l’OMS, nous avons évalué notre capacité de faire face à l’éventuelle apparition du virus. Force était de constater le peu d’informations et d’éléments scientifiques sur le coronavirus mais aussi notre insuffisance de moyens à y faire face à ce moment-là, en particulier l’absence d’un laboratoire d’analyses. Nous avons mené une réflexion pour la mise en place d’une stratégie d’orientation et des dispositifs nécessaires en cas de détection d’un cas à Djibouti. Il s’en est suivi la préparation d’un plan de riposte au Covid-19 réalisé avec toutes les compétences disponibles : le corps médical, le comité scientifique, les personnes ressources de différents départements ministériels et les partenaires.
Au début, aucun partenaire ne nous a appuyé. Que ce soient les réunions des task-forces constituées ou l’élaboration du plan, tout a été réalisé et financé par le budget national. Ce plan de riposte multisectoriel, par la suite validé et unanimement salué par la communauté internationale, regroupait un grand nombre d’informations comme par exemple le protocole de prise en charge, l’administration des médicaments, etc. Dans la foulée, nous avons aussi adopté un plan de communication, avec les étapes à suivre pour informer et convaincre la population, et les différents intervenants, surtout ceux qui communiquaient à travers la télévision.
Il y a aussi le confinement qui a été mis en place en même temps
Le confinement a été instauré un peu plus tard. En amont, nous avons commencé l’exécution progressive du plan en créant dans un premier temps plusieurs sites de quarantaine et un site de prise en charge pour accueillir des personnes malades. Nous avons dû réhabiliter le site de Bouffard, qui était à l’époque abandonné et délabré, en procédant à des travaux d’urgence. Je profite de l’occasion pour remercier les éléments de la police, les militaires et l’ensemble des corps constitués qui ont prêté main forte aux personnels de santé pour rénover le site de Bouffard en un temps record. Au début, Bouffard servait simultanément de quarantaine et de prise en charge. C’est par la suite que nous avons créé d’autres sites de quarantaine, à PK12, à PK13, et à Gabode 4. Dans la même optique, nous avons également mis en place des dispositifs de contrôle aux frontières pour les personnes entrant en République de Djibouti.
En outre, avant même la détection du premier cas à Djibouti, nous avons travaillé à la mise en place d’un laboratoire, suite aux recommandations du comité scientifique qui a jugé difficile le transport des échantillons jusqu’en Afrique du sud. C’est ainsi qu’en peu de temps, nous nous sommes donné les moyens de mettre sur pied un laboratoire digne de ce nom.
En l’espace de cinq jours, c’est ça ?
En sept jours exactement, nous avons dû réhabiliter les locaux, trouver les équipements nécessaires, mettre en place un personnel qualifié, bref créer complètement un laboratoire.
Une seule machine PCR était disponible à l’époque.
Et vous disposiez des compétences nécessaires ?
Absolument, et nous nous sommes appuyés uniquement sur des compétences djiboutiennes. Bien avant l’apparition du premier cas à Djibouti, nous avions conduit un exercice de simulation pour vérifier l’efficacité des dispositifs mis en place, de l’aéroport jusqu’au site de Bouffard. Nos différents partenaires (OMS, UNICEF, Banque mondiale, etc.) ont participé à cet exercice, qui s’est avéré fort utile pour tester notre capacité à faire face au virus. C’était aussi l’occasion de corriger les lacunes constatées.
Vous disposiez de tous les moyens matériels (véhicules, ambulances, etc.) à ce moment-là ?
Tout à fait, nous disposions de tous les moyens matériels pour mener l’exercice. Toute la prise en charge s’est faite sur le budget national et sous le leadership du chef de l’État.
Qu’en est-il du niveau de stress ressenti durant cette période ? Sans compter l’incertitude qui accompagne l’impact du virus en cas d’apparition ?
Je vous laisse deviner. Le stress était permanent, mais nous restions confiants en pariant sur les compétences nationales. Et lorsque les premiers cas sont apparus, c’était des cas importés, en l’occurrence un français et un turc.
Le premier cas n’était-il pas espagnol ?
Effectivement, mais il s’agissait d’un militaire espagnol qui, aussitôt atterri, a été rapatrié en France. Il n’a eu aucun contact avec la population locale. Donc lorsque les deux premiers cas concrets ont été détectés, nous avions déjà les compétences nécessaires pour tester la personne, poser le diagnostic et la mettre en quarantaine si le résultat s’avérait positif. Nous avions mis en place un circuit complet pour détecter le virus dès l’aéroport, transporter les cas positifs dans une ambulance dédiée jusqu’au site de Bouffard pour activer le protocole de prise en charge du patient tel que défini dans le plan de riposte national (entre autres les modalités d’administration des médicaments). Parallèlement, un travail colossal a été effectué pour compléter la logistique du site (achats de matelas, frigos, climatiseurs, etc.).
Vous dormiez à peine quelques heures pendant ce temps là
À vrai dire, je n’ai pratiquement pas fermé l’œil pendant deux mois. Nous avons créé cinq sites équipés pour riposter contre le virus.
Vous est-il arrivé de craindre que la pandémie dépasse les capacités nationales ?
Il suffit de voir comment l’apparition de ce virus a bouleversé le monde entier et la vie ordinaire. Il était impossible de ne pas être stressé, que ce soit la population ou les professionnels de santé, y compris moi. Heureusement, je pouvais compter sur le soutien indéfectible du président de la République qui chapeautait ce problème d’ordre national. Je me rappelle encore combien le chef de l’État martelait, à chaque conseil des ministres, de suivre scrupuleusement la stratégie des 3 T : Tester, Tracer et Traiter. Le président appelait régulièrement, parfois tard dans la nuit, pour s’enquérir de la situation, discuter des mesures à prendre, les ajuster etc.
Comment avez-vous fait pour faire accepter le confinement à la population ?
Je vous avoue que la question du confinement a posé un problème délicat, que nous avons surmonté grâce à une communication pertinente en direction de la population. Presque quotidiennement, via le canal de la télévision/radio, une campagne de sensibilisation informait la population de la gravité de la situation. Le confinement s’est rapidement imposé comme la seule solution et la population a été en mesure de comprendre que cette contrainte était une mesure exceptionnelle et nécessaire pour limiter la propagation du virus. La mise en place du confinement en lui-même a été une opération complexe, qui a mobilisé beaucoup de moyens de l’État : protéger la population, la surveiller et porter assistance aux plus vulnérables, etc. Le concours de la police, de la gendarmerie et de l’ensemble des corps constitués, a été déterminant dans la réussite de cette opération d’envergure. Tous ces acteurs devaient en même temps veiller à leur propre sécurité avec le port du masque et les autres mesures barrière.
À propos des masques, au début il a été difficile de s’en procurer
Oui, comme partout ailleurs il y a eu des ruptures, mais de moindre degré chez nous. Par rapport à d’autres pays, nous n’avons pas eu de rupture des médicaments et des consommables.
Peut-on dire que dans cette configuration de pandémie, cela a été un atout d’avoir une petite population
Certes c’est un atout, mais il faut reconnaître que c’est la gestion efficiente mais surtout proactive que nous avons adoptée, qui a été déterminante. En effet, dès le mois de décembre 2020 nous avions anticipé l’arrivée du virus en achetant tous les produits de santé : les médicaments, les consommables, les réactifs et les équipements nécessaires pour faire face. Nous avions fait les commandes en nous donnant des marges, à savoir que pour une commande d’un mois, il fallait s’y prendre trois mois à l’avance.
Aujourd’hui, soit un an après l’apparition du virus sur notre territoire, êtes-vous satisfait du travail accompli ? Ressentez-vous une certaine fierté d’avoir relevé le challenge ?
Cela a véritablement été un effort collectif, je pense que le sentiment de satisfaction est commun à tous, c’était un défi à relever ensemble et nous l’avons fait. Cependant, le chemin est encore long, nous en sommes conscient.
Au jour d’aujourd’hui, votre objectif est de passer à la seconde étape qui est celle de la prévention, autrement dit les vaccins.
Le vaccin est un moyen de prévention, et depuis la réception des lots de vaccins, j’avoue qu’une grosse pression est retombée.
Est-ce qu’il y a une utilité à vacciner une population très majoritairement asymptomatique comme la nôtre ? On peut dire aussi que c’est une exception si l’on regarde l’impact dévastateur du virus sur d’autres cieux, comme la France ou d’autres pays d’Europe, ou encore l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Sénégal, l’Éthiopie. Comment pouvez-vous expliquer ce faible impact du virus sur la population djiboutienne ?
Le fait que 80% de notre population soit composée de jeunes est sans doute un facteur clé qui a pu atténuer l’impact de l’épidémie chez nous. Ceci dit, d’autres pays qui ont les mêmes caractéristiques que Djibouti, à savoir une population jeune, ont souffert du virus. Je dirais que le facteur déterminant a été le plan de riposte national. Par ailleurs, la gestion des clusters a été efficace et surtout le dépistage massif mis en place dès l’apparition des premiers cas. Environ 40% de la population a été soumise au test de dépistage. De là, nous avons pu constater que les clusters se concentrent dans des foyers que nous avons immédiatement isolés.
Il faut dire qu’en comparaison la France a échoué sur la gestion des clusters
Pour notre part, dès l’apparition du virus, nous avons adopté une stratégie différente. Autrement dit, la méthode des 3T qui s’est révélée efficace. Celle-ci consiste à tester, tracer et traiter. Nous avons mis l’accent sur le traçage des personnes testées positives en procédant à des cercles, c’est-à-dire tester d’abord son cercle familial puis son entourage immédiat, les autres personnes avec qui elle aurait été en contact, etc. Le choix de cette méthode, mais plus largement l’exécution du plan national de riposte et la mise à disposition du personnel médical et de tous les moyens nécessaires (ambulances, tests de dépistage, etc.), la conjonction de tous ces efforts a permis de circonscrire la propagation du virus. Pour résumer, nous sommes un petit pays mais qui a exécuté un travail remarquable en amont avant même l’apparition du virus et qui a tout mis en œuvre pour endiguer son extension ou son impact.
Est-ce qu’on peut dire que le personnel médical a été engagé dès le départ à vos côtés ?
Comment vous dire… Les mots me manquent pour saluer ou rendre hommage au travail colossal réalisé par le personnel médical. L’ensemble du personnel soignant s’est mobilisé corps et âme et a travaillé jour et nuit, sans relâche.
Si je ne me trompe pas, la rémunération du personnel soignant a été revue à la hausse par un décret. Une sorte de reconnaissance financière consentie par le gouvernement.
Pour l’ensemble du personnel soignant, il y a eu une augmentation de 100 points d’indice, pour les aides-soignants, leur salaire a été rehaussé de deux catégories. Ce geste a été décidé par le chef de l’État qui a tenu à revaloriser les rémunérations du personnel qui s’est engagé dans la lutte contre le Covid-19. Pour ma part, depuis l’arrivée des vaccins je réfléchis personnellement à la façon de récompenser les professionnels de santé qui ont travaillé avec moi, que ce soit les médecins ou les membres du comité scientifique. Je sais que nous avons été critiqués pour ne pas avoir décoré le personnel soignant en première ligne, mais nous attendions seulement le bon moment pour attribuer cette récompense symbolique après l’arrivée des vaccins et une fois qu’environ 50% de la population serait vaccinée.
Quelle proportion de la population projetez-vous de vacciner cette année ?
Pour le moment, nous prévoyons de vacciner 70% de la population, en plusieurs phases. Dans une première phase, il y aura le personnel de santé avec des problèmes de comorbidité, suivi des personnes âgées de plus de 50 ans qui ont également des problèmes de comorbidité, ensuite les personnes âgées de plus de 50 ans mais sans problèmes de santé. Bref, un protocole a été établi en ce sens.
Le premier arrivage est le vaccin AstraZeneca. Il y a une polémique par rapport à ce vaccin et sa dangerosité, qu’en pensez-vous ?
Oui, le vaccin reçu est celui d’AstraZeneca, et d’après les informations en ma possession, il s’agit d’un vaccin sûr et efficace. Par ailleurs, Djibouti a fait le choix de trois vaccins, l’AstraZeneca britannique, le Sinovac chinois et le Spoutnik V russe. Nous avons réceptionné le 6 mars les premières doses d’AstraZeneca, soit 24 000. Elles nous ont permis d’activer le démarrage de la campagne de vaccination. Le 18 mars, nous avons reçu 300 000 doses du CoronaVac de la société chinoise Sinovac. Vous savez, notre choix s’est porté sur ces trois vaccins parce qu’ils n’ont pas d’effets secondaires importants et ont été produits avec des virus inactivés. C’est le même procédé que le vaccin contre la grippe. La stratégie vaccinale vise à préciser les modalités de mise en œuvre de la campagne de vaccination, de déterminer les personnes prioritaires pour la vaccination, en fonction des enjeux de santé publique et de l’arrivée progressive des doses de vaccins. Cette campagne de vaccination est financée grâce au budget national avec le concours et le soutien constant du président de la République.
La création d’une commission nationale chargée de l’introduction et du déploiement du vaccin Covid-19 en est illustration. Sa mission est triple. Il s’agit d’édicter les normes éthiques et la réglementation nécessaire pour un déploiement vaccinal efficace et efficient. La seconde mission est de contrôler les effets secondaires et d’effectuer la pharmacovigilance des vaccins. Enfin, la mise en œuvre du calendrier vaccinal nécessite une logistique et un conditionnement rigoureux.
Nous avons établi un plan d’accompagnement et de communication qui comporte la formation du personnel soignant, la répartition géographique des sites de vaccination et l’information sur le nombre de personnes vaccinées.
J’aimerais souligner que cette stratégie nationale est le fruit du sérieux et de la compétence technique du personnel d’encadrement du ministère de la santé, du comité scientifique composé uniquement d’experts nationaux et essentiellement de l’engagement et du dévouement du personnel soignant.
Depuis l’arrivée des premiers lots de vaccin anti-Covid, nous nous sentons soulagés. Nous disposons pour cela d’un lieu de stockage unique. Il n’y a aucune difficulté, car la température de stockage est comprise entre +2 et +8 degrés Celsius.
Est-ce que vous vous sentez confiant quant à la réponse de la population sur la campagne de vaccination ?
Certainement, cela dépendra beaucoup de la communication. Des personnalités politiques de haut rang ont montré l’exemple. Le chef de l’État et la Première dame ont été parmi les premiers à se faire vacciner, et ce pour rassurer et encourager notre population à faire de même. Je l’ai naturellement fait ainsi que de nombreux collègues ministres. La campagne de vaccination se déroule actuellement dans de bonnes conditions. Il n’y a pas de difficulté majeure à signaler. Nous espérons que nos concitoyens continueront d’y répondre positivement.
Cette campagne gratuite sera progressive et profitera aux plus vulnérables car ils veulent travailler, circuler et se déplacer. Un carnet vaccinal sera mis en place pour voyager.
Que de péripéties au cours de cette année écoulée, notre système hospitalier a été mis à rude épreuve. Aujoud’hui, êtes-vous un ministre optimiste ?
Vous me donnez l’occasion de revenir plus en détails sur les nombreux défis sanitaires auxquels le ministère de la santé a été confronté depuis ma nomination.
Nous avons géré des crises sanitaires successives de paludisme, chikungunya, dengue, nous avons ensuite eu des inondations qui ont exacerbé les risques de maladies liées à l’eau avant l’apparition des premiers cas de SARS-CoV-2 à Djibouti.
Notre première préoccupation était axée sur les maladies vectorielles liées aux fortes précipitations. Rapidement, nous avons mis en place de petites unités de ripostes sanitaires dans les secteurs les plus touchés comme Q7.
Nous avons hâtivement mobilisé les médicaments, le personnel médical et les ambulances pour la prise en charge des plus vulnérables. Un travail énorme a été fourni. C’est un ministère social.
Vous paraissez modeste. Avez-vous le sentiment d’avoir été l’homme de la situation ?
J’ai une longue expérience dans l’administration publique et j’ai compris au cours de ma carrière que diriger ce n’est pas dominer, c’est plutôt savoir persuader les autres de travailler pour atteindre un objectif commun.
J’ai réussi à composer avec tout le monde. Les scientifiques donnent des recommandations pertinentes pour éclairer la décision politique. Ils ont collaboré et contribué à la formulation de la stratégie nationale de lutte contre la propagation du Covid-19.
Pour prendre la décision la plus pertinente, il m’est apparu nécessaire de fédérer autour du plan de riposte toutes les forces vives du ministère pour concrétiser la vision du chef de l’État sur le plan national.
Le maître mot est de savoir écouter tout le monde avec respect avant de décider, pour choisir la proposition la plus pertinente dans l’intérêt du pays. C’est la meilleure méthode de gestion de la crise sanitaire.
Ce fut une année charnière marquée par une crise sans précédent où nous avons pu mener de front une lutte acharnée contre la Covid-19, et les autres programmes du ministère de la santé.
A travers le Plan national du développement sanitaire (PNDS 2020-2024), qui accorde une place prépondérante à l’amélioration de l’offre de soins à tous les niveaux de la pyramide sanitaire, du centre de santé primaire en passant par les polycliniques (niveau intermédiaire nouvellement créé), aux hôpitaux qui constituent le troisième niveau de la pyramide.
Vous avez mis l’accent sur le renforcement des capacités des polycliniques et l’innovation. Que vise cette stratégie ?
Les hôpitaux sont engorgés et les temps d’attente pour les patients s’allongent dramatiquement. Or, tous les patients qui se présentent aux hôpitaux n’ont pas forcément besoin d’être soignés à l’hôpital. Les polycliniques, situées dans des emplacements stratégiques pour la population, ont été remodelées, conçues comme des sortes d’hôpitaux de proximité. On s’est fixé comme objectif de rehausser les polycliniques, c’est le deuxième niveau, intermédiaire entre les centres de santé et les hôpitaux, pour libérer de la place dans les grands centres. Nous avons donc mis l’accent sur le niveau intermédiaire car c’est lui qui véritablement permet de désengorger les grands hôpitaux qui sont saturés. Ces centres hospitaliers traitent en moyenne 400 patients quotidiens. Ils sont complètement saturés. Il devenait difficile de gérer le flux. C’est la raison pour laquelle le chef de l’État avait donné comme instruction de rehausser les plateaux techniques des polycliniques et de mettre en place des soins intermédiaires, entre les soins de base et les soins prodigués par les hôpitaux. On a mobilisé tous les moyens nécessaires, réhabilité et équipé les lieux convenablement. Prenons l’exemple de la polyclinique de Balbala, dans le quartier de Hayabley. Elle dispose de stomatologie, de dentiste, radiologie, d’un performant service d’accouchement pourvu d’un service de néonatologie. Je tiens à ajouter que c’est une première en République de Djibouti, notre pays en était dépourvu. Cette offre alternative de prise en charge de qualité va permettre de soulager considérablement le service hospitalier de Balbala-Cheiko et servir de véritable poumon pour l’hôpital du secteur. C’est un changement de cap énorme. Il s’inscrit dans la transformation du système de santé voulue par le président de la République.
Par ailleurs je veux souligner que notre pays vient de renforcer ses équipements de mammographie, avec l’acquisition récente d’un appareil de dernière génération de prévention du cancer du sein. Pareillement nous inaugurerons très prochainement en présence du chef de l’État un service de cardiologie interventionnelle à Peltier. Ce nouveau service est déjà opérationnel, et compte déjà quatre opérations toutes réussies pour déboucher des artères au niveau du cœur. Il faut savoir que ce type de soin n’était jusqu’à présent disponible sur le territoire qu’à l’hôpital privé Al Rahma, et à l’hôpital militaire soudanais.
Lorsque je regarde dans le rétroviseur je me rends compte du chemin parcouru. On a fait avec mes équipes énormément de choses tout au long de cette année écoulée.
Un premier constat est la nécessité de renforcer nos politiques de prévention sanitaire et d’améliorer nos moyens de suivi épidémiologique. Sur ce dernier point, un travail important d’information a été réalisé, avec un recueil des données détaillées sur les hospitalisations et les admissions par exemple. Il reste des faiblesses, il s’agit de remontées d’informations s’avérant partielles. Il faut piloter la riposte au plus près et anticiper les moyens à mobiliser pour une meilleure vigilance sanitaire. Par exemple, à Tadjourah on pourrait constater un pic des problèmes oculaires, à Ali Sabieh des problèmes de pneumologie, etc. In fine, on obtiendra un panorama de l’ensemble des pathologies de chacune des régions et nous pourrons ainsi réagir en amont, élaborer une riposte sanitaire, stratégique, réfléchie et pertinente
Dans le même ordre d’idées, nous sommes en phase finale de la numérisation du ministère de la santé. Nous avons mis en place une plateforme informatique qui gère l’ensemble des données sanitaires. Prenons l’exemple de deux accouchements réalisés à Balho hier matin. Nous avons été immédiatement informés des actes pratiqués par le personnel de santé. Je peux vous citer encore l’exemple d’un malade dont le médecin sur place n’arrive pas à diagnostiquer la maladie. Il a la possibilité dorénavant de contacter un collègue de Tadjourah par visio-conférence, voire même un spécialiste à Djibouti pour les cas plus difficiles qui pourraient nécessiter éventuellement une évacuation sur Djibouti. Grâce à l’outil informatique, on veut accompagner notre personnel, ne pas le laisser seul en cas de difficulté à se prononcer sur un avis médical à donner. Nous sommes très satisfaits, le retour d’expérience est très positif.
Vous semblez fier de votre bilan ? Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour après avril 2021 ?
C’est un travail collégial et je suis fier de l’avoir coordonné avec l’appui du chef de l’État. Durant la période Covid nous étions en contact jour et nuit à travers des réunions en visio-conférence.
Toutes les décisions importantes prises durant cette période de pandémie ont été prises en concertation avec le chef de l’État, il a mobilisé tous les moyens nécessaires
C’est une personnalité sans égale, qui aime son pays et qui, je peux le dire, a sauvé le pays des conséquences désastreuses de la pandémie. Le confinement c’est lui. C’est à lui qu’on le doit cette mesure préventive et de protection de mise à l’abri de la population. Cette décision difficile appartient au chef de l’État, il n’a pas hésité à monter en première ligne s’en expliquer à la télévision pour en informer, mais surtout défendre son choix, devant la nation. Je peux vous assurer que son soutien a été constant.
Pour ma part, je resterai mobilisé où je serai appelé à servir. Œuvrer dans ce département aura été une belle mission. On se lève le matin avec l’envie d’accomplir des choses pour ses concitoyens. Soulager une personne en souffrance, c’est une action dont on peut être fier, n’est-ce pas la plus belle des missions ? Ce ministère a besoin de personnes qui s’y consacrent par vocation, c’est un sacerdoce. On ne vient pas dans ce département ministériel pour juste y travailler, sinon on n’a rien à y faire. Il faut pouvoir se mettre à la place de l’autre. D’ailleurs être malade permet de connaitre la valeur de la santé. Il est important de continuer à investir dans ce secteur.
Pour donner mon sentiment je suis heureux d’avoir participé à cette aventure positive. Je n’ai jamais été guidé par autre chose que la volonté d’améliorer le service rendu à la population. Aider son prochain a été ma ligne de conduite, et c’est l’ambition de tous les jours de tous les agents de ce département.
Propos recueillis par Mahdi A., photos Hani Kihiary